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Le reverse mentoring : quand les juniors apprennent aux seniors

Quand un “jeune” mentore un plus “vieux”, cela porte un petit nom : le reverse mentoring. Imaginé au départ pour former les seniors aux nouvelles technologies, le reverse mentoring a changé de visage au fil des années pour devenir un précieux outil de compréhension intergénérationnelle. Jusqu’à influencer le cœur du réacteur des entreprises.


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« Aujourd’hui, il peut arriver qu’un jeune de 30 ans ne comprenne pas un jeune de 20 ans », affirme Marc Raynaud, Président-fondateur de L'Observatoire du Management InterGenerationnel. Ce que ce spécialiste décrit, c’est un raccourcissement des cycles générationnels.

On a tous Netflix, et pourtant on n’a pas les mêmes codes

Pourtant, qu’est-ce qui sépare vraiment le vingtenaire du trentenaire ? Sûrement pas la présence d’Uber ou Deliveroo sur son smartphone, pas plus que les séries qu’il va regarder sur Netflix. Non, le gap est plus profond et se trouve peut-être dans un autre rapport au monde, au travail.

Pour les entreprises, il s’agit d’un vrai défi pour que chaque génération se nourrisse du mode de fonctionnement de l’autre. L’objectif ? Éviter la création de silos et lutter contre l’entre soi. Pour y parvenir, le mentorat est depuis plusieurs décennies un outil très apprécié des grandes entreprises. Mais si l’on connaît sa version plus classique (un senior qui mentore un plus jeune), on connaît moins son autre versant : le reverse mentoring. Comme son nom l’indique, c’est l’inverse : ici, c’est un jeune qui mentore un vieux (pardon, un senior).

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Lutter contre l’obsolescence non-programée

C’est dans les années 90 que le modèle est apparu, notamment au sein de grandes entreprises comme Général Electrics. À l’époque, le CEO avait demandé à ses managers seniors de se rapprocher des employés les plus jeunes. Le but ? Les former à l’utilisation naissante du web. Depuis, la plupart des professionnels - même les plus âgés - sont aguerris au digital (l’Internet :) !). Même Gérard, du haut de ses 60 balais, sait se connecter sur Zoom.

Toutefois, le reverse mentoring continue à être pratiqué sur des sujets spécifiques, notamment pour des technologies complexes demandant une mise à jour permanente. On estime en effet que les compétences technologiques deviennent obsolètes entre 12 et 18 mois. Bon, dans la vraie vie, la date de péremption des salariés est quand même plus élevée (ouf), mais ce chiffre donne une idée de la vitesse à laquelle les connaissances évoluent.

“Reverse mentorer” pour mieux fidéliser

Avec le reverse mentoring, une entreprise peut en réalité bénéficier de bien plus que d’un simple transfert de connaissances technologiques. C’est ce qu’explique Kayla Kennelly, l’une des premières mentors chez Pershing aux États-Unis dans une interview à la Harvard Business Review : “Ce qui figurait en haut de la liste de notre CEO, c’était des questions comme ‘Comment me connecter aux plus jeunes générations ?’... Et ensuite, ‘Comment j’attire et je retiens de jeunes talents ?’ La technologie a été importante, mais le sujet était plutôt en bas de la liste des mentors/mentorés”.

D’après les études menées en interne par Pershing, le reverse mentoring a permis d’accroître la rétention chez les jeunes mentors (96% sur la première cohorte). En occupant ce rôle auprès d’une population de managers aguerris, les plus jeunes ont été de facto responsabilisés puisqu’il s’agit traditionnellement d’un rôle dévolu aux seniors. Cela leur a également permis de nouer des relations avec des personnes haut placées, et donc d’accélérer leur carrière.

Accepter de se prendre des “petites claques”

Bien sûr, pour que cela fonctionne, il faut que le binôme mentor-mentoré soit prêt à travailler ensemble. Déjà, ils doivent tous les deux bénéficier d’une petite formation en amont pour lever tous les biais, craintes et réticences qu’ils peuvent nourrir vis-à-vis de cette expérience. Par exemple, un cadre de direction de 50 ans peut craindre de révéler ses lacunes à un plus jeune.

Pour Jérôme, associé au sein d’un fonds d’investissement, le reverse mentoring exige en effet d‘accepter de se prendre des “petites claques”. “À 45 ans, c’est moi qui ai l’habitude de mentorer des plus jeunes, mais j’apprends aussi beaucoup de choses dans le sens inverse. J’ai tendance à être un bulldozer, j’avance à ma façon et je ne me rends pas compte que les gens fonctionnent différemment de moi. En inversant la relation, cela me permet notamment de revoir mon modèle d’intégration”, explique-t-il.

Certaines boîtes souhaitent pousser ce processus au maximum en créant des “shadow Comex” ou “shadow codir” dans lesquels des collaborateurs plus jeunes planchent sur les mêmes sujets que leurs aînés. Le but étant ensuite qu’ils partagent leur avis avant la réunion du “vrai” Comex.

“Je ne pense pas qu’une génération apporte plus qu’une autre, ce qui enrichit l’entreprise, c’est avant tout d’organiser la complémentarité. Il ne s’agit pas d’aider les dirigeants à manager la génération Z. Ce qui est intéressant, c’est de les faire travailler ensemble sur de vrais sujets de business. Le management doit faire preuve de plus d’humilité, il s’agit avant tout d’une approche participative”, explique Marc Raynaud, le spécialiste de l’intergénérationnel.

Les vrais influenceurs ne vendent pas forcément des codes promos, au contraire

Avec le reverse mentoring, il s’agit d’apporter un vrai changement culturel au sein de l’entreprise. À un moment, on arrive à un point où le futur ne peut pas être informé par le passé”, pointe Fabrizio Freda, le CEO d’Estée Lauder. En étant davantage en contact avec les jeunes employés de son entreprise, Jérôme estime que le premier apport du reverse mentoring est effectivement sociétal. “Ce qui drive les jeunes de 25 et 30 ans est vraiment différent. Cela me permet de mieux comprendre leurs leviers de motivation et aussi d’évoluer sur nos pratiques. Par exemple, nous sommes des financiers, donc il nous arrive de faire des choses pour maximiser les plus-values ce qui peut choquer la jeune génération, et nous impose d’employer d’autres arguments”, retient-il.

Il trouve d’autres valeurs dans ce rafraîchissement de la vision du travail : “Je trouve que nos jeunes employés sont plus compatissants, à l’écoute, et j’ai l’impression que c’est plus une question de génération, car nous n’étions pas comme ça, même à leur âge. Je ne dirais pas que j’ai fondamentalement changé ma manière de faire, mais cela m’influence”.

Pour suivre les aspirations de la jeunesse dans son entreprise, son fonds a musclé sa politique RSE pour obtenir l’exigeant label BCorp. Une manière de tendre l’oreille et d’écouter les jeunes générations rendue possible - entre autres - par le reverse mentoring. Preuve que la méthode peut influer sur la colonne vertébrale des entreprises en facilitant le dialogue entre les générations.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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