Société

Le vélo, la petite reine du package RH ?

Alors que l’Etat a renforcé son soutien à cet avantage salarié, se pourrait-il que le vélo en entreprise connaisse le même destin que le titre-resto ? En parallèle, la voiture de fonction est-elle victime d’un coup de pompe ? Ou cet avantage historique est-il encore loin de dérailler ? On fait le point.

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Tous à bicyclette ! Depuis la Loi d’orientation des mobilités de 2019, les entreprises peuvent désormais déduire 25 % de l’investissement vélo de leur impôt sur les sociétés, la TVA étant récupérable, et l’avantage exonéré de charges sociales, tant côté employeur que collaborateur. En d’autres termes, le vélo devient un simple frais.

Avant, les entreprises étaient encore quelque peu dans le flou et avaient besoin de clarification sur les dispositifs. C’est désormais chose faite avec la page dédiée du gouvernement”, observe Arthur de Jerphanion, cofondateur de Tandem, acteur majeur du vélo de fonction. Un alignement bienvenu qui permet à cet avantage d’émerger dans un contexte où la marque employeur se joue aussi… dès le parking.

Et la dynamique ne semble pas près de s’essouffler. Tandem a vu son activité multipliée par cinq entre 2022 et 2024. Un indicateur parmi d’autres qu’un basculement est à l’œuvre, porté par des enjeux de pouvoir d’achat, de santé, mais aussi de valeurs.

Sortir du cliché du cadre en fixie

S’il reste encore dans l’imaginaire collectif l’apanage du cadre sup’ parisien, le vélo séduit désormais bien au-delà. “Nos meilleurs taux d’adhésion ne sont pas à La Défense, mais dans des villes moyennes, voire en zone rurale, précise Arthur de Jerphanion. “Souvent, le vélo vient remplacer une deuxième voiture dans une famille. À 20 ou 30 euros par mois pour un vélo électrique tout compris, l’équation devient vite convaincante pour des trajets qui prendraient une dizaine de minutes en voiture”.

Ouvriers de l’Est de la France, collaborateurs d’agences bancaires en région, techniciens agroalimentaires : les profils utilisateurs sont bien plus variés que prévu. “Nous avons signé des entreprises allant de la PME au grand groupe comme Kronenbourg, Artelia, Soprema, Crédit Agricole… C’est un avantage transversal, parfois mieux accueilli là où l’offre de transports publics est lacunaire”, poursuit le fondateur. Un changement de regard s’amorce donc. Au total, 3 500 vélos de fonction circulent sur le territoire sous l’égide de Tandem, dans 180 entreprises.

Reste à embarquer tout le monde…

Mais tout le monde ne pédale pas au même rythme. “Chez nous, environ 75 % des salariés sont ouvriers/ETAM. Ils habitent souvent loin, sur des territoires sans piste cyclable. Même au siège, le forfait mobilité est très peu utilisé”, constate Lucas Lewczu , Performance & Rewards manager dans une entreprise industrielle.

Et d’ajouter : “quand on met en place un avantage salarié, on doit prendre en compte le principe de double matérialité et l’impact qu’il aura au sein de l’entreprise, mais aussi sur le quotidien des collaborateurs. Pour les transports en commun, il est clair que l’impact global est bon, mais je ne suis pas encore convaincu que le vélo révolutionne le quotidien des employés. Pour ma part, je souhaite davantage axer notre travail sur les questions d’égalité F/H”. Bref, n’y allons pas par quatre chemins : à ses yeux, le vélo demeure clairement un avantage salarié prisé des bobos.

Le constat est partagé par Sandrine Dorbes, experte rémunération et fondatrice d’How Much : “Chaque coup de pouce pour le vélo va dans le bon sens. Mais tant que les infrastructures ne suivent pas - douches, parkings sécurisés, sécurité routière - on restera sur un usage encore marginal.

Autre frein identifié : la perception du vélo comme un bonus accessoire, quand d’autres avantages parlent plus directement à la feuille de paie. “Les gens rêvent surtout de ce qui améliore leur pouvoir d’achat au quotidien : titres resto, cartes cadeaux… Le vélo ne s’impose pas encore comme un levier majeur, sauf si on en fait un vrai sujet de communication”, poursuit-elle.

Et la voiture dans tout ça ?

Dans le même temps, la voiture de fonction pourrait-elle finir dans le fossé ? “Certes, elle est devenue un avantage en nature moins intéressant financièrement depuis la dernière législation. Mais elle demeure encore très prisée dans les packages, analyse Sandrine Dorbes.

Alors oui, la voiture de fonction a perdu de sa superbe. Mais elle conserve une valeur d’usage forte. Et un certain prestige aussi. “Quand on m’a donné ma voiture de fonction, j’avais l’impression d’être promu”, raconte Arthur de Jerphanion. “Mais je ne m’en servais presque jamais. Et cela ne collait pas à mes convictions écologiques”.

Il le reconnaît lui-même : le vélo ne remplacera jamais la voiture de fonction à 100 %. D’abord parce que cette dernière est un élément de rémunération déguisée. Ensuite parce que les usages, les distances et les symboles associés ne sont pas interchangeables. “Mais on voit des salariés prêts à garder un budget de 5 000 € pour le poste mobilité et accepter un modèle de voiture inférieur pour pouvoir y ajouter un vélo électrique haut de gamme”. Le vélo ne remplace donc pas. Il complète.

👉 Trois vitesses, un même objectif

En matière de mise en œuvre, tout dépend du terrain et des moyens disponibles. Trois grandes approches cohabitent aujourd’hui :

  • Le forfait mobilités durables : allocation versée aux salariés, cumulable avec l’abonnement transport, sans surcroît administratif.
  • Le vélo de fonction : modèle locatif ou d’achat cofinancé (~70 % entreprise / ~30 % salarié), avec entretien et assurance intégrés. L’avantage est qu’il ne nécessite pas de pilotage en interne.
  • Le vélo partagé : utile à petite échelle, mais difficilement pilotable sur de grandes structures (suivre l'emprunt peut être complexe).

Chez Tandem, la simplicité est le mot d’ordre. “Le salarié passe en direct avec nous, l’entreprise est juste notifiée. Pas besoin de désigner un référent ou d’alourdir les process RH, précise Arthur. Résultat : moins de frictions, plus d’adhésion.

Ce que le vélo dit de nous

Finalement, derrière le vélo, c’est toute une vision du travail qui se profile. Moins statutaire, plus équitable. Moins vertical, plus mobile. Le vélo s’inscrit dans un paysage RH qui cherche à donner du sens, à encourager les transitions douces, sans verser dans le gadget.

Comme Arthur de Jerphanion nous le rappelle, le vélo de fonction peut (et doit) se muer en avantage salarié accessible à tous, de l’ouvrier au dirigeant, tous sexes confondus (car, fait étonnant, Tandem observe une plus grande prise en main du vélo par les hommes).

Est-il encore marginal ? Sans doute. Mais de moins en moins. Est-il réservé aux grandes villes ? Plus vraiment. Le vélo ne va pas renverser la table des avantages sociaux, mais il s’y est fait une place. Discrète, peut-être. Mais prometteuse.

Paulina Jonquères d'Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias [...]

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