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L’acompte hebdomadaire sur salaire : un faux espoir pour le pouvoir d’achat ?

Recevoir son salaire chaque semaine plutôt qu’une fois par mois : voilà une idée qui séduit souvent au premier regard. D’ailleurs, la majorité des Français s’y montre favorable, avec une adhésion encore plus forte chez les jeunes. Mais que penser de cette jolie promesse sur le papier ?

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Il y a peu, un projet de loi a été déposé à l’Assemblée Nationale pour favoriser un système d’acompte hebdomadaire. Tout cela au nom d’une augmentation du pouvoir d’achat. À première vue, difficile de critiquer l’idée. Sauf qu’il n’est pas vraiment certain que l’effet escompté soit au rendez-vous.

Pire encore, n’existe-t-il pas un risque d’engrenage pour les ménages les plus précaires ? Les Français ont-ils une suffisamment bonne éducation financière pour gérer un budget à la semaine, sachant que dans notre société, les paiements sont entièrement mensualisés ?

Un changement de temporalité, pas de revenu

Parlons peu, parlons bien. Il existe un premier malentendu : un acompte sur salaire n’est pas une augmentation. Il s’agit simplement d’un changement de temporalité. “Le niveau de rémunération reste exactement le même”, rappelle Aurore Pinon-Jacques, fondatrice de la fintech Goodvest. “On confond ici pouvoir d’achat et trésorerie. Ce que propose ce dispositif, c’est simplement de changer le rythme de versement”.

En cela, il peut certes offrir une bouffée d’oxygène ponctuelle pour les ménages à flux tendu, en évitant les découverts et les frais bancaires, voire le recours au crédit à la consommation. Mais le fond du problème reste inchangé.

Jean-Christophe Procot, expert en rémunération chez Wavestone, enfonce le clou : “C’est comme lorsqu’on vous autorise à poser des congés par anticipation : ce n’est pas parce que vous les prenez plus tôt que vous en avez plus”.

Pire, l’illusion d’un pouvoir d’achat accru pourrait inciter à consommer immédiatement une part du salaire dont on aura ensuite besoin pour payer les charges fixes. Car comment faire pour s’acquitter d’un loyer mensuel lorsqu’il nous reste un quart de notre rémunération ?

L’effet “dopamine” et le risque de fuite en avant

Pour Aurore Pinon-Jacques, recevoir un virement chaque semaine pourrait produire un effet psychologique immédiat, sorte de “récompense” qui nous pousserait vers la fièvre acheteuse. “Le risque, c’est que la consommation, aujourd’hui étalée sur le mois, se retrouve comprimée à la semaine”, souligne-t-elle.

Gabrielle Sergent, cofondatrice et DRH de Klaro, une plateforme qui permet aux salariés de mieux gérer leurs finances mais aussi de percevoir les aides non réclamées, abonde : “Oui, il y a un effet positif ponctuel, par exemple pour éviter les agios ou faire face à un imprévu. Mais si l’acompte sert à acheter une paire de baskets ou un petit plaisir, on entre dans un mécanisme dangereux, car on a toujours le même niveau de revenus”.

Pourtant, on pourrait imaginer qu’en fonctionnant à la quinzaine, on pourrait percevoir un premier “salaire sérieux” pour les factures, puis un second “salaire plaisir” pour profiter de ses revenus après les dépenses contraintes. Sur le papier, cela semble plutôt sympa non ? “En réalité, cela ne fonctionnerait que pour les ménages les plus aisés. Quand on est dans la précarité, il n’y a que peu de place pour ces dépenses plaisir, que ce soit en début ou seconde partie du mois”, souligne Gabrielle Sergent.

Notre système global n’est pas conçu pour cette rythmicité

En fait, le fond du problème est avant tout que le modèle économique et social français n’est pas conçu pour une gestion hebdomadaire. “Dans les pays anglo-saxons comme l’Australie, l’Angleterre, les USA, c’est possible, car le système est plus flexible, avec des charges adaptées”, explique Jean-Christophe Procot. Et puis, là-bas, les embauches et les licenciements sont plus aisés, quand le système français est plus protecteur. “En France, tout est mensualisé : loyers, factures, impôts… Modifier la fréquence de paiement des salaires sans adapter le reste revient à créer une dissonance dans la gestion financière, ajoute-t-il.

