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Un bon RH doit-il forcément “aimer” les gens ?

C’est une question qui turlupine l’esprit de nombreux RH : faut-il nécessairement aimer les salarié.e.s pour être un bon professionnel ? Et que signifie le verbe aimer ? Allons sonder les cœurs de nos RH…


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Aimer. Le terme est fort si l’on s’en tient à la définition du Larousse : “Avoir pour quelqu'un, quelque chose de l'affection, de la tendresse, de l'amitié ou de la passion”. Alors, est-il adapté aux relations qu’un RH noue avec ses collaborateurs en entreprise ?

Pour Jean-Claude Le Grand, Directeur Général des Relations Humaines chez L’Oréal, n’ayons pas peur du verbe : “On est aujourd’hui dans une société qui passe tout à l’eau de javel et vide les mots de leur sens. Oui, il est essentiel d’aimer les gens pour être DRH. Il faut avoir fondamentalement envie d’aller vers les autres”.

L’amour du quotidien

Il ajoute que la qualité première d’un RH est de ne pas trop s’aimer soi-même, pour donner une plus grande part de soi. En poste depuis plus de 27 ans chez le géant de la cosmétique, il martèle qu’au-delà des déclarations de (bonnes) intentions, il est nécessaire d’apporter chaque jour des preuves concrètes de cet amour, qui plus est en période de crise. “Chez nous, cela signifie concrètement aider nos anciens collaborateurs à retrouver un travail quand nous menons des rapprochements de pays par exemple”, illustre-t-il, ajoutant continuer à rencontrer en permanence les employé.e.s de L’Oréal (surtout les plus jeunes) malgré son implication dans le Comex.

Pour Céline O’Quigley, psychologue clinicienne au sein de moka.care - une solution de santé mentale en entreprise - l’emploi du terme “aimer” est effectivement correct. “C’est même à la racine du métier. Les gens se tournent vers les RH, car ils ont cette fibre. D’ailleurs, je ne pense pas que l’on doive toujours séparer le pro du perso”, affirme-t-elle.

Peut-on aimer vraiment tout le monde ?

Mais parle-t-on d’aimer les gens, individuellement, ou d’aimer l’humain ? C’est ce que défend Jérôme Friteau, DRH au sein de l’Assurance Retraite. “Oui, il faut aimer l’humain, mais on ne peut pas aimer tout le monde. Je parlerais donc plutôt d’humanisme”, lance-t-il. Un humanisme qui l’aide notamment dans les négociations qu’il doit mener avec les partenaires sociaux : “les syndicalistes sont des personnes qui ont souvent un excellent radar pour détecter si leur interlocuteur les écoute et les respecte”.

Un point de vue partagé par Marie Delattre, influenceuse RH : “Bien sûr qu’un bon RH ne peut pas ne PAS aimer les gens. Mais il ne s’agit pas de les aimer individuellement”. Ce qui compte avant tout pour exceller dans le métier ? “Vouloir comprendre les gens”. Au verbe aimer, Danielle Celestino, DRH de CWP Global, substitue celui de “faire preuve d’empathie” : “Je n’emploierais pas le mot aimer. Mais avant de prendre une décision pour un collaborateur, j’essaie toujours de comprendre ce que la personne est en train de vivre”.

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Se brûle-t-on les ailes à force de trop aimer ?

Si elle estime que l’empathie est fondamentale dans la profession de RH, Danielle Celestino insiste sur la nécessité de se méfier d’une prise de décision centrée sur les émotions, afin de demeurer dans le rationnel. Jérôme Friteau, lui, martèle l’importance de se positionner toujours en faveur de l’intérêt général, qui ne correspond pas toujours à la somme des intérêts particuliers. “Ceci étant dit, un DRH passe son temps à établir des règles pour lesquelles il va créer des exceptions. Car c’est là qu’il exprime son humanité”, nuance-t-il.

Jongler entre l’individuel et le collectif, le care et le business, la direction et les employés : voilà toute la complexité du métier de RH. Et de nombreux professionnels en pâtissent aujourd’hui. La psychologue Céline O’Quigley peut en témoigner. “Beaucoup de RH souffrent d’une fatigue compassionnelle. Ils se demandent quelle est la limite de leur accompagnement, et quand ils doivent passer le relais”, explique-t-elle.

Les RH ne sont pas des psys

Marie Delattre met effectivement en garde les RH contre le syndrome du sauveur : “Les RH ne sont pas psy, mais ils ont tendance à tomber dans ce côté sacrificiel. Et c’est d’autant plus difficile à vivre que la fonction est mal perçue par la population générale, ce qui ajoute encore plus de frustration”.

Se dévouer corps et âme pour ses collaborateurs, c’est justement l’un des travers de Juliette, jeune RH dans une entreprise de 100 salariés. Elle nous confie voir défiler dans son bureau des employé.e.s qui se confient sur des problèmes personnels, et les accueillir (presque) comme le ferait une amie. “C’est épuisant émotionnellement, alors je ne viens au bureau que deux fois par semaine”, raconte-t-elle.

Le pire, selon elle, c’est de sentir qu’elle ne peut pas toujours répondre aux besoins de tous les collaborateurs sur des sujets professionnels. “Ils reviennent plusieurs fois et là, c’est dur. Alors, j’essaie de faire preuve d’un maximum de transparence. Ils savent que je remonte toujours tout à la Direction”, rapporte la jeune RH.

Les clefs pour se protéger en tant que RH

Consciente qu’elle ne pourra pas demeurer dans la profession si elle continue à accueillir toutes les émotions, y compris négatives, Juliette tente peu à peu de se protéger. Gérer tout autant le côté business que care est schizophrénique, et en même temps, cela m’aide à prendre de la distance”, nous confie-t-elle.

Pour Marie Delattre, cet aspect caméléon est au contraire la source de tous les maux. Elle plaide pour que l’on réforme en profondeur la profession : “je pense que le statut de RH n’est pas assez protecteur, notamment en termes juridiques. Il faudrait repenser la profession, c’est notamment pourquoi je milite en faveur de fonctions RH externalisées pour aider les RH à se protéger”.

Pour le CHRO de L’Oréal, le plus difficile dans ce métier, c’est plutôt la gestion du temps. “Il faut en accorder au maximum de monde, alors, on doit le compresser. Mais c’est essentiel de rencontrer les salarié.e.s, car mieux on connaît les gens, plus vite on va trouver des solutions quand ils auront un problème”, estime-t-il.

Les RH ne sont pas surhumains

Quant à la psychologue clinicienne de moka.care, elle invite chaque RH à prendre conscience des limites de son poste et des difficultés inhérentes à la fonction. Pour cela, elle croit beaucoup au partage d’expérience entre pairs, afin de coconstruire des solutions. Ce type de groupe de parole existe beaucoup outre-Atlantique, mais la pratique est moins commune dans l’hexagone.

Enfin, des outils comme l’approche du psychologue américain Carl Rogers en matière d’écoute active ont fait leurs preuves. “Il s’agit d’accueillir les salarié.e.s tout en gardant la juste distance”, explique-t-elle. Dans tous les cas, elle insiste sur le fait qu’il est délétère de se sentir rongé par une trop forte capacité d’empathie. “Si on se sent miné, il ne faut pas hésiter à passer le relais et à se faire soi-même accompagner. Le plus important étant de ne pas sombrer dans la solitude de la fonction”, conclut-elle.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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