société

“Je pouvais relire un mail 15 fois” : quand les TOC empoisonnent votre vie professionnelle

En France, plus d’un million de personnes endurent en silence, parfois en cachette, les affres des Troubles Obsessionnels Compulsifs (TOC). Comment se manifestent-ils ? Est-il possible de les concilier avec sa vie professionnelle ? Peut-on se soigner de cette pathologie ?


8 min
16 octobre 2023par Johan Lefevre

Vous sortez de chez vous pour vous rendre au travail, mais la porte est-elle verrouillée ? Oui ? Et le gaz, est-il coupé ? Vous arrivez à votre poste de travail, un croissant entre les dents, le thermos dans une main et les clés de voiture dans l’autre. La voiture, vous avez bien mis le frein à main ?! Ces pensées intrusives, tout le monde les a eues à un moment ou à un autre. Cependant, lorsque ces pensées parasitent continuellement l'esprit, quand il n'est plus possible de maîtriser les impulsions de vérification, de rangement, de nettoyage… La vie devient rapidement un véritable enfer. 

Pathologie fréquente, le TOC figure parmi les quatre troubles les plus communs (après la dépression, l’abus de drogue/d’alcool et l’anxiété). Environ 2 à 3% des Français souffrent aujourd’hui de troubles obsessionnels compulsifs. L'apparition de la maladie chez le patient se produit tôt, avec environ 65% des cas commençant avant l'âge de 25 ans, tandis que 15% surviennent après l'âge de 35 ans. Selon l’Association Française de Personnes souffrant de Troubles Obsessionnels et compulsifs (AFTOC), cette maladie se caractérise en deux temps : d'abord par des pensées intrusives et envahissantes, puis par des comportements répétitifs appelés compulsions. Ces compulsions sont effectuées malgré la reconnaissance de leur irrationalité, principalement pour éviter l'anxiété et le malaise.

Afin de mieux appréhender les défis associés à cette maladie, en particulier en contexte professionnel, nous avons confronté le témoignage de Romy, une personne atteinte de TOC, à l'expertise de Margot Duvauchelle, psychologue clinicienne spécialisée en thérapies cognitivo-comportementales.

Peut-on concilier nos TOC avec notre activité professionnelle ?

“Ça été difficile pour moi de mettre un nom sur cette pathologie”, nous confie Romy âgée de 35 ans*, atteinte de TOC depuis ses 16 ans. Elle souffre aujourd’hui de 43 TOC différents d’ordre de vérification et de symétrie. Dans le cadre du TOC, ce sont surtout la fréquence, la durée et la gravité des comportements qui créent des difficultés. Ils perturbent la vie privée comme la vie professionnelle des personnes qui en souffrent. “Dans mon cas, mes vérifications pouvaient durer six heures dans une journée, trois avant de quitter mon domicile et trois avant d’aller dormir. Vous imaginez bien que ça devient difficile quand on doit aller au travail avec autant de stress et de fatigue”, indique Romy. 

Mais alors, comment peut-on travailler avec des pensées qui parasitent notre quotidien ? “Généralement les TOC débordent dans la vie privée et ne s'expriment pas vraiment au travail”, clarifie Margot Duvauchelle. “Dans le milieu professionnel, il y a la présence d’une contrainte pour les personnes qui souffrent de TOC : c’est un contexte qui est régi par des règles, avec un règlement à respecter, la présence de collègues”, indique la psychologue.“ Le travail, c’est une forme de terrain hostile au TOC, c’est-à-dire que lorsque les conditions ne s’y prêtent pas, on remarque que la personne parvient à réfréner, voire même à faire un pas sur ses TOC.”, ajoute-t-elle.

Comment ce trouble s’immisce dans le cadre professionnel ?

Toutefois, il ne faut pas se méprendre : les TOC ne disparaissent pas par enchantement une fois que l’on passe les portes de son lieu de travail. “Le TOC de vérification, de protection à l’égard d’un danger, une erreur, une crainte peut se formuler pendant notre activité professionnelle”, précise la psychologue. On va souvent voir les rituels, les compulsions s’exprimer en fin de journée, lorsqu’il faut quitter le poste, avec des vérifications. Si l’ordinateur est bien éteint, des fermetures de tiroirs, de portes éventuellement ou des choses qui peuvent concerner la bureautique comme des mails ou des documents”. 

