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Faut-il passer plus de temps avec les top performeurs ?

Dans la mécanique implicite du management, l’équation semble simple : les collaborateurs en difficulté demandent du temps, tandis que les top performeurs peuvent rouler en full autonomie. Mais jusqu’à quand ?

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Dans les équipes, les top performeurs brillent souvent par leur autonomie et leur efficacité. Alors, pourquoi leur consacrer du temps ? Qui plus est lorsqu’ils performent en silence ? De prime abord, il paraît contre-intuitif de leur accorder davantage de temps par rapport aux sous-performants dont on imagine qu’ils nécessitent un suivi rapproché.

Dans une récente vidéo postée sur LinkedIn, Maxime Le Bras, Talent Lead chez Alan, évoque ce sujet en expliquant être lui-même tombé dans ce piège comme nombre de ses comparses. Une situation également rencontrée par Abdelkader Lahouel, Head of HR chez Vizcab. “C’est quelque chose que l’on a pu me reprocher par le passé. Je pensais devoir passer plus de temps avec les personnes en sous-performance pour les aider à progresser. De plus, comme l’explique le biais des coûts irrécupérables, plus on investit de temps avec un sous-performeur, moins on a envie de le lâcher parce que l’on n’a pas envie d’avoir fait cela pour rien”, constate-t-il.

Le silence des top performeurs

Si les managers tendent à laisser leurs top performeurs en roue libre, c’est aussi parce qu’une partie d’entre eux ne fait pas de vagues. Parfois même, ils ne réclament ni augmentation, ni promotion. Une aubaine ! "C’est le paradoxe du top performeur", résume Magalie Auger, coach de DRH et dirigeants. "Certains, et en particulier les profils experts, avancent en silence. Ils ne savent ni se valoriser, ni se vendre. Jusqu’au jour où ils partent, et que l’on réalise ce qu’on a perdu."

Par égo, fierté ou tout simplement par crainte de décevoir, les top performeurs peuvent aussi avoir tendance à cacher leurs difficultés. “Ils portent leur réputation comme un poids : le jour où ça va moins bien, ils le vivent comme un échec insupportable, une honte. Or, les managers ne le voient pas venir. Ils sont focalisés sur les collaborateurs les plus visibles, ou les plus bruyants”, poursuit Magalie Auger qui insiste sur la notion d’équité : “Ce n'est pas parce que certains ne demandent pas explicitement de signe de reconnaissance ou de soutien qu'ils n'en ont pas besoin. ”. Si le manager n’est pas en mesure de percevoir les signaux faibles de détresse, il peut perdre bêtement un talent.

Autre cas de figure possible : parfois, le manager, surtout s’il vient de prendre ses premières fonctions de manager, souffre du syndrome de l’imposteur. Parce qu’il ne se sent pas supérieur techniquement à son subalterne, il peut avoir tendance à le délaisser par peur de ne rien lui apporter. “Et puis parfois, c’est aussi par crainte de se faire dépasser”, ajoute Magalie Auger.

De l’autonomie à l’abandon, il n’y a qu’un pas ?

Or, ne pas accorder de temps au top performeurs, c’est malheureusement s’exposer à un revers cuisant. Passer du temps avec un top performeur, ce n’est pas du luxe, mais de l’investissement stratégique. Abdelkader Lahouel, Head of HR chez Vizcab, en est convaincu : “L’entreprise souffre vraiment de ces départs. La contribution des top performeurs dépasse leur fiche de poste. Ce sont eux qui font l’extra mile, qui portent les projets, qui inspirent et tirent le reste de l’équipe vers le haut. La fidélisation des top talents produit un vrai effet de halo sur l’équipe. Or, pour les garder, il faut leur consacrer du temps, les nourrir intellectuellement, agrandir leur scope, leur donner des perspectives”.

Pour Magalie Auger, ces collaborateurs ont besoin de soutien comme les autres, de reconnaissance, d’écoute, de sens. “Certains le trouvent auprès de leurs clients, mais d’autres attendent un signal clair de leur manager. Et puis les top performeurs ont aussi leur marge de progression. En ayant un manager en position de facilitateur, ils pourraient aller plus loin et performer encore plus", précise-t-elle.

Pour Boutayna Burkel, fondatrice de The Helpr, il faut effectivement prendre garde à ce que les top performeurs ne s'essoufflent pas : “souvent, certains surcompensent la sous performance d’un ou de plusieurs membres de l’équipe, ce qui les use à la longue. Il ne faut jamais oublier qu’une équipe fonctionne de manière interdépendante”.

