société

“Le corps féminin est considéré comme défectueux” : Aude Hayot brise les préjugés autour de la ménopause au travail

Les femmes de 45 ans et plus représentent une femme majeure sur deux en France. Leur point commun ? Être affectées par les symptômes de la ménopause qu’elles cachent au travail, par peur d’être discriminées ou stigmatisées. Rencontre avec Aude Hayot, créatrice du podcast La Fin des règles.


8 min
18 octobre 2024par Léa François

Le jour où je reçois Aude Hayot pour notre interview, elle porte un pull rouge éclatant. Rouge comme les couleurs qui peuvent soudainement monter aux joues des femmes ménopausées et les indisposer, éclatant comme le devoir qui incombe aux entreprises de prendre en compte les spécificités physiologiques des femmes.

Un micro tendu vers les femmes

Aude Hayot n’a pas toujours été animatrice de podcast. Son média, La Fin des règles, elle l’a lancé après une double prise de conscience : l’une est intime, elle a hérité de sa mère un risque d’ostéoporose et n’obtient pas d’accompagnement du corps médical.

L’autre, sociétale : “En faisant des recherches, j’ai découvert qu’en Angleterre, c'était devenu un vrai sujet, la question de la ménopause et de la vie au travail, que c'était vraiment pris en charge, qu’ils faisaient des études. Et j'ai trouvé des chiffres qui m'ont fait tomber de ma chaise. Il y a 1 femme sur 5 qui renonce à une promotion à cause des symptômes de la ménopause et 1 femme sur 10 qui quitte son job”.

Ces chiffres alarmants la ramènent finalement à sa propre condition de femme et de salariée, et c’est le déclic : “Moi, j'avais 44 ans à l'époque, poursuit-elle. Je me suis dit : si moi, je crois que la ménopause, c'est quelques bouffées de chaleur et puis c'est tout, et qu’en fait, ça va remettre en cause ma carrière à un moment où je vais peut-être enfin accéder aux postes les plus intéressants, il faut en parler, il faut savoir ce qui se passe et comment le gérer”.

Ce podcast, elle l’a imaginé avant tout comme un espace où faire circuler la parole des femmes concernées, une parole éminemment plurielle. “J'ai choisi le format du témoignage parce que j'ai trouvé que ce qui manquait, c'était une parole intime et une parole de rôle modèle de femmes qui expriment leur vérité à elles […] On est nombreuses et même s'il y a peu de communication entre nous – parce que personne n'ose en parler, ni à ses amis, à son mari et encore moins à son manager – on vit toutes la même chose et ça donne un chemin pour le traverser”.

Ménopause et travail, quel est le rapport ?

En tant que période de changement hormonal, la ménopause affecte le bien-être physique et psychologique des femmes, un état qui ne s’arrête pas à l’entrée du bureau. “À la ménopause, on parle de 34 symptômes. Ça peut être de la dépression, du brouillard cérébral, des sautes d'humeur, des douleurs articulaires, de la sécheresse cutanée. Il y a aussi les sueurs nocturnes et les bouffées de chaleur, c’est très gênant, en particulier la journée quand il n'y a pas de fenêtre ou de ventilation au travail” détaille-t-elle.

Problème : au travail, les femmes cachent ces symptômes par crainte que cela ne change le regard que l’on porte sur leur valeur professionnelle. Pourquoi ? Parce que la ménopause est connotée négativement. “Il n'y a pas de possibilité de dire ses symptômes de la même manière que quand on est enceinte. Si on est enceinte et qu'on a des pertes de mémoire au travail et des sautes d'humeur, tout le monde est compréhensif. C’est même valorisé. Les mêmes symptômes, 15 ans plus tard, on les masque, on fait semblant que tout va bien alors qu'on vit un drame intérieur et qu’on a peur d'une discrimination. On a peur, si on en parle, d'être vue comme faible, pas à la hauteur. Ça s'accompagne souvent d'une mésestime de soi, ce moment de la vie, c’est ça qui est difficile à gérer” pointe Aude Hayot.

Des salariées différemment impactées

L’animatrice repense à deux témoignages très différents qui l’ont marquée : l’une est assistante maternelle, et doit surmonter crampes, montées d’angoisse, insomnies, mais être opérationnelle quand parents et enfants débarquent à 8h30. L’autre est directrice générale d’une entreprise et doit assumer de mener ses réunions malgré des bouffées de chaleur qui surviennent toutes les heures. Deux environnements pro très différents, deux statuts distincts, mais deux salariées qui souffrent au quotidien.

