société

Pourquoi faire son coming out au travail ?

Pour de nombreuses personnes LGBTQIA+, le travail reste un milieu parfois hostile. Pourquoi, malgré tout, certaines y revendiquent leur identité sexuelle et/ou leur identité de genre ?


7 min
15 avril 2024par Mathis Grosos

Pour vivre heureuses, les personnes queer – dont l'orientation ou l'identité sexuelle ne correspond pas aux modèles dominants – doivent-elles vivre cachées jusque dans leur propre milieu professionnel ? Difficile de garantir une étanchéité entre travail et vie privée si elle implique de cacher son partenaire ou se faire mégenrer.

Le dernier rapport de SOS Homophobie fait état d’une centaine de signalements dans le monde professionnel en 2022. Rejet, insultes, harcèlement, diffamation, outing… Les manifestations de ces violences sont majoritairement le fait de collègues et bénéficient d’un climat d’impunité.

Le sujet a même inspiré le cinéma. Dans Blue Jean, sorti en 2022, Georgia Oakley met en scène une prof de sport lesbienne dans le climat régressif des années Thatcher. L’impossibilité d’être out y est telle que le personnage doit mener une double vie. Quelques décennies plus tard, le sujet reste sensible, quel que soit le secteur. Si bien que les comings out successifs qu’une personne LGBTQIA+ fait dans sa vie sont toujours l’objet d’un calcul. Mais en sort-elle jamais gagnante ?

Out malgré soi

“J’avais beau évacuer le sujet, il y revenait tout le temps”. Joséphine, surveillante dans un lycée agricole, n’a pas eu besoin de coming out pour que ses collègues se permettent de partager leurs théories. Elle fait du rugby, elle a un piercing au nez, pour l’un d’eux, c’est certain : elle est lesbienne. Prise de cours par ces questions intrusives sur sa pause déjeuner, la jeune surveillante de 25 ans lui répond qu’elle est bisexuelle, espérant pouvoir vite passer à autre chose. Mais bien qu’elle botte en touche, c’est au tour de son chef de service d’enchaîner les clichés biphobes. Elle ne saurait pas choisir, c’est une phase… Quelqu’un finit par la défendre à table, mais le mal est fait.

En vérité, le coming out n’est qu’une des modalités par lesquelles les LGBTQIA+ peuvent être identifiés. Les étiquettes et les remarques les précèdent souvent.

Après un débat autour de la représentation des personnages queers dans la série Netflix Sex Education, Morgane, bisexuelle, a vu une collègue arrêter de lui adresser la parole du jour en lendemain. Dans cette pharmacie où elle a travaillé, la pop culture lui a servi à “tâter le terrain” sans s’exposer directement. Il semble pourtant que ce jour-là, elle se soit trahie.

Dans une autre expérience professionnelle en restauration, le constat avait été encore plus rapide : “Dès mon premier jour, j’ai compris que ce serait mort. J'étais manager et entourée de mecs qui avaient entre 40 et 60 piges. Il fallait que je me fasse respecter”. Face aux railleries misogynes, homophobes et racistes pendant les services, Morgane s’était résignée, il ne serait pas question de mentionner ses partenaires féminines.

À ces cas, s’ajoutent la possibilité d’être « outé » par un tiers au courant, c’est-à-dire que sa queerness soit révélée sans son consentement. C’est particulièrement vrai quand il est question de transidentité. Surtout que sans coming out, une personne trans n’est parfois pas genrée correctement.

