Un monde sans IA : que se passerait-il en 2050 si on débranchait tout ?
Face à la consommation astronomique d’énergie et de ressources primaires pour faire tourner l’IA, peut-on raisonnablement imaginer continuer à utiliser l’intelligence artificielle sans aucune limite ? Mais alors, quelles seraient les conséquences pour notre société si nous arrivions au point de rupture ? On s’était dit rendez-vous dans 25 ans…
La prochaine fois que vous ferez une requête Chat GPT, sachez que l’IA générative pompe 30 fois plus d’énergie qu’une simple recherche sur Google, alerte Sasha Luccioni, chercheuse spécialisée dans l'impact environnemental de l'IA. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), les centres de données associés à l'IA et aux cryptomonnaies ont consommé près de 460 TWh d'électricité en 2022, soit 2 % de la production mondiale. Bon, on anticipe les réactions : certains rétorqueront que cela ne sera bientôt plus un problème si nous parvenons à maîtriser la fission nucléaire. Mais pas si vite, cher techno-optimiste, "on ne prend même pas en compte l'eau ni les matériaux rares dans ce calcul", ajoute la chercheuse.
Dans un monde où la guerre pour l’or bleu va contraindre des populations à migrer massivement, imaginer que l’on ralentisse l’usage de l’IA ne semble donc clairement pas dystopique. “Pour autant, je m’étonne que l’on ne prenne pas plus de hauteur sur le sujet, quand bien même je suis dans une boîte qui vend elle-même des produits à base d’IA comme c’est le cas aujourd’hui dans presque toutes les sociétés de la tech”, s’interroge Julie Asselin, CMO de 365Talents, qui a récemment consacré un épisode de son podcast à ce sujet.
Pour Laetitia Vitaud, experte du futur du travail, il semble effectivement évident qu’on ne puisse plus utiliser l’IA de manière effrénée à l’avenir. “Pour l’heure, cet usage a été ultra-subventionné par les levées de fonds, mais un jour il faudra intégrer les vrais coûts pour rendre ces usages rentables”, pointe-t-elle. Finito, donc, la génération d’images à gogo alors qu’il existe déjà des millions de clichés qui dorment dans les banques de données. L’usage de l’IA devra être raisonné, et raisonnable.
Vers un activisme anti-IA ?
La réglementation sur l’usage de l’IA pourrait ainsi se renforcer, mais on peut aussi imaginer un scénario plus draconien. “Je pense personnellement que le mouvement anti-IA pourrait démarrer avec des activistes, tandis que des tensions se créeraient entre les états parce qu’il n’y aurait pas assez d’énergie et de ressources pour tout le monde”, analyse Julie Asselin.
Même son de cloche du côté de Julien Granata, Professeur de management à MBS School of Business et spécialiste en psychologie de la communication. Pour lui, toute révolution engendre fatalement son mouvement contraire. L’utilisation outrancière de l’IA pourrait selon lui nous conduire vers différents phénomènes “en réaction” : “J’imagine un mouvement décroissant, qui pourrait être impulsé par exemple par les électro-sensibles. On peut imaginer que certaines personnes développent en primeur des maladies qui n’existent pas encore à grande échelle, et prônent ainsi un retour à la nature”.
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L’usage massif de l’IA, notamment à des fins militaires, pourrait aussi engendrer une radicalisation des mouvements anti-IA. À l’heure actuelle, il existe déjà en Chine un petit frère de Terminator. Il s’agit d’un robot anti-émeutes capable de se déplacer à toute vitesse, de retenir quelqu'un par les jambes ou encore de projeter des fumigènes. “Peut-être que comme pour la bombe nucléaire, on va arriver à un acte si violent mené par un robot que cela va calmer le jeu par la suite”, poursuit le professeur.
Mais si l’IA disparaissait, faudrait-il réapprendre… à apprendre ?
