Magda, mère au foyer, aidante et pleine aux as : le travail invisible enfin rémunéré en 2050
Imaginons un monde utopique où, en 2050, le travail invisible comme les tâches domestiques, le soin aux personnes ou la proche-aidance, serait enfin valorisé et rémunéré.
Nous sommes en 2025. À 30 ans, célibataire, sans enfant ni proche à charge, Magda a une vie plutôt simple à gérer. Pas trop de charge mentale, ni responsabilité autre que celle de bien mettre son réveil le matin et se pointer à l’heure au bureau. Mais elle n’ignore pas que sa vie pourrait être tout autre, à 2-3 détails près.
Elle n’ignore pas que sa vie pourrait basculer, si elle rencontrait quelqu’un, finissait par fonder une famille et voir ses proches vieillir. Elle pourrait avoir besoin de devenir femme au foyer, partager son temps entre les tâches domestiques, la charge parentale et l’aide de proches diminués. Quelle serait alors sa rétribution pour tout ce travail invisible ? Hélas, rien du tout. En tout cas, pas en 2025.
Mais, nous appuyant sur l’expertise de Camille Robert, historienne spécialisée sur le sujet du travail invisible, imaginons une douce utopie qui pourrait s’installer d'ici à 2050. Envoyons vers le futur la Magda trentenaire de 2025. Et laissons-nous aller à visualiser ce à quoi pourrait ressembler sa vie, loin de la dure réalité de notre actualité, avec une véritable prise en compte du travail invisible qui serait (enfin) rémunéré.
La maternité devenue facteur de prospérité ?
Dans notre réalité alternative, en 2050, Magda se marie et finit donc par donner naissance à deux enfants. Elle aurait pu craindre de devoir assumer en grande partie la charge parentale – que les femmes endossaient à 65% en 2010 d’après une étude de l’INSEE – mais en 2050, les mentalités ont évolué, s’accompagnant de mesures politiques concrètes comme l’allongement du congé paternité de 25 jours à 10 semaines.
“Il y a plein d'études qui ont démontré que, si l'implication du père est importante dès la naissance du bébé, ça fait une différence importante dans la répartition des charges liées aux enfants pour que s'instaure un partage plus égalitaire” abonde Camille Robert.
Lorsque ses enfants sont en bas âge, Magda passe en temps partiel, comme actuellement plus d’une femme sur quatre d’après la Dares. Sauf que dans 25 ans, le temps partiel des femmes n’est plus subi, mais choisi. Il n’est définitivement plus un facteur d’inégalités pour leur trajectoire professionnelle.
Mieux que cela : si, jadis, l’écart salarial entre femmes et hommes augmentait à mesure que le taux d’activité des femmes diminuait – atteignant 43% en équivalent temps plein à partir du troisième enfant (INSEE, 2024) – en 2050, le temps partiel a été revalorisé grâce à une compensation financière prenant en compte le travail invisible effectué dans le cadre du foyer, sous la forme d’“une rétribution salariale, pour que ça ne cause pas d'autres pénalités par rapport aux différents programmes sociaux, aux prestations, etc” précise Camille Robert.
Congé maternité, temps partiel… 2050 marque aussi l’abolition de toute forme de discrimination sexiste au travail : “il faut que ces interruptions de carrière cessent d'être pénalisées par les employeurs” martèle l’historienne, quitte à apporter des correctifs dans le Code du travail suggère-t-elle, “pour que la discrimination en raison des responsabilités familiales ne soit plus utilisée comme prétexte pour déqualifier certaines candidatures ou l'attribution de certaines promotions”. Et hop, fini l’impact sur la carrière, brisé le plafond de verre !
La rédaction vous conseille
Femme au foyer, le nouveau job de rêve ?
Pour plus de commodités, Magda décide de lâcher définitivement son emploi salarié afin de devenir femme au foyer. En 2025, ce statut n’est pas rétribué ni même protégé d’un point de vue légal. Loin de l’image glamourisée qu’en donnent les Tradwives sur les réseaux, c’est un statut social qui ne fait pas rêver.
