Ragots et rumeurs : pourquoi aime-t-on autant les commérages au bureau ?
Pourquoi aime-t-on autant les ragots, les rumeurs, les commérages ? Sont-ils forcément mauvais pour l’entreprise ? Et surtout, comment faire pour les contrer ? Explication avec une spécialiste de la rumeur, Aurore Van de Winkel, Docteure en Information et Communication de l’Université Catholique de Louvain (Belgique). Alors, bitcher ou ne pas bitcher, telle est la question ?
Presque une heure par jour. 52 minutes pour être précis. Ce n’est pas le temps que l’on prend pour déjeuner le midi, ni le temps que l’on passe sur Instagram, mais bel et bien le nombre de minutes que l’on accorde au… commérage, selon la revue Social Psychological and Personality Science en 2019. Ragots, rumeur, gossip, peu importe le terme, nous sommes (serions) très friands des messes basses. “Les ragots ont une fonction de divertissement, on aime savoir et parler de ce qui se passe”, décrit Aurore Van de Winkel, Docteure en Information et Communication de l’Université Catholique de Louvain (Belgique), et spécialiste du sujet.
Mais attention à ne pas confondre rumeur et ragot. “Ça se ressemble, mais ce n’est pas tout à fait la même chose. La rumeur est une information qui n’a pas été confirmée ou démentie par une autorité. Exemple “l’entreprise va faire faillite, on va se séparer de collaborateurs”. Le ragot est beaucoup plus intime, ce sont plutôt des bavardages sur la vie privée des collègues. “Telle personne boit, telle personne couche avec quelqu’un”, poursuit Aurore Van de Winkel.
Bitcher pour survivre ?
Le pouvoir du ragot ne vient pas trouver sa force dans la véracité ou non du propos, mais plutôt dans ce qu’il en découle. “On raconte des rumeurs à ceux avec lesquels on souhaite se rapprocher, ça crée des liens. Ça nous positionne comme une personne qui a des infos, qui sait”, explique notre universitaire. Donc par extension, une position de pouvoir. “C’est une fonction sociale très ancienne. Presque de survie car se mettre avec les personnes dévalorisées réduit nos chances de rester dans le groupe, dans l’organisation”, poursuit-elle.
“Le commérage est un instinct humain fondamental, car nos vies sont profondément ancrées dans des groupes. Nous vivons non seulement en groupes, mais nous dépendons également des membres de nos groupes pour survivre”, abonde Mark Leary, professeur de psychologie et de neuroscience à l’Université de Duke. “Cela permet aussi de se comparer socialement”, ajoute Aurore Van de Winkel. “Ce sont des sources d’informations pour connaitre son entourage “qui est ami avec qui ?”, “qui est mis sur le côté et pourquoi ?”, cela permet de savoir qui sont les personnes qui ont de l’influence et donc celles avec lesquelles il est délicat de se disputer, et à l’inverse de connaitre ceux qui n’ont pas du tout d’influence”.
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Bitcher n’est pas forcément dénigrer
Certains y verront un côté amoral, d’autres de la simple politique. “Ce qui est amoral, c’est d’utiliser un ragot de manière malveillante, ce qui est totalement interdit par la loi. Mais se dire qu’il y a peut-être une opportunité pro, c’est juste de l’opportunisme. À vous de voir si l’opportunisme est amoral ou pas ?”, questionne-t-elle.
D’ailleurs, dit-on forcément du mal quand on s’adonne au commérage ? Toujours selon l’étude menée par Social Psychological and Personality Science environ trois quarts des conversations sont neutres, comprenez ni négatives, ni positives. “Je pense que l’idée fausse la plus répandue est que les ragots sont toujours une forme de méchanceté négative, qui consiste à dire du mal de quelqu’un dans son dos”, détaille Shannon Taylor, professeur de management à l’université de Floride dans des propos relayés par Ouest-France. “Mais les enquêtes suggèrent que la principale raison pour laquelle les gens le font est qu’ils veulent simplement donner un sens à leur environnement”.
Bitcher, c’est amplifier
Ce que l’on peut remarquer, c’est que la rumeur, le ragot, le gossip se caractérise aussi par son caractère polymorphe. Un changement constant. Pourquoi prenons-nous un malin plaisir à déformer les choses ? “On ne va pas juste énoncer ce qu’on nous a dit ou entendu, on va aussi évoquer les conséquences possibles, essayer de boucher les trous en cherchant une logique”, explique notre docteure. “En rapportant ce qu’elles ont entendu, les personnes vont oublier la partie hypothétique. On a aussi tendance à résumer, parfois à caricaturer même”. La nature a horreur du vide, dit-on. En voici une preuve supplémentaire.
En étant pragmatique, et partant du postulat que les ragots sont là, n’y aurait-il pas une possibilité pour un manager de s’en servir pour, pourquoi pas, en faire quelque chose de positif ? Ou bien doit-il fermer les yeux ? “Les gens sont toujours mal à l’aise face aux ragots dans l’organisation, mais c’est très intéressant de connaitre les rumeurs. Ils peuvent être des signaux avant-coureur de crise”, pointe Aurore Van de Winkel. “En cas de personne victime de ragots répétées, on peut déceler un cas de harcèlement moral et donc être en capacité de pouvoir soutenir cette personne au niveau des risques psychosociaux”.
“Ils compensent les défauts communicationnels de l’organisation formelle, ils sont une soupape psychologique, un défouloir cathartique, et ils donnent le pouls d’une équipe”, ajoute Laetitia Vitaud, experte du futur of work pour Welcome To The Jungle. “S’il y a beaucoup de rumeurs dans son organisation, c’est qu’on doit retravailler sa communication, sa transparence et qu’il y a peut-être un problème au niveau du management intermédiaire à palier. C’est une opportunité”, précise avec optimisme Aurore Van de Winkel.
Arrêter de bitcher, pour mieux se confier
Au regard de toute cette lecture, on est tenté de se demander s’il faut tout dire ou non, puisque quoiqu’il arrive, la rumeur, le ragot semble exister, peu importe le degré de transparence. “L’idée de transparence, c’est surtout que les gens puissent comprendre pourquoi les décisions sont prises afin d’établir une relation de confiance entre la hiérarchie et les collaborateurs” conclut notre docteure. Oublions la transparence et mettons-nous en quête de la confiance alors…