Société

Notre résistance au stress conditionne-t-elle notre réussite au travail ?

Être capable de résister à la pression constitue-t-il le meilleur passeport pour monter les échelons ? À l’inverse, être submergé par le stress représente-t-il une entrave à la réussite ?

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Il y a peu, j’interviewais l’un des piliers de l’équipe RH des JO. Face à un événement qui ne saurait tolérer aucun raté, l’homme, magnanime, me confie “ne pas être stressé de nature”. Il n’est pas le premier “haut gradé” à dégager ce calme olympien face à un contexte de forte tension.

Animer une conférence devant 300 personnes, gérer des situations de management complexes, naviguer à vue quand le Comex donne peu de visibilité… Tout ça, sans “Xanax au coucher” — ou, au minimum, sans l’avouer. Car le plus disqualifiant n’est-il pas “d’apparaître stressé, plus que de l’être” ? C’est ce que me souffle Jean-Pierre Dumazert, Directeur du Pôle Académique RH & Management d’Excelia.

Alors, je me pose la question : cette “bonne nature” est-elle un passeport pour la réussite ? Constitue-t-elle une inégalité originelle ? Cette résistance au stress est-elle innée ou acquise ?

Résiste, prouve que tu existes !

Pour Jean-Pierre Dumazert, c’est clair : "À compétences égales, vous n’obtiendrez jamais un poste à responsabilités si vous semblez plus vulnérable face au stress".

Julienne Nadin, Directrice Carrière chez Upward et coach, le confirme : "Ces derniers mois, j’ai accompagné plusieurs managers perçus comme de vrais potentiels, mais qui perdent leur tact dès que le stress monte : ils deviennent très directifs, et la relation avec l’équipe s'abîme".

La contagion émotionnelle, accélérateur de risque

Car, c’est un fait avéré : les émotions se propagent plus vite qu’un virus. Christophe Haag l’a documenté : les émotions négatives se diffusent plus rapidement que les positives. Et le poids hiérarchique amplifie tout : un manager stressé “contamine” davantage. Dans ce cadre, l’individu qui ne parvient pas à surmonter l’impact négatif du stress voit mécaniquement la qualité de son travail s’altérer.

De quoi parle-t-on quand on dit “stress” ?

Le terme est devenu fourre-tout, rappelle Jean-Pierre Dumazert, qui ne croit ni au “bon” ni au “mauvais” stress. Pour comprendre ce que nous entendons par “stress”, nous devons regarder le contexte de travail : pénibilité du métier ? Ambiance dégradée ? Intentionnalité managériale (certaines organisations, type call centers, accroissent la pression) ? Fréquence et intensité des pics ?

Au fond, il est assez paradoxal de constater que l’on exige des travailleurs un contrôle de leurs émotions alors que l’environnement de travail est de plus en plus pressurisant. Depuis les années 90 : l’individu est sommé d’être son propre rempart. Dans les écoles de management puis en entreprise, nous avons été programmés pour lever toute entrave au succès – à commencer par la non-résistance à la pression. "L’individu est sommé d’être autonome dans la gestion de ses émotions et d’assurer sa propre réussite. Mécaniquement, cela crée une prime aux plus forts, au détriment des plus fragiles", résume le chercheur.

Compétition avec soi-même, stress pour tous

La sociologue Danièle Linhart l’a théorisé : chacun entre en compétition avec soi-même pour prouver qu’il se dépasse, résiste, “sort de sa zone de confort”, et doit même être “apte au bonheur”. Dans ce modèle ultra-compétitif, le stress s’accroche aux plus vulnérables.

"Selon la psychologie du travail, être en compétition permanente avec soi-même accentue les RPS. Et le fort niveau de stress ne se loge pas seulement tout en haut : il est massif aux échelons intermédiaires", note Jean-Pierre Dumazert. Les données de la CARSAT pointent aussi une sur-exposition des femmes et des employés au burn-out.

Résister a un coût — que les “gagnants” ont internalisé

Ceux qui “réussissent” ont souvent intégré le coût de la résistance : accompagnement, coaching, sport, méditation, routines d’hygiène mentale. "Certains dirigeants ont mis en place des rituels pour tenir leur rôle", poursuit le chercheur.

Réserviste, Julienne Nadin observe des points communs entre les top performers qui résistent au stress et les membres du GIGN : préparation, respiration, visualisation. "Les personnes confrontées à l’urgence sont ultra-préparées. Plus vous répétez un scénario (pitch, conf’, entretien), moins le cerveau déclenche l’alarme. Le stress signale que votre pilote automatique ne suffit pas. Mais si tout est bien programmé, votre cerveau peut dérouler".

Objectif : muscler la régulation du stress pour éviter de rester coincé dans les trois réponses primitives (lutte, fuite, inaction). Toutefois, la coach nuance : "Je ne prône pas de sortir sans cesse de sa zone de confort. Exposons-nous graduellement. Le pire, c’est d’agir à contresens de ce que nous désirons vraiment".

Vulnérabilité et réussite : le détour gagnant

Samuel, 33 ans, dirige une agence de communication. Il se pensait “roc” jusqu’à l’hospitalisation de son enfant. "J’ai perdu toute résistance au stress. S’en sont suivies dépression et crises d’angoisse". Deux ans plus tard, il fait le bilan : "Sur le court terme, j’ai été défaillant. Sur le long terme, je suis devenu meilleur entrepreneur : j’ai bâti une organisation qui peut tourner sans moi les jours où je ne peux pas me lever de mon canapé. J’ai appris à relativiser : un contrat qui s’arrête, ce n’est pas la fin, il y aura d’autres contrats, d’autres opportunités".

Il a aussi choisi la transparence : "J’ai expliqué à mes clients et à mon équipe quand ça n’allait pas. Loin de me décrédibiliser, ça a créé de la confiance. Un client m’a dit : “Moi aussi.” On a parlé 45 minutes de santé mentale et de parentalité. Notre relation est plus solide qu’avant".

S’ouvrir à sa vulnérabilité, s’ouvrir aux autres

L’expérience de Samuel montre que la vulnérabilité peut devenir un capital relationnel – surtout en tant que dirigeant : elle attire des interlocuteurs alignés, consolide certaines collaborations, et ouvre des opportunités de rencontres qu’une posture d’invincibilité ferme parfois.

Bien sûr, soyons lucides : en tant que salarié, l’ouverture peut se heurter à des cultures peu matures ; il faut choisir le cadre, les mots, les alliés. Mais en tant que dirigeant, Samuel l’a éprouvé : s’ouvrir n’a pas diminué sa réussite, cela l’a transformée. Peut-être ne s’agit-il plus de célébrer celles et ceux qui “encaissent tout”, mais celles et ceux qui apprennent à réguler, à se préparer, à demander du soutien… et à rester alignés. Résister, oui, à ce qui vaut la peine.

Paulina Jonquères d'Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias [...]

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