Si la réalité de la ménopause est difficile à gérer pour de nombreuses femmes, certaines salariées évoluant dans des secteurs professionnels spécifiques la subissent plus durement. “On n'est pas impactées de la même manière en fonction du type de métier que l’on fait, abonde Aude Hayot. Quand on est cadre et qu'on a la possibilité d'avoir recours au télétravail, c'est quand même une grande chance. […] Il y a des métiers pour lesquels c'est vraiment difficile de gérer sa ménopause : tous ceux où on a beaucoup de manutention, parce qu’il y a des forces physiques qu'il faut arriver à assumer dans ces moments-là, des contraintes horaires et on n'aura pas forcément les temps de pose dont on a besoin” souligne-t-elle.

La journaliste relève également le cas particulier des professions où les femmes doivent porter des vêtements normés : “Quand on a un métier qui nécessite d'avoir un uniforme par exemple, ça c'est un vrai problème. Parce que si l'uniforme n'est pas conçu pour, on va vite avoir chaud, être serrée, être mal à l'aise”.

Tabou et peur de la stigmatisation, les deux nerfs de la guerre

Pour beaucoup de Français‧es, y compris les femmes, la ménopause n’est pas un sujet qui va de soi dans le cadre du travail. D’après l’étude de la MGEN et de la Fondation des Femmes publiée en octobre 2023, c’est un sujet délicat à aborder pour 35% des Français‧es, et 70% des femmes ne souhaitent pas évoquer les troubles liés à la ménopause à leur supérieur‧e. Au global, moins de 10% des salarié‧es considèrent que c’est un sujet pour les entreprises.

Pour Aude Hayot, ce tabou prend essentiellement racine dans des biais de genre : “Le corps féminin est considéré comme défectueux quand il exprime ses manifestations physiques. La ménopause, c'est un nouveau moment de dérèglement hormonal où on attend que le corps fonctionne comme d'habitude et avec la même linéarité que le corps des hommes”, amorce-t-elle. “Aujourd’hui, les schémas de gouvernance et les modes d'organisation des sociétés sont basés sur le fonctionnement du corps masculin et on commence à en prendre conscience. C'est pour ça que le tabou des règles a explosé et qu'il a impacté la vie en entreprise. Et le tabou de la ménopause est en train d'exploser exactement de la même manière” observe-t-elle, enthousiaste.

Mais si une partie des femmes sont pour que ce sujet émerge en entreprise, d’autres craignent le retour de bâton, notamment depuis que la question d’un congé ménopause s’est invitée dans le débat public. “Il y a cette difficulté aussi pour les femmes de ne pas vouloir se rajouter une discrimination de plus, de se dire ‘on va nous pointer du doigt comme celles qui posent toujours problème. On a déjà assez de mal à trouver un travail quand on a 55 ans, on s'habille comme si on en avait 35, on se fait refaire les dents, on fait tout ce qu'il faut pour avoir l'air encore bien, ne nous rajoutez pas ça’ “ rapporte l’animatrice.

La balle dans le camp des entreprises

Les entreprises ont tout intérêt à mieux prendre en compte la ménopause au travail, pour favoriser l’embauche et la rétention des talents, mais aussi pour réduire les pertes économiques. Pour cela, les suggestions ne manquent pas, mais la base de la pyramide doit être de créer “une culture qui soit accueillante, des symptômes de la ménopause et du sujet” pointe Aude Hayot.

💡 Quelques tips pour contribuer à une meilleure sensibilisation selon elle :
  • Avoir une référente ménopause
  • Fêter la journée mondiale de la ménopause le 18 octobre
  • Créer des groupes de parole qui soient également ouverts aux hommes de façon à ce qu'ils puissent comprendre ce que c'est que la ménopause
  • Créer des ateliers pour les managers pour qu'ils puissent savoir comment accueillir ces symptômes et cette parole sans stigmatiser

Mais installer une culture pro-ménopause, ça passe aussi par des mesures très pragmatiques, comme “proposer des pièces qui puissent être aérées facilement, installer des ventilateurs, avoir des espaces de repos qui permettent aux femmes d'aller s'aérer et se rincer le visage. Quand il y a des uniformes, réfléchir à la meilleure matière et la meilleure manière de les adapter pour ne pas avoir trop chaud dedans. Et puis donner quelques jours de congé, ça permettrait de ne pas voir toutes ces femmes disparaître des entreprises” conclue-t-elle.

Rappelons qu'aujourd'hui, 1 femme sur 10 qui quitte son travail à cause de la ménopause.

Léa François

Journaliste

Journaliste qui écrit avec ses tripes, pour porter la parole de celleux qui ne l’ont pas toujours. A postulé ici le lendemain […]

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