CV anonyme : faut-il tout cacher pour plus d’inclusivité ?
Âge, adresse, état civil, photo, sexe et nom : autant d’informations personnelles qui peuvent parfois desservir les candidats. Alors, pour éviter toute discrimination, faut-il supprimer purement et simplement ce qui relève du registre personnel ? Ou au contraire laisser les rencontres se faire au gré des affinités, quitte à ce qu’elles soient empreintes de quelques biais ?
Pour lutter contre les discriminations, le CV anonyme serait-il une solution ? Une enquête menée par la Dares démontre qu’un candidat portant un nom à consonance maghrébine doit envoyer 1,5 fois plus de CV qu’un candidat avec un nom considéré comme français pour obtenir le même nombre d’entretiens. Mais le patronyme n’est pas l’unique vecteur de discrimination.
C’est justement pour permettre des rencontres qui auraient été d’ordinaire impossibles que la plateforme jenesuispasunCV a vu le jour. Son principe est simple : proposer à des entreprises de rencontrer des candidats non pas sur la base de leur CV, mais à travers d’autres leviers, à l’image du speed dating. C’est ainsi que - par exemple - une ex-fleuriste a été embauchée par une compagnie d’assurance. Son CV n’était pas franchement calibré pour le job et pourtant, elle y excelle désormais. “Nous ne disons pas que le CV ne sert à rien, mais il est selon nous parfois un mauvais outil pour une première rencontre”, explique Yann Bustos, Directeur du développement de jenesuispasuncv.
Un CV minimaliste, ça donnerait quoi ?
Alors, si l’esprit minimaliste de Marie Kondo devait s’abattre sur les lignes de notre CV, qu’est-ce qui valserait en premier ? Yann Bustos a un avis tranché sur la question : il faudrait commencer par gommer l’âge. Et pour cause, des travaux de recherche démontrent qu’il s’agit du facteur le plus discriminant en France. “Les résultats mettent en évidence qu’un candidat âgé de 48 à 50 ans a trois fois moins de chances que le candidat de référence d’obtenir un entretien d’embauche. Dès 45 ans, les risques d’être rejeté croissent considérablement”, peut-on lire dans ces travaux dédiés au sujet.
Indiquer sa situation maritale et familiale peut aussi jouer des tours à un candidat. Le pire, c’est que d’un recruteur à l’autre, ce ne sera pas pour les mêmes raisons… ! “Une personne mariée et qui a déjà des enfants peut être gage de stabilité, mais les a priori vont aussi dans l’autre sens. On peut se dire que le parent sera moins disponible”, souligne Yann Bustos. Quant à l’adresse, elle peut non seulement être discriminante en raison de la réputation d’un quartier, mais aussi faire craindre des retards trop fréquents si elle se trouve trop à distance du lieu de travail.
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Bien sûr, il y a enfin le nom et le prénom, qui, comme on l’a vu plus haut, sont hautement discriminatoires. De même pour la photo, et pour des raisons pas toujours évidentes. Une étude a démontré qu’une femme jugée attirante était rapidement exclue des process… Sois belle et ne travaille pas ?
“J’aime avoir des informations personnelles pour créer du lien”
Consultante et fondatrice de Ty Talents, Elodie Allain a une autre vision de la problématique. Elle n’est pas en faveur du CV version zéro déchet. Elle aime recueillir un maximum d’informations pour mieux cerner la personnalité de la personne qu’elle reçoit en entretien. Par exemple, il y avait une époque où les recruteurs aimaient savoir où un candidat avait fait son service militaire, parce qu’il s’agissait d’une manière informelle de créer du lien.
Selon elle, les hobbies sont par exemple une source intéressante d’infos : “Si une personne est capitaine d’une équipe de handball en amateur, on peut espérer qu’elle soit en capacité de fédérer une équipe”, illustre-t-elle. Un point sur lequel elle est rejointe par Yann Bustos. Il estime aussi que même s’ils sont souvent connotés, les hobbies peuvent être instructifs en ce qu’ils permettent de comprendre comment le candidat aime se ressourcer.
Plus globalement, cela peut fournir des informations complémentaires sur les compétences comportementales. Toutefois, il note que “certains candidats préfèrent n’inscrire aucun hobby car ils estiment que leurs activités ne sont pas assez intéressantes”. Une nouvelle source potentielle d’inégalité ?
Mieux me connaitre, pour mieux me recruter ?
Mais là où nos deux interlocuteurs cessent définitivement d’être d’accord, c’est sur la photo. “Je suis assez visuelle alors avoir une photo me permet plus facilement d’identifier une personne”, nous confie-t-elle. De même, Elodie Allain ne souhaite pas tirer un trait sur l’adresse, car, il est vrai, la distance domicile-travail peut clairement constituer un frein à l’embauche pour certaines entreprises. En revanche, le nom de la ville suffit ! Pas besoin de noter le nom de votre impasse…
Et puis vient la question de l’état civil. “Pour moi, écrire ou non que l’on a des enfants, ou que l’on est séparé, c’est vraiment personnel. Mais si on le mentionne, c’est que c’est important pour nous”, estime-t-elle. Certains candidats préfèrent ainsi jouer directement carte sur table et se faire écarter d’un process au plus vite parce que, dans tous les cas, ils ne souhaiteraient pas travailler avec une entreprise ne respectant pas leurs contraintes. Bref, miser sur l’honnêteté permettrait de ne pas s’embarquer dans une relation sans lendemain. “De même, un candidat qui indiquerait vouloir un 80% s’offrirait un gain de temps considérable dans ses recherches, ainsi qu’au recruteur”, ajoute-t-elle.
Enfin, l’âge n’a selon elle pas forcément grand intérêt, mais à moins de passer par le CV par compétences, un recruteur pourra facilement le deviner en remontant les années d’étude.
Tous biaisés ?
Toutes ces informations plus personnelles sont, il est vrai, susceptibles de créer des biais. Par exemple, le biais de sympathie pour une personne qui fait le même sport que nous. “Cela a pour conséquence qu’à compétences égales, il est fort possible que l’on choisisse le candidat avec qui on a le plus de points communs”, affirme Elodie Allain. Mais alors, quelle chance donne-t-on à ceux qui n’entrent pas dans le moule ?
Pour notre experte, ces biais sont certes regrettables, mais toute personne n’est pas transposable d’une culture d’entreprise à une autre grâce à ses compétences. Elle se souvient ainsi d’un candidat arrivé en costume trois pièces pour un entretien dans le secteur agricole : “Sur le papier, tout collait, mais il y avait une trop grande différence de culture”.
Bien entendu, Elodie Allain ne peut qu'encourager chaque recruteur et manager à se former pour détecter ses propres biais cognitifs et neutraliser leur impact. “Cette vigilance est nécessaire pour ne pas prendre nos décisions uniquement à travers le prisme de nos biais, mais nous restons des humains avec une certaine sensibilité”, note-t-elle. Dans les pays d’Amérique du Nord, ces formations sont d’ailleurs un passage obligé pour quiconque souhaite être habilité à faire du recrutement.
Quant à Yann Bustos, il demeure convaincu que lever les freins à une première rencontre en ne passant pas par le CV est encore le moyen le plus efficace pour lutter contre les discriminations. À condition que le recruteur ne soit pas bête, méchant, sexiste, raciste (on continue ?)… Car, CV ou non, il demeurera toujours sur ses a priori bêtises.