Côté entreprises, gare au casse-tête ! Passer d’un traitement mensuel à un rythme hebdomadaire, c’est beaucoup plus de complexité pour les services RH, alerte Aurore Pinon Jacques. Plus de saisies, plus de risques d’erreurs, plus d’agitation… pour un bénéfice très incertain, sans parler des difficultés de trésorerie pour les plus petites entreprises.

Une réponse partielle à un problème plus profond

Nos intervenants sont donc unanimes : la question centrale est celle de la précarité et du faible niveau des salaires. “L’acompte, c’est un pansement sur une jambe de bois”, résume Jean-Christophe Procot qui n’est clairement pas en faveur du projet de loi.

Pour lui, il convient de s’atteler au vrai sujet : pourquoi un quart des Français sont à découvert chaque 15 du mois ? De son côté, Gabrielle Sergent pointe un taux de non-recours aux aides publiques de 30% : “Beaucoup de salariés ne réclament pas des soutiens comme la prime d’activité, alors qu’ils y ont droit. Et pourtant, voilà un vrai levier pour le pouvoir d’achat”.

Au-delà du niveau de revenu, c’est l’éducation financière des Français qui pourrait elle aussi monter en grade. “L’écrasante majorité n’a jamais appris à gérer un budget, à épargner, à investir”, déplore Aurore Pinon Jacques. “Même en école de commerce, on vous apprend la finance d’entreprise, mais pas à gérer votre argent personnel. J’ai le cas par exemple d’un ami qui travaille en banque, mais fait de piètres choix en matière d’investissement personnel.”

Des alternatives plus structurantes

Plutôt qu’un acompte hebdomadaire, les experts plaident pour d’autres solutions. “Aux États-Unis, le dispositif du 401(k) permet de prélever automatiquement une épargne sur le salaire, que l’on peut ensuite placer”, explique Aurore Pinon Jacques. “Ce n’est pas obligatoire, mais cela favorise de bonnes habitudes. Se protéger via un prélèvement à la source sur son salaire c’est ça, le vrai changement de paradigme. Et je crois que c’est essentiel pour les jeunes générations dont les retraites risquent d’être compliquées”.

Gabrielle Sergent insiste pour sa part sur l’importance d’agir aussi sur les dépenses. “Chez Klaro, on accompagne les salariés pour réduire leurs contrats d’énergie, d’assurance, car il y a souvent des doublons… Et on propose des services de coaching budgétaire. Il faut assainir les bases avant de penser à plus de flexibilité”.

Goodvest, de son côté, propose des formations gratuites à la gestion financière, notamment via son programme L’École de l’investisseur. “Si chacun comprenait dès 18 ans l’intérêt de l’épargne de précaution, du placement diversifié et de la gestion long terme, on éviterait beaucoup de situations critiques”, affirme la CMO.

Alors, faut-il fragmenter le salaire ?

À écouter les experts, l’idée d’un acompte hebdomadaire, séduisante en apparence, pose plus de questions qu’elle n’en résout. “Pour les salariés avec des besoins ponctuels, c’est une corde de rappel, un filet de sécurité”, reconnaît Gabrielle Sergent. “L’acompte, doit rester une exception, pas une norme. Si on ne change pas le modèle dans son ensemble, on risque surtout d’installer une illusion de confort financier”, reprend Jean-Christophe Procot.

Aurore Pinon Jacques résume : “Ce n’est pas un levier de pouvoir d’achat, c’est un outil de gestion de trésorerie. Et comme tout outil, il doit être encadré, accompagné et pensé dans une stratégie globale”. Car le vrai progrès viendra peut-être non pas d’un versement hebdomadaire, mais d’un changement culturel profond : épargner dès que possible, même un peu, pour ne plus dépendre du prochain virement.

Paulina Jonquères d'Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias [...]

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