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Afficher le salaire sur les annonces : la prochaine grande révolution des recruteurs ?

Lorsqu’on demande aux candidats s’ils souhaitent voir figurer le salaire sur une offre d’emploi, la réponse est claire : 95% y sont favorables. Mais du côté des employeurs, ça coince. Ils sont encore une infime proportion à pratiquer cette transparence. Alors, qu’est-ce qui les freine ? Et existe-t-il des solutions pour contourner ces difficultés ?


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Que les choses soient claires : les entreprises n’ont aucune obligation juridique de mentionner les salaires sur les offres d’emploi. Si certaines le font, c’est pour améliorer leur marque employeur et leur processus de recrutement. Parce qu’une chose est certaine : les candidats en ont marre de ne pas savoir où ils mettent les pieds.

Au sein de l’entreprise HelloWork, plateforme de mise en relation entre les candidats et les recruteurs, les salaires sont affichés dans les offres. Une pratique militante que la société a mise en place en interne, et souhaiterait promouvoir auprès de ses clients. François Leverger, Directeur Général d’HelloWork, relève :

Nous voulons éclairer au maximum les candidats dans leur choix. À ce titre, la transparence du salaire est une donnée fondamentale sur le poste. Elle permet à chaque partie de ne pas perdre de temps.

Selon lui, la transparence sur les offres de salaire permet aussi de lutter contre les discriminations, en rémunérant les personnes sur la base du poste et de leurs compétences, et non de leur sexe, origine ethnique, ou encore de leur capacité à négocier (sachant qu’à peine plus d’un tiers des femmes négocient leur salaire*).

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5 raisons qui freinent les entreprises

Fondateur du cabinet de recrutement Clémentine, spécialisé dans les fonctions IT, Emmanuel Stanislas observe le même mouvement : la transparence sur les salaires dans les offres est une demande très forte des candidats. Mais - ô déception - peu des entreprises qu’il accompagne sont prêtes à le faire. Pourquoi ? Voici les raisons principales :

1. Ne pas aider la concurrence. En restant dans le flou, on ne donne pas de billes aux autres boites.

2. Ne pas déstabiliser en interne.
l’heure actuelle, les salaires sur le marché sont tirés vers le haut. De ce fait, il y a souvent un décalage entre ce que sont rémunérés les salariés déjà en poste, et le salaire d’entrée des nouveaux arrivants”, observe Emmanuel Stanislas.

Pour François Leverger, il s’agit effectivement de l’une des plus grandes difficultés pour les entreprises. C’est d’autant plus vrai que les sociétés traditionnelles doivent faire face aux startups perfusées par les levées de fonds. “Dans ce cadre, les investisseurs vont être prêts à payer plus cher les meilleurs talents pour chercher de l’hypercroissance, alors que les entreprises qui s’auto-financent ne pourront pas forcément suivre l’explosion du marché”, relève-t-il.

Ceci étant dit, il y a fort à parier pour que le salaire du nouvel entrant, même s’il n’est pas immédiatement affiché sur l’offre, finisse par fuiter dans l’entreprise. Au bout du compte : des conflits entre les anciens et les nouveaux arrivants. À voir si l’employeur préfère désamorcer la bombe avant qu’elle n’explose !

3. Une difficulté à trouver le bon niveau de rémunération.

Les entreprises ne sont pas toujours capables de déterminer le juste niveau de rémunération à un poste. Certaines sont novices sur un type de métier qu’elles n’ont pas en interne, et n’ont donc pas de grille de référence. “Elles préfèrent alors tâter le marché plutôt que de mettre un salaire qui ne serait pas en adéquation avec le métier”, relève Emmanuel Stanislas.

4. La fausse bonne idée de “la fourchette” de salaire.

Pourquoi ? Emmanuel Stanislas constate :

Les candidats vont naturellement se positionner sur la fourchette haute, même s’ils n’ont pas forcément le niveau de séniorité. Ils risquent alors d’être déçus si l’entreprise leur propose moins.

Et puis ces fourchettes peuvent faire croire que l’entreprise n’est pas prête à payer un petit peu plus pour un candidat, ce qui n’est pas nécessairement vrai si ce dernier s’avère exceptionnel. “La fourchette risque donc de décourager certains candidats alors que le matching aurait pu se faire”, ajoute-t-il.

5. La rareté d’un poste.
Les entreprises refusent enfin de mettre les salaires sur les offres dans des situations très particulières, quand l’intitulé du job cible une population très restreinte. “C’est le cas par exemple avec les directeurs d’hôtels 5 étoiles. Ils sont si peu nombreux que si vous mettez le salaire sur l’offre, cela revient à révéler nominativement le salaire de la personne”, constate François Leverger.

Est-on vraiment dans une impasse ?

Pour Emmanuel Stanislas, la transparence sur les offres d’embauche est un sujet très actuel, mais de son côté, il lui est difficile de trancher à l’heure actuelle :

Le sujet de l’argent ne doit pas être tabou et être abordé très vite dans les entretiens pour que le candidat s’assure de la recevabilité de ses aspirations.

"C’est d’ailleurs notre rôle en tant que recruteur de l’aborder dès le premier entretien avec le candidat. Mais je comprends la réticence de mes clients à afficher le salaire”.

De son côté, François Leverger concède que le sujet est difficile, mais pas impossible. “Ce n’est pas parce que c’est compliqué qu’il ne faut pas tenter de trouver des solutions. Je pense que le monde du recrutement n’a pas encore fait sa révolution, et qu’il s’agit de l’un des combats à mener, plaide-t-il.

3 mesures pour briser le tabou de l’argent en entreprise

1. Sur les tensions en interne

Revoir le framework de salaires dans l’entreprise une à deux fois par an pour coller au marché afin d’améliorer la rétention (en augmentant les salariés en interne), et l’attraction en externe (en collant aux salaires pratiqués par la concurrence). “Et si l’entreprise ne peut pas suivre l’explosion du marché, elle doit être transparente et l’expliquer à ses salariés”, conseille François Leverger.

2. Sur le manque de recul par rapport à certains métiers

Il existe de nombreuses grilles de rémunération disponibles gratuitement sur les sites d’entreprises spécialisées en recrutement (Clémentine et HelloWork publient régulièrement des baromètres, tout comme Ignition Program). Bien sûr, elles doivent être adaptées à chaque industrie, mais elles constituent un bon socle pour démarrer. Cela évite de se lancer dans un recrutement à l’aveugle !

3. Sur le sujet des fourchettes

Proposer un salaire médian plutôt qu’une fourchette pour ne pas engendrer de déception. Indiquer trois niveaux de salaire selon le niveau d’expérience (2, 5, 10 ans). Notons enfin que l’objectif de cette transparence n’est pas nécessairement d’augmenter le nombre de candidatures, “mais d’améliorer leur qualité en s’assurant d’attirer des personnes en phase avec le niveau de maturité demandé”, affirme François Leverger. De son côté, Emmanuel Stanislas conclut :

Alors, la transparence des salaires sur les offres va-t-elle devenir la norme dans les années à venir ? Le chemin est encore long.

Au fond, rappelons que l’annonce sert à donner envie d’échanger, sans jamais avoir pour ambition de tout dire, au point de rendre les échanges inutiles.

*Sondage mené sur LinkedIn par le cabinet de recrutement Clémentine en 2023 auprès de 574 répondants. Sondage OpinionWay pour KPMG, 2019

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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