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Pour ou contre “les congés illimités” : dérapage assuré ou sérénité retrouvée ?

Et si on vous proposait de partir en vacances sans jamais vous soucier du nombre de jours ? Et s’il n’y avait pas de compteurs à respecter ? C’est la promesse des congés illimités. Vraie avancée sociale ou fausse bonne idée ? Duel entre deux patrons.


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Des vacances à gogo, sans limitation ?  C’est à première vue la vision que l’on peut avoir des congés illimités. D’ailleurs, rares sont les entreprises à avoir franchi le pas. Parmi ces pionnières, Anikop, société éditrice de logiciels de gestion, qui pratique les congés illimités depuis 2 ans. Une politique qui questionne tout autant qu’elle intrigue. Nicolas Perroud, Directeur associé chez Anikop, se prête pour nous au jeu du pour et contre. Son adversaire ? Emilie Legoff, Présidente de la French Tech Lyon Saint-Etienne et CEO de Troops, éditeur de logiciels d'intérim. Alors, qui convaincra l’autre ?

Finalement, pourquoi ne pas prendre 300 jours par an ?

Les congés illimités : essentiels pour récupérer ou vacances en mode open bar ?

Nicolas Perroud : Pour moi, l’idée des congés illimités, c’est simplement de prendre ce dont on a besoin, plutôt que ce à quoi on a droit. C’est d’ailleurs pour cela que je parle de congés libérés plutôt que de congés illimités. Si j’ai choisi de les mettre en place dans mon entreprise, c’est d’abord parce que j’ai eu besoin de temps pour rééquilibrer ma propre vie. Et donc, si j’en profitais, pourquoi pas les autres ? Et puis, c’est un gain de temps administratif considérable car chez Anikop, les congés libérés (qui sont payés) ne sont soumis à aucune autorisation préalable, et aucun contrôle a posteriori. Je suis incapable de vous dire qui prend quoi dans mon entreprise !

Emilie Legoff : Ma propre définition des congés illimités, c’est qu’il n’y a pas de limites. Finalement, pourquoi ne pas prendre 300 jours par an ? C’est pourquoi je ne suis pas en leur faveur. Je pense que légalement, il y a un vrai risque. Comment une entreprise pourrait-elle justifier un licenciement pour motif de non-engagement, si les congés illimités sont autorisés dans l’entreprise ?

Me préoccuper des 97% les plus impliqués, plutôt que de me centrer sur les 3% qui seraient tentés de profiter du système.

Avec les congés illimités, y a-t-il encore un pilote dans l’avion ?

Nicolas Perroud :  Oui, je reste un dirigeant attentif. Mais le virage que j’ai opéré procède de longues réflexions. Avant de mettre en place les préceptes de l’entreprise libérée chez Anikop, j’ai moi-même tenté d’instaurer des lignes rouges. Mais j’ai vu que comme avec les enfants, il y avait toujours des salariés qui parvenaient à contourner la règle.

Depuis 2016, j’ai donc pris le parti de responsabiliser fortement les salariés, et de me préoccuper des 97% les plus impliqués, plutôt que de me centrer sur les 3% qui seraient tentés de profiter du système. Nous avons d’abord passé tous les salariés au statut de cadre forfait jour, supprimé les horaires, ôté les couches de management en renommant les différents postes (par exemple, il n’y a pas d’assistant chez nous).

Cela va de pair avec des objectifs qui sont communs à tous les salariés et l’absence de variable dans la rémunération. Ainsi, tous les employés sont engagés dans la réussite de l’entreprise. Ce n’est qu’après que sont venus les congés illimités. Notre prochaine étape ? La semaine de 4 jours.

Emilie Legoff : Ne plus avoir le contrôle, ce serait effectivement l’une de mes craintes. C’est sûrement lié à ma personnalité, mais j’ai vraiment besoin de rester aux manettes, d’avoir des boutons de sortie si je sens qu’une personne n’est pas impliquée dans son travail, ou que les résultats ne sont pas au rendez-vous.

J’accorde beaucoup de confiance à mes salariés puisqu’ils sont en 100% télétravail et que je ne contrôle pas les horaires. Il n’empêche que je suis quelqu’un qui donne rarement de seconde chance, et que j’ai vraiment besoin d’avoir la main sur ce qui se passe dans mon entreprise.

L’autre risque que je vois, c’est que les grandes gueules prennent le pouvoir, pendant que d’autres, qui font le travail, n’oseraient pas profiter du système.

Les congés illimités peuvent-ils créer des inégalités entre les salariés ?

Emilie Legoff : L’une de mes craintes concernant les congés illimités, c’est le risque d’injustice. Autrement dit, que les personnes les plus motivées soient moins récompensées, car elles ont tendance à prendre moins de congés. Je le vois au sein de mon entreprise où j’ai des salariés avec un esprit entrepreneurial : ils ont déjà du mal à poser leurs congés légaux, il faut leur rappeler ! À l’inverse, on voit de plus en plus de salariés qui ont envie d’équilibrer leur vie professionnelle et personnelle. Ils sont moins impliqués et risqueraient de prendre beaucoup plus de congés.

