RH Life : comment gérer mon senior ? La clé, c’est la transmission
Ils ont traversé bien des crises et connaissent mieux que personne l’entreprise. Qui ? Les séniors pardi. Pourtant, quand sonne l’heure de la retraite, on les laisse se diriger vers la porte de sortie sans anticiper la transmission de leur savoir-faire. Erreur fatale !
La SNCF obligée de passer un coup de fil à ses conducteurs retraités pour ses lignes de TER, faute de jeunes pour leur succéder ? Des médecins généralistes retraités appelés à la rescousse pour lutter contre les déserts médicaux ? Voilà le genre de scénarios qui se multiplient ces dernières années. Et pour cause : la pénurie de main-d'œuvre fait rage dans l’Hexagone. Alors, on va taper à la porte d’une population que l’on ne considère pas toujours à sa juste valeur : les vieux.
Chaque année, 850 000 actifs atteignent la soixantaine, soit une force de travail gigantesque qui se rapproche du départ à la retraite, voire qui s’est déjà arrêtée. Dans le même temps, 800 000 contrats d’apprentissage ont été signés en 2022. Alors, on imagine très facilement que ces deux populations sont faites pour se rencontrer, les seniors étant en juste position pour accompagner les juniors dans leur formation.
“La société considère les seniors comme has been”
Dans les métiers de l’artisanat, la transmission du savoir est bien ancrée dans la culture des entreprises : on parle du lien qui unit “l’artisan et le novice”. Malheureusement, c’est loin d’être le cas partout ! Conférencière en management durable et bienveillant, Céline Thomas le déplore : “Peu d’entreprises prennent ce sujet au sérieux, hormis dans des domaines où cela est crucial comme la cybersécurité par exemple”, regrette-t-elle.
Pourquoi ? Et bien le constat n’est pas très reluisant : “les entreprises ne jouent pas le jeu car globalement, la société considère les seniors comme has been, comme s’ils n’avaient plus rien à nous apprendre”. Autrement dit, quand un senior va bientôt partir à la retraite, on l’associe au passé, et on ne lui accorde plus de temps ni d’importance. Ce manque d’investissement témoigne de la faible place que l’on accorde au senior dans l’entreprise.
Céline Thomas se souvient ainsi de son père, technicien pendant 35 ans au sein d’une même structure, qui a transmis son expérience par pure conscience professionnelle, sans être accompagné par son entreprise. Le genre de trou dans la raquette que l’on rencontre trop souvent !
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Les seniors, des livres ouverts sur l’entreprise
Et c’est bien dommage, car les seniors ont énormément à apporter aux plus jeunes : ils sont de vrais livres ouverts sur la culture de l’entreprise, ses codes, jeux de pouvoir, etc. Alors qu’elle était âgée de 26 ans, Céline se souvient ainsi s’être reposée sur une senior de 55 ans : “on m’avait confié un projet, et je me suis appuyée sur elle pour comprendre comment fonctionnait la boîte. Sans elle, je n’y serais jamais arrivée”.
Car ceux qui ont de la bouteille connaissent parfaitement l’historique de clients, les évolutions stratégiques, la manière de fonctionner au sein de l’organisation, les personnes qui comptent. Certains ont même des savoir-faire techniques uniques qui risquent de s’en aller à tout jamais si aucune passation n’est organisée. C’est ce que l’on a pu observer récemment avec EDF contraint de faire appel à des soudeurs américains sur ses centrales, car l’entreprise n’avait plus les ressources internes suffisantes.
Heureusement, certaines entreprises sont bonnes élèves…
Maintenant que l’on a planté le décor, pas très positif on vous l’accorde, regardons ce qui se passe bien. Certaines entreprises nous donnent de formidables exemples d’une prise à bras le corps de ces sujets. C’est le cas notamment d’APICIL, l’un des géants de la protection sociale. Créé il y a plus de 85 ans, le Groupe considère ses collaborateurs comme sa ressource la plus précieuse, sachant que la majorité d’entre eux… a plus de 55 ans ! Cette population représente 18% des effectifs, contre 15% pour la tranche des 45 ans.
Alors, APICIL mène une politique volontariste en matière de diversité et d’inclusion, soucieuse de permettre à chacun de ses employés de performer, peu importe son âge. Sofiene Chaabani, Responsable SIRH, Carrières, Diversité & Inclusion chez APICIL, nous explique que l’entreprise identifie les compétences critiques de ses salariés - y compris seniors - afin de leur permettre d’être toujours à la pointe dans leur domaine.
Outre le volet formation, APICIL est très impliqué sur celui de la transmission. À partir de l’âge de 58 ans, les collaborateurs sont accompagnés pour assurer le passage de relais. “Nous considérons nos seniors comme des sachants, c’est pourquoi nous avons mis en place un dispositif appelé ‘expert pédagogique’”, nous explique-t-il. L’idée étant d’identifier les collaborateurs pouvant être concernés via les revues de personnel, puis de leur fournir les ressources nécessaires pour transmettre leur savoir avec pédagogie. Chaque mois, un comité est organisé pour identifier les plans de succession.
Sur le volet de l’alternance, des tuteurs seniors sont désignés pour accompagner les plus jeunes. “Cela permet de créer un trait d’union entre les générations. L’idée n’est pas de marier les jeunes et les vieux, mais d’adopter un esprit collectif de transmission”, poursuit Sofiene Chaabani. Les seniors de plus de 55 ans peuvent aussi être amenés à accompagner les quadragénaires dans leurs mobilités internes, ou lors de recrutements externes. De façon générale, APICIL entend “adoucir la pente pour les seniors” en leur permettant de décélérer au fur-et-à-mesure, via du temps partiel par exemple, payé en temps plein.
Une manière de prendre soin des seniors qui en dit long sur la façon dont APICIL considère cette ressource précieuse !
Dernier appel pour le vol retraite
Last but not least pour les entreprises qui ont loupé le coche : il existe désormais une nouvelle plateforme permettant de faire appel à des retraités qui désirent rester en activité via l’auto-entrepreneuriat ou le contrat de prestation de services. La plateforme Silvex permet ainsi de faire matcher les besoins d’entreprises avec l’expérience des retraités.
“Nous avons par exemple le cas d’un menuisier qui est venu pour aider sur un pic de production, et qui a continué sa mission pour former les apprentis”, nous explique Jean-Baptiste Gamblin, fondateur de Silvex. Autre cas de figure encore plus étonnant : certaines entreprises, qui n’ont pas anticipé la passation des connaissances, font appel à leurs anciens salariés retraités pour assurer le volet transmission, en freelancing. Comme on dit… mieux vaut tard que jamais !