Mais dans 25 ans, on peut espérer que ce travail domestique sera enfin valorisé : “Pour celles qui décident de le faire (ce travail invisible, ndlr), il faut qu'il y ait une compensation financière adéquate. On pourrait réfléchir à certains programmes d'allocations, ou un revenu minimum garanti” exemplifie Camille Robert.
Mais dès lors, comment calculer ces rétributions ? “Différentes méthodes avaient été proposées dans les années 70-80, amorce l’historienne. La première option, c’était une rémunération par tâche, c'est-à-dire combien gagne, par exemple, une travailleuse domestique pendant l'entretien ménager, une cuisinière pour la préparation des repas, une assistante personnelle pour la planification du calendrier familial. Donc chaque tâche deviendrait rémunérée en fonction d'un taux horaire. L’autre option, ce serait une espèce de salaire global en fonction de ce que coûterait une aide domestique ou une aide familiale à temps plein à la maison.”
L’aidance, le super-pouvoir qui rapportera gros ?
Alors qu'elle est tout de même bien occupée dans le cadre domestiue, Magda doit affronter une épreuve familiale : victime d’un AVC, sa mère ne récupère pas la totalité de ses fonctions physiques et cognitives, des séquelles qui la laissent diminuée et nécessitent l’aide quotidienne de sa fille.
Si ça lui était arrivé en 2025, Magda n’aurait probablement même pas su qu’elle était devenue aidante, c’est-à-dire une personne qui aide de manière régulière, et sans rémunération, un proche handicapé, âgé ou en perte d’autonomie. Elle aurait rejoint les rangs des 80% d’aidant‧es au foyer qui sont des femmes et se retrouvent avec une charge supplémentaire à intégrer dans leur quotidien.
La rédaction vous conseille
Mais en 2050, l’aidance est un skill connu et reconnu. Valorisé, grassement rétribué, et ce, que vous soyez salariée ou femme au foyer. Car oui, de nos jours, même là où les choses évoluent dans le bon sens, ce n’est jamais assez : au Canada par exemple, Camille Robert nous confie qu’il existe des déductions fiscales pour les proches-aidant‧es actif‧ves. Mais quid des femmes aidantes au foyer ?
”Depuis 40 ans à peu près, ce sont les exemptions fiscales qui sont priorisées, plutôt que la création de programmes universels sous forme d'allocations, de création de services ou d'accès à des programmes sociaux, déplore l’historienne. Donc finalement, ces exemptions fiscales pénalisent beaucoup de gens qui sont dans des relations d'emploi atypiques, qui n’ont pas accès à un salaire ou pas accès à un salaire très élevé.”
Zoom arrière sur cette mini-utopie
À travers ce scénario prospectif, on se rend compte que le travail invisible a toutes les raisons d’être rémunéré. “C'est une contribution qui est prise pour acquis, mais qui est essentielle au fonctionnement de la société. Il faut se rappeler que ce travail est essentiel, et qu’il faut le rétribuer à sa juste valeur. C'est souvent un travail qui est considéré comme non productif. Mais tout ce travail de “reproduction sociale” – tout le travail nécessaire pour reproduire la société sur une base quotidienne et générationnelle, donc le travail d'éducation, de soins, le travail d'entretien ménager, etc – c'est un travail qui est fondamental” argumente Camille Robert.
Pour autant, la rétribution du travail invisible divise parmi les mouvements féministes eux-mêmes, qui en sont venus à délaisser un peu cette question. “Si on rémunère le travail invisible, est-ce qu'on ne vient pas contribuer à l’assignation des femmes à ce travail invisible ?” : tel est le nœud du problème, résume l’historienne. “À l’époque, les mouvements féministes ont davantage misé sur l'intégration des femmes au marché du travail. Mais on a vu que ça n'a pas tout réglé et que ça a créé le problème de la double, voire de la triple journée de travail” pointe-t-elle.
Pour Camille Robert, la rémunération du travail invisible reste toutefois la clé de voute pour un monde plus égalitaire : “Je crois que s'il y a plus de rétribution financière, ça peut aussi favoriser un meilleur partage pour que ce ne soit plus seulement les femmes qui s'en occupent.” conclue-t-elle.