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Télétravail : ami ou ennemi de notre santé mentale ?

À l’heure actuelle, 48% des salariés se disent en situation de détresse psychologique (Empreinte Humaine x Opinion Way). Alors que le télétravail s’est fortement développé depuis la pandémie, doit-on y voir une corrélation évidente ? Que sait-on aujourd’hui de l’impact du télétravail sur notre santé mentale ?


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Le télétravail est-il à la racine du mal qui gangrène les travailleurs ces dernières années ? Dans un rapport publié en 2021 au sortir de la pandémie, l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail a démontré que le télétravail a augmenté le risque de voir les salariés développer des problèmes de santé mentale, ainsi que des troubles musculosquelettiques.

Dans l’Hexagone, la DARES a également confirmé cette tendance dans un rapport publié en février 2022, et portant sur le télétravail durant la crise sanitaire. “Nous avons pu observer une dégradation collective sur les symptômes dépressifs et les troubles du sommeil notamment. Toutefois, il est difficile d’imputer cela uniquement au télétravail. Il s’agit de l'accumulation d’un ensemble de facteurs de risques (intensité du travail, horaires, autonomie, sens au travail, conflit de valeurs, rapports sociaux, exigence émotionnelle, insécurité de l’emploi)”, pointe Louis Alexandre Erb, statisticien et économiste au sein de la DARES.

Le télétravail, un faux-ami ?

Dans son cabinet parisien, le psychologue Pascal Anger est irrémédiablement confronté à ce sujet puisque “le travail occupe une grande place dans nos vies”. Alors forcément, le changement organisationnel impliqué par la généralisation soudaine du télétravail a eu des conséquences, tantôt positives, tantôt négatives, sur la santé mentale des travailleurs.

Pour sûr, l’autonomie et la flexibilité ont été, et sont encore, plébiscitées par les salariés. “C’est ce qui explique qu’une proportion importante de salariés désirent conserver du télétravail”, note l’expert de la DARES.

Ces points positifs comportent aussi un revers de la médaille, entraînant une difficulté à déconnecter du travail. “J’ai rencontré de nombreux patients qui n’arrivaient plus à faire de coupure entre le travail et le privé, entre le jour et la nuit. Tout cela peut rapidement mener à l’épuisement”, affirme-t-il.

En cause ? Une hausse du temps effectif de travail. Dans l’enquête publiée par Empreinte Humaine et Opinion Way, il ressort que le télétravail a induit une charge de travail supplémentaire pour un télétravailleur sur deux. Les managers et les cadres seraient encore plus exposés à ce risque.

Le télétravail révèlerait-il notre addiction au travail ?

Dans ses travaux, la DARES a également pu constater un accroissement de la durée du travail chez les individus effectuant le plus de télétravail. “De même, les horaires décalés sont plus fréquents chez cette population interrogée durant la crise sanitaire, alors que le télétravail constitue pour beaucoup une nouveauté”, poursuit Louis Alexandre Erb.

Dans un article publié par Suzy Canivenc pour la chaire Futurs de l’Industrie et du Travail : Formation – Innovation – Territoires des Mines ParisTech, il est effectivement rapporté que le télétravail a tendance à absorber tous les temps de la vie, comme s’il s’agissait d’un “échange social” pour combler une forme de redevabilité du télétravailleur envers son entreprise. Dans la pratique, Pascal Anger se souvient ainsi de télétravailleurs qui - avant la pandémie – souffraient des remarques piquantes de leurs collègues quand ils partaient le jeudi soir du bureau pour télétravailler le lendemain.

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Aujourd’hui, le regard porté sur le télétravail a changé, mais les télétravailleurs ont encore du mal à déconnecter, s’exposant au fameux blurring (le brouillage des frontières entre vie privée et professionnelle). “Cette situation ne relève pas seulement de la contrainte organisationnelle ou de la disponibilité du travailleur (du fait qu’il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire) ; elle révèle aussi une tendance à l’addiction. En télétravail, l’addiction au travail (workaholism) se double de celle liée aux nouvelles technologies, réputées pour leurs effets sur les hormones du plaisir et leur capacité à capter notre attention”, écrit Suzy Canivenc qui souligne que peu d’entreprises mettent véritablement en oeuvre le droit à la déconnexion, ce qui n’aide pas les salariés à lâcher leur smartphone et ordinateur portable.

Loin des yeux, loin du coeur ?

L’autre impact notable du télétravail sur la santé mentale est lié au manque de lien social. “On a pu observer que les salariés qui travaillent le plus à distance pouvaient avoir des problèmes pour se mettre en lien avec leur hiérarchie, lui demander de l’aide quand cela était nécessaire”, affirme l’économiste de la DARES. Il explique toutefois qu’en 2021, il ne s’agissait pas de la préoccupation première des télétravailleurs, bien que seulement 1 télétravailleur en full remote sur 5 voulait poursuivre sur ce régime-là.

Dans les faits, une étude parue en 2015 avait montré qu’après 21 mois, le taux de promotion était inférieur de 50 % chez les salariés pratiquant le télétravail par rapport à leurs collègues, à 100 % sur site. Cela s’explique notamment par les biais de proximité. De plus, seulement 8% des managers s’estimaient “tout à fait sûrs de pouvoir détecter une situation de mal-être ou de difficulté de leur équipe”, selon une enquête publiée par l’UGICT-CGT.

Pour Pascal Anger, la distance peut effectivement compliquer grandement la communication : “en échangeant à l’écrit, on se met certes à distance de certaines émotions, mais on peut aussi ouvrir la voie aux quiproquos et se poser tout un tas de questions, explique-t-il.

Le télétravail n’est ni l’enfer, ni le paradis

Par-delà, il insiste sur l’importance du contact avec les collègues en entreprise, qui explique d’ailleurs en partie le mouvement de retour au bureau qu’on observe de plus en plus. 93% des personnes interrogées dans une récente étude Slack x Opinion Way souhaitent se rendre au bureau au moins un jour par semaine. “Beaucoup de salariés restent dans leur entreprise parce qu’il y a une bonne ambiance, en dépit d’un travail parfois peu passionnant. Nous avons tous besoin de parler du dernier film que nous avons vu au cinéma ou encore de partager une mauvaise nouvelle que nous avons eu au travail avec un collègue. À distance, ces échanges sont plus difficiles et cela crée facilement de l’isolement”, affirme le psychologue Pascal Anger.

Au final, il sera intéressant d’observer les prochains résultats de la DARES sur l’impact du télétravail pour pouvoir apprécier ses effets sur la santé mentale, tandis que les organisations se sont bien mieux adaptées au travail à distance, et que les modalités de collaboration hybrides se sont ancrées dans les pratiques. Comme le conclut l’article de Suzy Canivenc qui cite la Fondation Jean-Jaurès, “le télétravail n’est ni l’enfer, ni le paradis et ne mérite ni emballement excessif, ni dénigrement dogmatique. Il est, comme toute organisation du travail et comme toute évolution, à réguler, à ajuster, à interroger”.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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