Le bilan de compétences : la nouvelle crise de la quarantaine ?
C’est un vrai phénomène : en seulement deux ans, le recours au bilan de compétences a carrément doublé en France*. Alors que 52% de ses bénéficiaires ont entre 35 et 49 ans, doit-on y voir une nouvelle expression de la crise de la quarantaine ?
Julie veut se reconvertir en doula après son accouchement tandis que Pierre souhaite ouvrir sa boulangerie artisanale après avoir effectué son bilan de compétences. Ce type de témoignages, il y a fort à parier pour que vous l’ayez déjà entendu autour de vous, ne serait-ce qu’à la table d’un café. Et parfois, il faut bien l’avouer, cela sonne un peu comme un gimmick : on se reconvertit pour aider les autres à se reconvertir en devant soi-même coach… La boucle est bouclée.
S’introspecter pour mieux se retrouver
Alors que l’âge moyen de la réalisation du bilan de compétences est de 40,3 ans, on est tenté d’y voir une nouvelle expression de la crise de la quarantaine qui demeure encore reconnue comme étant la crise de milieu de vie. “Il y a ceux qui font 14-18, et ceux qui font 39-45”, plaisante Julie Garel, psychanalyste et consultante en psychologie du travail.
Cette véritable crise existentielle a pour conséquence de nous faire regarder dans le rétroviseur, constater le chemin parcouru et la manière dont nous avons potentiellement dérivé de nos rêves d’enfant. “*C’est un moment d’introspection. Or, c’est justement ce que permet la première partie du bilan de compétences, et certainement ce qui explique son succès”*, note Céline Révillon-Bertrandy, coach en évolution professionnelle.
40 ans, le vrai âge adulte ?
40 ans, en psychanalyse, c’est aussi le moment où l’on passe véritablement de l’enfant à l’adulte pour accoucher du “je”. Cela peut sembler sacrément tardif, mais comme nous l’explique Julie Garel, on est souvent dépendant des images et des représentations que l’on a construites jusque-là. Nous avons été orientés vers certaines études par nos parents (lire “Et tes parents, ils font quoi ?” d’Adrien Naselli sur les transfuges de classes), nous avons commencé notre premier job, puis sommes vraisemblablement restés dans cette voie un peu comme un hamster qui tourne dans sa roue.
“La crise existentielle nous demande de nous responsabiliser pour trouver qui nous sommes vraiment, et de nous détacher de ce que l’on nous a donné avant et qui nous a construits. C’est très proche d’un éveil spirituel”, avance la psychanalyste. Un point de vue partagé par notre autre interlocutrice qui estime qu’à l’âge de 40 ans, nous attendons moins des autres et sommes moins perméables aux influences externes. Un retour à soi qui peut être grandement salutaire, une fois que l’on a passé les secousses de cette crise qui peut être particulièrement à remous.
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Le bilan de compétences, la crise de la “quarantaine molle” ?
La première cause qui pousse les gens à effectuer un bilan de compétences est la quête de sens. Mais personne ne sait véritablement ce que cette notion signifie. Alors, on a tendance à s’arrêter uniquement à la question professionnelle en mettant tous nos maux sur un manque d’épanouissement au travail. “Aujourd’hui, on se focalise énormément sur la souffrance au travail, je ne sais pas si cela est dû à une maltraitance managériale ou à des attentes bien plus grandes, mais le constat est là”, observe Céline Révillon-Bertrandy.
Si le bilan de compétences est un support de plus en plus utilisé, c’est aussi parce qu’il permet d’aborder le sujet de la crise existentielle en douceur. Julie Garel compare cette quête de soi à un jeu de l’oie. Si l’objectif ultime est de trouver son identité profonde, on s’arrête souvent à la première case en associant le “je suis” à son métier, sans gratter plus en profondeur. Une sorte de crise de la quarantaine molle*. “Faire un bilan de compétences, c’est bien moins effrayant qu’entamer un coaching ou des séances de psy qui requièrent beaucoup plus d’engagement*”, poursuit la coach professionnelle.
Et puis, soit dit en passant, le bilan de compétences est entièrement remboursé par le compte CPF, ce qui n’est pas le cas des thérapies ou séances de coaching. L’engagement financier est donc moindre.
“Un cadeau que l’on se fait à soi”
Au final, le bilan de compétences est un outil que chacun peut explorer à différents degrés. Certains le consigneront au placard quand d’autres iront plus loin dans leur exploration via du coaching, de la psychothérapie, ou carrément en changeant directement de vie professionnelle. “C’est un cadeau que l’on se fait à soi”, poursuit la coach professionnelle.
Pour Julie Garel, il ne s’agit pas d’un remake du conseiller d’orientation que l’on retrouvait sans grande excitation au C.D.I du lycée. “Ce n’est bullshit que si on ne s'en sert pas, ou si on se ment à soi-même en le faisant. Et puis si on tombe sur un charlatan, ou sur une personne qui ne partage pas nos valeurs, il en va de notre responsabilité de changer d'interlocuteur”, affirme-t-elle.
Le bilan de compétences nous invite à explorer le passé pour comprendre quelles conditions ont pu nous mettre en réussite, identifier les talents que l’on se reconnaît et que l’on nous reconnaît, montrer les zones de fragilité puis découvrir différentes familles de métier et les confronter à nos contraintes personnelles. Au final, on tire quelques fils d’une pelote de laine pour explorer les deux ou trois pistes qui nous semblent les plus viables. Bien sûr, l’offre étant pléthorique, chaque professionnel a sa propre manière de conduire le bilan de compétences.
Une crise existentielle qui commence de plus en plus tôt
Si le passage par la case bilan de compétences colle bien avec la crise de la quarantaine, cela ne doit pas non plus éclipser une autre réalité. “On voit aussi des jeunes effectuer un bilan de compétences. Cette prise de conscience que l’on n’est pas à sa place surgit de plus en plus tôt, surtout après la pandémie où beaucoup se sont retrouvés seuls chez eux, pris au piège à domicile et forcés à réfléchir à leur existence”, affirme Julie Garel.
Dans tous les cas, que l’on ait 25 ans ou 55 ans, il est toujours intéressant de s’interroger sur ce qui cause ces remous intérieurs. Et si l’on pense que le travail est à la source du mal qui nous ronge, on peut tenter de voir plus loin et de réfléchir aux raisons qui nous ont poussé à accorder tant de place à celui-ci dans notre vie. Derrière, on peut tenter d’aller chercher la vérité vraie, s’effeuiller jusqu’à arriver au vrai moi.