Dans un scénario où l’usage de l’IA viendrait à diminuer considérablement, que se passerait-il pour ces hordes d’étudiants et d’employés qui ne peuvent plus se passer de Chat GPT et consors ?
Pour Laetitia Vitaud, l’usage outrancier de l’IA conduit effectivement à des difficultés majeures qu’il convient dès à présent d’anticiper. Tout d’abord, une baisse tendancielle de la qualité des productions artistiques, intellectuelles et littéraires, ainsi que leur uniformisation. “La masse d’informations engendrées par l’IA augmente de manière démesurée face aux données qualitatives qui nourrissent l’IA, sans compter que ces données primaires peuvent elles-mêmes être dégradées par l’IA”, s’inquiète la spécialiste. En somme, l’IA n’est autre que ce que vous lui donnez à mijoter. Et si vous lui fournissez un bon vieux cordon bleu nutri score D, ne vous attendez pas à mieux qu’un plat industriel réchauffé.
Plus inquiétant encore, Laetitia Vitaud craint une crise cognitive majeure avec à terme une incapacité des individus à réfléchir, analyser, synthétiser et trancher face à des données complexes. “Avec l’IA générative, on perd l’habitude de pratiquer cette gymnastique intellectuelle. Tout cela nous rend toujours plus idiots et surtout anxieux car notre cerveau n’est pas taillé pour ce flux incessant”, s’inquiète-t-elle.
Des enfants pas si crétins…
Bon, il est vrai que jusqu’à présent, nous n’avons pas été ultra-optimistes. Mais thanks God, tout n’est pas si noir. De nombreuses têtes pensantes se posent déjà les bonnes questions en matière d’éducation. Par exemple, en Australie, on a interdit l’usage des réseaux sociaux pour les plus jeunes, tandis que de nombreuses écoles ont retiré les tablettes numériques pour repasser au bon vieux crayon à papier. Car comme le disait Maria Montessori, l’intelligence ne passe-t-elle pas par la main ?
“De plus, je ne pense clairement pas que nos enfants soient devenus des crétins. Certes, ils n’ambitionnent pas d’acquérir des connaissances encyclopédiques, mais ils ont développé une forme de créativité, une capacité à se mettre en scène pour le pire mais aussi le meilleur, ils ont développé une plus grande perception d’eux-mêmes. On en revient également à une forme de culture de l’oralité qui n’est pas inintéressante, même si pour ma part, ma pensée chemine par l’écrit”, constate Laetitia Vitaud.
Retour à l’essentiel
En matière d’éducation, les enjeux sont donc bel et bien réels et méritent dès à présent toute notre attention. Car l’usage intempestif de l’IA pourrait clairement scinder notre monde entre les sachants et les non-sachants en cas de disparition de cet outil si addictif. L’accès à la connaissance en serait bien évidemment chamboulé. “Les centres de recherche et les bibliothèques redeviendraient des lieux de savoir, et on pourrait imaginer la formation de guildes à travers lesquelles les anciens transmettraient leurs savoirs, comme autrefois avec les compagnons”, pointe Julien Granata.
Et puisque l’on en revient à cette passation du savoir ancestrale, se pourrait-il du même coup que l’IA signe un retour aux métiers “essentiels” ? Et si l’on redonnait aux métiers foncièrement humains leurs lettres de noblesse (enseignement, care…) ? “Ces métiers qui ont toujours existé ne sont pas les plus valorisés aujourd’hui, mais ils pourraient l’être demain. Je crois aussi au retour de l’artisanat, à celui du temps long. C’est primordial pour se reconnecter à soi car si l’on continue ainsi, les maladies mentales vont continuer à exploser”, estime Julie Asselin.
Alors, finalement, avons-nous besoin de parvenir au parachèvement de notre humanité – dans toute son obscurité version connectée – pour mieux la retrouver ? Il semble en tout cas que nous soyons arrivés au bout d’une ère. À nous d’écrire le nouveau chapitre.