C’est d’ailleurs ce que nous indique Romy, touchée par des TOC de l’ordre de la symétrie et de l’organisation. “Déjà sortir de chez moi, c'était une véritable épreuve. Une fois au travail, malheureusement, les TOC persistaient de mon côté. Lorsque j’étais assistante de direction il y a quelques années, je pouvais lire et relire un mail 10 ou 15 fois à la recherche d’une coquille ou d’une erreur. C’est très chronophage et peu productif de ma part", explique Romy. “Puis, les TOC de vérification et symétrie de chez moi se transposaient à mon travail également… Par exemple, je glissais un courrier dans une enveloppe, et c’était la même chose à chaque fois : je vérifiais plusieurs fois que l'enveloppe était vide avant d'insérer le courrier, m'assurant que c'est bel et bien le bon courrier dans la bonne enveloppe. Cela devenait extrêmement épuisant, car il semblait qu'il n'y avait aucune action que je pouvais accomplir sans qu'un comportement compulsif ne s'y associe. Chaque aspect de ma vie quotidienne était soumis à un rituel semblable”, expose Romy. 

Les TOC n’entravent pas le professionnalisme…

En réalité, si les individus qui présentent ces troubles éprouvent une angoisse à l'idée de commettre des erreurs dans leur travail, c’est plutôt l’effet inverse qui s’opère. “Je dirais que les personnes atteintes de TOC ont également une personnalité perfectionniste : ils feront en sorte que les répercussions sur leur travail soient minimisées, précise Margot Duvauchelle. “Je pense effectivement que ce sont des personnes avec une conscience professionnelle bien plus accrue que la moyenne. Ils sont beaucoup plus à même de réaliser des tâches professionnelles, bien mieux que des personnes, on va dire, lambdas”, argumente-t-elle.

…mais empoisonnent la vie au bureau

“Les outils sur mon bureau devaient être alignés de telle manière. Cela me prenait énormément de temps, j’en étais arrivée à un stade où je ne prenais même plus le temps de déjeuner le midi… Je préférais profiter de ma pause déjeuner pour avancer au maximum sur le retard que j’avais occasionné”, nous confie Romy. “Si leur travail n'est pas achevé en raison des TOC, ils termineront plus tard ou travailleront depuis chez eux. Le problème réside dans le fait que la souffrance qu'ils endurent peut passer complètement inaperçue, car elle n'a pas d'impact sur leur travail. Avec ce sentiment de honte par rapport à la maladie, la parole se verrouille dans tous les cas”, commente la psychologue, Margot Duvauchelle.

Le TOC, une maladie silencieuse 

Est-il possible d’en parler à ses collègues ou à ses supérieurs pour faciliter son quotidien au travail ? “À l'origine, j'éprouvais de la honte par rapport à ma pathologie. J'avais tendance à la cacher, du moins en ce qui concerne mes collègues de travail, mes amis. Pendant des années, j'ai gardé mes TOC cachés”, nous révèle Romy. “Cependant, grâce à mon travail avec ma thérapeute, j'ai commencé à changer ma perspective. J'ai appris à accepter davantage les TOC, que je percevais initialement comme un trouble purement psychiatrique, avec toutes les connotations négatives que cela comporte, notamment la crainte d'être jugée comme une personne étrange ou folle”, indique-t-elle.

La possibilité de partager notre quotidien avec nos collègues ou nos responsables dépend essentiellement de la qualité de la relation préexistante, en particulier du niveau de confiance établi”, expose Margot Duvauchelle. “Le sentiment de honte est toujours un obstacle majeur. D’autant que si la hiérarchie est très verticale, il peut être extrêmement difficile de s’ouvrir. Déjà, confier ses préoccupations à un thérapeute peut être un défi, alors le faire à un supérieur semble encore plus intimidant”, ajoute-t-elle.

Peut-on soigner les troubles obsessionnels et compulsifs ? 

Il existe des solutions pour s’en libérer. "Le premier conseil que je donnerais, c'est vraiment d'aller consulter le plus tôt possible un professionnel de santé spécialisé dans les TOC, afin d'éviter de répéter les mêmes erreurs que moi”, expose Romy. À ce jour, le traitement le plus efficace et le plus reconnu contre les TOC se nomme “la thérapie comportementale et cognitive” ou TCC. Il est possible de coupler cette thérapie avec une prise médicamenteuse tels que des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. Ces médicaments augmentent la quantité de sérotonine dans le cerveau, mais ne peuvent être obtenus que sur prescription médicale.

Se faire accompagner est essentiel, il faut vraiment surmonter la honte, prendre conscience que c'est une maladie et comprendre que la responsabilité, la motivation et la volonté n'ont rien à voir avec cela. La thérapie comportementale et cognitive a fait ses preuves dans la résolution des TOC, c'est la principale indication", préconise Margot Duvauchelle.  “Avec cette thérapie, il existe des techniques éprouvées qui fonctionnent bien. Il ne faut pas se priver de cette possibilité. Il est possible de guérir, bien que cela dépende de la sévérité de la situation”, conclut-elle.

*Par souci d’anonymat, le prénom et l’âge de la personne ont été modifiés.

Johan Lefevre

Rédacteur

Jonglant entre les bobines cinématographiques et les récits de réussite au bureau, je suis le cinéphile visionnaire du monde du travail.

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