Du coup, je trouve le système injuste, ou alors il faut rééquilibrer au niveau des salaires et de l’ascension au sein de l’entreprise. L’autre risque que je vois, c’est que les grandes gueules prennent le pouvoir, pendant que d’autres, qui font le travail, n’oseraient pas profiter du système. Je l’ai vécu dans une précédente boîte que j’avais rachetée, et qui fonctionnait sous le mode de l’entreprise libérée.

Nicolas Perroud : Quand nous avons mis en place les congés illimités, nous nous sommes faits accompagner d’un coach pour travailler sur les égos, mais aussi les peurs des salariés. Parmi ces peurs il y avait : pourquoi changer de système alors qu’il fonctionne ? Est-ce que mes collègues vont contrôler si je prends plus de vacances ?

Nous avons établi une charte morale qui n’a pas de valeur juridique mais qui a fixé un certain nombre de règles comme un délai de prévenance, le fait de s’assurer de ne pas mettre en péril un projet, ou encore le fait que les congés illimités, ce n’est pas prendre une année sabbatique. Au final, tout s’autorégule entre les salariés, et si un collaborateur venait à abuser, cela finirait par se voir et m’être remonté car nous travaillons en présentiel.

Nous ne mentionnons pas les congés illimités dans les offres.

Les congés illimités, un argument marketing qui fait mouche auprès des candidats?

Emilie Legoff : Oui parce que clairement si j’étais salariée, j’irais dans ce genre d’entreprise et j’en profiterais. Et puis le marché du recrutement est tendu actuellement (j’ai déjà eu des demandes incongrues de candidats qui voulaient qu’on leur livre leur repas à domicile, ou encore qu’on leur prenne un coach sportif à la maison). Donc dans ce contexte de surenchère, c’est un très bon argument pour convaincre des talents. Même si je pense que le marché du recrutement va se tendre et que le rapport de force va évoluer entre candidat et employeur.

Nicolas Perroud : Chez Anikop, nous ne mentionnons pas les congés illimités dans les offres. On évoque juste une entreprise avec un management différent. Si dans la lettre de motivation ou lors du premier entretien, le candidat démontre que c’est un moteur très fort pour lui, on l’écarte, car il n’est pas là pour les bonnes raisons. Par contre, c'est sûr que lors d’un second entretien, on l’évoque puisque cela peut faire la différence avec une autre offre. Et bien entendu, cela permet par la suite de fidéliser les équipes.

Tout le monde n’est pas fait pour ce mode de management, ceux qui sont perdus par le manque de cadre ne restent pas.

Les congés illimités, possibles pour toutes les entreprises ?

Emilie Legoff : Au stade où en est mon entreprise, cela me paraît incompatible de mener une politique de congés illimités, car mes effectifs doublent chaque année, et que je connais aussi des échecs de recrutement. Troops est en hypercroissance, et je ne suis pas sûre que les gens iraient au bout d’eux-mêmes avec ce genre de dispositif.

Et puis, même si l’on est rentable, pourquoi ne pas aller chercher encore plus de croissance puis partager les gains entre tous les salariés ? Mes employés sont souvent dans une dynamique où ils construisent leur vie, s’achètent leurs premiers logements. Ils ont envie d’avancer et je ne crois pas que les congés illimités soient sur la bonne trajectoire.

Nicolas Perroud : Anikop est rentable depuis 2012, nous sommes en croissance depuis 16 ans, même si nous avons supprimé les objectifs commerciaux. Nous voulons simplement pouvoir payer les charges et les salaires, et bien sûr travailler sur des projets qui nous passionnent. Mais c’est vrai que tout le monde n’est pas fait pour ce mode de management, ceux qui sont perdus par le manque de cadre ne restent pas.

Les congés illimitées, c’est aussi pour les patrons ?

Emilie Legoff : J’ai 4 enfants alors je prends pas mal de vacances, et puis j’aime bien partir aussi sans mes enfants (rires) ! Après, je peux être sur la plage le matin et bosser l’après-midi. C’est vrai que je ne coupe jamais vraiment mais je peux “étaler” mon travail.

Nicolas Perroud : Oui j’en profite, je prends plus de 5 semaines, notamment car j’ai besoin de garder mes enfants. Mais je ne saurais pas dire combien j’en prends exactement. Et puis, j’ai le statut de dirigeant, ce qui fait que je peux me reconnecter le soir et le weekend. Mais j’en profite bien !

Les congés illimités pourraient être une mesure intéressante pour des salariés de confiance qui seraient dans les effectifs depuis plus de 5 ans par exemple.

Alors Emilie, cap ou pas cap ?

Emilie Legoff : Je suis d’accord qu’il faut changer les choses par rapport au salariat classique. Depuis le confinement, l’état d’esprit a évolué, et il faut faire attention à garder les gens en bonne santé mentale. Les congés illimités pourraient être une mesure intéressante pour des salariés de confiance qui seraient dans les effectifs depuis plus de 5 ans par exemple.

Nicolas, prêt à revenir un jour en arrière ?

Nicolas Perroud : Non ! Même si nous vivons à l’avenir des années difficiles, je suis certain que les salariés sauront comment s’impliquer dans l’entreprise. A titre personnel cela a vraiment changé ma vie, mais aussi professionnellement en termes d’organisation. Cela fait déjà deux ans et je suis persuadé que je ne reviendrai pas en arrière.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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