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Les RH, métier du “care” ou métier du “business” ?

Entre la finance et la bienveillance, leur cœur balance ? Pris entre leur volonté de prendre soin des salariés, mais aussi la nécessité de répondre aux enjeux stratégiques de l’entreprise, les RH ne savent parfois plus vraiment quelle casquette chapeaute leur tête.


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Le métier de RH est une vocation. Quand on choisit cette profession, c’est avant tout parce que l’on souhaite sincèrement prendre soin des gens”, assure la conférencière Aude Selly, devenue spécialiste de la Qualité de vie au Travail après une longue carrière dans les RH. Mais dans la réalité, la profession est-elle entièrement dévolue au care ?

Si notre interlocutrice a raccroché sa veste de DRH, c’est justement parce qu’elle a fini par craquer face aux injonctions paradoxales du métier. “Pour moi, l’épuisement professionnel vient du conflit de valeurs. Ce qui est difficile quand on est RH, c’est qu’il faut sans cesse travestir ses émotions”, explique l’autrice de l’ouvrage “Autopsie d’un burnout” (Dunod, 2022).

Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir été prévenue. Aude se souvient des mots tranchants de sa professeure principale lors de sa formation : “si vous avez choisi le métier de RH pour assurer le bien-être des salariés, ce n’était pas la bonne orientation”. Même si Aude Selly continue de croire que la mission première d’un RH est de se préoccuper en premier lieu des salariés, elle, a, comme pour d’autres, finit par être lessivée par le métier. C’est la raison pour laquelle elle s’est ensuite orientée vers la QVT, comme beaucoup d’autres de ses comparses qui ne veulent plus endosser les multiples facettes du métier de RH.

Quand le bizz crée des bisbilles

DRH au sein de l’InterContinental Lyon - Hotel Dieu, Servane Courvoisier, ne peut que confirmer la teinte très business de sa profession, surtout dans son secteur d’activité. “L’hôtellerie de luxe est une industrie dans laquelle la fonction RH est très impliquée. En dehors de calculer la productivité des équipes et la masse salariale, nos décisions ont un vrai impact sur le business de l’entreprise”, explique-t-elle.

Membre du Comex depuis 5 ans, elle doit être en mesure d’avoir une vision à 360° sur tous les sujets de l’entreprise, allant du marketing à la restauration. Partenaire des équipes opérationnelles, elle les conseille sur des sujets qui auront irrémédiablement un impact sur le business. “Chez nous, c’est très clair : si, par exemple, nous n’avons pas assez de personnel pour faire tourner le restaurant, nous devons le fermer, avec à la clef une perte de revenu pour l’hôtel”, illustre-t-elle.

Mais au sein de l’hôtellerie, l’adage : “il faut prendre soin de ses équipes pour qu’elles prennent soin des clients” prend tout son sens. D’ailleurs, Servane considère que ses premiers clients sont ses salariés : si l’InterContinental Lyon - Hotel Dieu entend rester le plus bel hôtel de la ville, il n’a pas d'autre choix que d’attirer les meilleurs talents.

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Ne pas avoir cure du care

Du même coup, l’approche care prend aussi tout son sens ! “Nous sommes sur des métiers à forte pénibilité, et pour lesquels il n’y avait, jusqu'alors, que très peu de reconnaissance”, relève la DRH. Après la pandémie, la branche a dû rapidement réagir en augmentant les salaires minimaux sous peine de voir tous les établissements fermer les uns après les autres, faute de personnel.

Mais parce que les enveloppes ne sont pas extensibles à l’infini, Servane a dû proposer d’autres alternatives pour améliorer le package des employés, en travaillant par exemple sur un forfait mobilité douce, aligné avec la politique RSE de l’entreprise. C’est là que son rôle est éminemment politique.

La DRH a également mis en place des programmes de wellness pour remercier ses salariés, leur proposant chaque trimestre des séances de coiffure, manucure ou encore réflexologie pour prendre soin d’eux.  “On célèbre aussi beaucoup les succès, puisque c’est avant tout grâce à la qualité du service prodigué par les équipes que nous pouvons remporter des distinctions”, souligne la DRH.

Alors, c’était vraiment mieux, avant ?

On comprend donc rapidement que care et business sont les deux facettes d’une même pièce. De surcroît, il serait faux de dire qu’autrefois, le care avait davantage sa place. Si l’on reprend une perspective historique de la profession, le rôle de DRH ressemblait au départ à celui de chef du personnel, avec une forte dimension administrative.

La judiciarisation croissante de la société n’a pas délesté les RH de cette partie, mais on observe que les dimensions care et business ont conjointement pris le dessus. “Les vagues de suicides en entreprise dans les années 2008-2009 ont démontré que le travail pouvait tuer. Il a donc fallu prendre à bras-le-corps cette question. Avec la pandémie, le care est revenu encore plus fort puisqu’il s’agit désormais de retenir des salariés qui se posent beaucoup de questions sur leur travail”, analyse Aude Selly.

De la performance sociale nait la performance économique

De facto, les entreprises ont compris que pour être performantes, elles ne pouvaient pas faire l’impasse sur le care. Souvent mal-aimés, et mal compris, les RH ont donc dû s’emparer encore davantage de ce qu’Aude Selly considère pourtant comme leur fonction première, car la performance économique est totalement intriquée à la performance sociale. “En tant que RH, nous devons toujours garder cette posture d’équilibriste et ce n’est pas tous les jours facile”, analyse Servane Courvoisier

Pour parvenir à résoudre cette équation du second degré, Aude Selly encourage les RH à revenir sans cesse à la question du “why”, à savoir, quelles étaient leurs motivations en entrant dans cette fonction. Et d’ajouter : “Je crois que pour tenir dans ce métier, il faut être 100% authentique et aligné avec ses valeurs. C’est comme ça que l’on développe son courage managérial, et qu’on peut arriver à assumer ses multiples casquettes”.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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