L’attention des managers n’est pas équitablement répartie

Pour Boutayna Burkel, il ne faut cependant pas mettre tous les managers dans le même panier. “Dans les faits, les managers apprécient aussi de retrouver leurs top performeurs… tandis qu’ils peuvent fuir les collaborateurs en difficulté, par inconfort, par peur du conflit ou parce qu’ils n’ont pas les outils pour les accompagner

D’après la théorie LMX (Leader-Member Exchange), les managers ne tissent pas la même qualité de relation avec tous leurs collaborateurs. Ceux perçus comme performants peuvent bénéficier d’un lien plus fort, fait de confiance, de reconnaissance et d’opportunités. À l’inverse, les autres peuvent être relégués en "out-group", avec des échanges plus formels et distants. Ce déséquilibre, souvent inconscient, peut renforcer les inégalités au sein de l’équipe… à moins d’en faire un vrai levier d’analyse et d’ajustement relationnel.

Ne pas oublier le ventre mou

Finalement, le problème n’est-il pas que les managers passent trop de temps aux extrémités de la courbe, qu’il s’agisse des meilleurs éléments, ou de ceux qui sont le plus en difficulté ? Abdelkader Lahouel en est convaincu : "On passe des heures sur les cas compliqués, un peu sur les tops, et rien sur le milieu. Or c’est là qu’on a le plus de marge de progression."

Ce "ventre mou" de la performance est souvent ignoré, alors qu’il regroupe la majorité des collaborateurs. “La clé, c’est de prendre un pas de recul, analyse-t-il. Est-ce que j’ai investi assez sur ce collaborateur ? Est-ce que je peux le faire évoluer ? Faut-il que je redirige mon énergie ailleurs ? En tant que DRH, mon rôle est aussi d’aider le manager à se poser ces questions”.

Accorder du temps pour tous est aussi une question de justice, voire de paix sociale. “Si on ne s’intéresse qu’aux râleurs ou aux stars, on crée une culture du bruit, de la plainte ou du mérite tapageur. Alors que reconnaître ceux qui avancent sans bruit, c’est une posture RH plus équitable”, ajoute-t-il.

Derrière la performance, des réalités diverses

Mais maintenant que nous avons dit tout cela, encore faut-il s’entendre sur ce qu’est un "top performeur". La performance est-elle une question de résultats ? D’investissement ? De régularité ? De potentiel ? Pour Boutayna Burkel, elle est souvent mal définie : “ Un collaborateur qui arrive en retard depuis un mois, on le verra en baisse de performance. Mais peut-être que si l’on prend en considération qu’il est devenu jeune parent, cela mérite un autre regard. On manque souvent de granularité dans l’évaluation”.

Elle rappelle que la performance est aussi une construction culturelle, parfois biaisée par le parcours, l’apparence ou le diplôme. “Un ingénieur de grande école qui s’exprime bien sera perçu comme top, là où un profil en reconversion, plus discret, sera jugé moins fiable. Or, parfois, c’est ce dernier qui est le plus engagé”.

Magalie Auger le confirme : “Il y a les top performeurs brillants, visibles, et d’autres discrets, dans l’ombre. Ceux qu’on oublie, alors qu’ils font tourner la boutique. Ceux-là aussi ont besoin de reconnaissance”. Et cette reconnaissance n’est pas uniquement financière ! Elle passe bien entendu par la qualité de la relation et de l'environnement de travail.

Manager, c’est… manager

Enfin, il faut aussi rappeler une évidence trop souvent oubliée. "Les managers me disent qu’ils passent trop de temps avec leurs équipes. Mais c’est leur job !", s’amuse Magalie Auger. "Manager, ce n’est pas forcément produire soi-même, c’est faire produire dans un contexte facilité et securisé." Et c’est surtout savoir poser son regard sur chaque collaborateur pour comprendre ses propres besoins, qu’il nécessite plus d’autonomie ou au contraire d’attention.

Et cela vaut pour tous les profils, pas seulement les plus visibles. Il faut investir avec discernement, éviter le favoritisme, prévenir les risques de jalousie, poser un cadre clair, et ne jamais oublier que la relation humaine est le vrai moteur de performance. Comme le résume Boutayna Burkel : “ Bien répartir son attention, c’est une compétence relationnelle. Et un acte de management à part entière”.

Paulina Jonquères d'Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias [...]

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