« On m’appelait “Madame” mais j’avais déjà la voix grave parce que j’avais déjà commencé à transitionner », commence Néo, 22 ans. Agent de surveillance dans un musée, il entend quotidiennement des propos transphobes. Les crises de dysphorie de genre (la souffrance d’une personne transgenre face à un sentiment d’inadéquation entre son genre assigné et son identité de genre) deviennent insoutenables et Néo doit s’outer auprès de sa responsable. « Ça a été à double tranchant parce qu’elle a été très réceptive. Elle a mis “Monsieur” sur ma fiche de service. Mais des collègues m’ont volontairement mégenré, m’ont posé des questions indiscrètes sur ma transition. »

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Faire un coming out pour mettre un terme aux rumeurs

Dans le bureau de tabac où elle travaille, Marion a toujours fait de son lesbianisme un non-sujet. Il n’empêche que la première fois que le sujet a été posé sur la table, elle a remarqué un avant et un après. « J'étais considérée déjà comme la petite jeune un peu bizarre mais j'ai eu l'impression que savoir que j'étais lesbienne, c'était presque rassurant, mes collègues avaient un truc pour justifier que j'étais hors norme par rapport aux archétypes dans lesquelles elles rentraient. Une fois qu'elles ont eu une réponse à leur question, elles ont su dans quelle boîte me mettre. »

Pour ce qui est de son asexualité, Marion préfère se taire. « Même dans la communauté, beaucoup ont des a priori sur le sujet. J'ai pas envie d'expliquer à des gens ce que c'est, surtout quand c'est de la curiosité malsaine. » Même son de cloche du côté de Maë qui verbalise sa bisexualité sans peine, mais cache encore sa non-binarité de peur de l’incompréhension.

Sarah, enseignante, a elle aussi passé des années dans le placard. Par peur. Peur de ce que pouvaient penser les parents d’élèves dans cet établissement catholique. Peur de la confusion entre homosexualité et pédocriminalité. Longtemps, quand ses collègues ont parlé de leurs couples, Sarah s’est tue.

Quand le fils de sa compagne intègre le même groupe scolaire que celui dans lequel elle commence un nouveau poste, Sarah prend les devants et fait son coming out à ses collègues : « Je me suis dit…. Il faut mettre les pieds dans le plat, sinon ça va être l’enchaînement de situations embarrassantes quand je récupérerai le petit à la sortie ».

Un cercle vertueux ?

Entre temps, Sarah a publié un roman dont le personnage principal est une prof lesbienne. Elle a rejeté l’idée d’un nom de plume. Les réactions sont relativement bienveillantes du côté des familles qui le lisent. Le bilan reste plus contrasté du côté du corps enseignant, elle reçoit un livre dans son casier : Dieu est-il homophobe ?. Elle ne saura jamais à qui elle le doit. Mais c’est du côté des élèves que Sarah constate combien être out change la donne. Dans le cadre d’une exposition sur Faith Ringgold à laquelle elle emmène ses élèves, il est question de représentations des communautés LGBT d’Afrique du Sud dans le descriptif. Une élève l’interroge : « Pourquoi vous nous emmenez voir cette expo ? Vous êtes lesbienne ? ». Sarah répond oui. « Et la gamine a un sourire immense, raconte-t-elle. Le lendemain, elle pose un papier sur mon bureau : j’aime les filles mais j’arrive pas à le dire à ma mère ».

Être out au travail peut aussi avoir cet effet vertueux, briser le tabou autour de sa propre identité, c’est ouvrir la porte à d’autres personnes LGBTQIA+. C’est le constat qu’a fait Joffrey, photographe. « Spontanément, beaucoup de femmes m’ont parlé de leur copine. » se réjouit-il. Comme de nombreux indépendants, Joffrey répète les comings out à chaque rencontre. S’il concède que le milieu artistique est plus ouvert, il a parfait son discours avec l’expérience : à la solennité, il préfère « diluer de petites phrases l’air de rien ». L’effet de surprise annihile selon lui les mauvaises réactions potentielles.

Ces intuitions se construisent souvent au prix d’expériences négatives. Mais tous deux se réjouissent de pouvoir occasionner ces réactions en chaîne, contribuant à leur échelle à créer un environnement plus sécurisant pour les personnes queer.

Dans son rapport, SOS homophobie appelle d’ailleurs les entreprises à mettre en place « des systèmes de rôles modèles et allié·es LGBTI », des personnes sensibilisées à ces questions qui puissent devenir référentes en la matière. Une initiative qui s’accompagne évidemment de chartes, des codes de conduite ainsi que de politiques RH sur le sujet.

Mathis Grosos

Journaliste

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