Société

Comment aligner ses politiques RSE et déplacements ?

Si certaines entreprises ont déjà intégré les déplacements à leur feuille de route climat, beaucoup n’en sont qu’au stade des bonnes intentions : chartes voyages, recommandations internes, initiatives locales… sans toujours disposer d’une politique globale et cohérente.

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Les transports concentrent une part colossale des émissions carbone : 31% des gaz à effet de serre en France, selon le ministère de la Transition écologique. Alors, comment repenser ces déplacements pour qu’ils servent à la fois la performance et l’impact ?

Le virage post-Covid : quand la distance s’est mise au service du sens

“Le Covid a été un accélérateur de conscience”, observe Karine Ribak, ex-DG adjointe devenue consultante RSE. “On s’est rendu compte qu’on n’était pas obligés de traverser la France ou le monde pour se voir. Les réunions à distance ont prouvé qu’on pouvait faire autrement”. Cette prise de recul a ouvert la voie à une réflexion plus large : comment concilier objectifs économiques, confort des collaborateurs et responsabilité environnementale ?

Car si les entreprises ont appris à jongler entre visio et présentiel, rares sont celles qui ont formalisé une politique de déplacement alignée avec leur démarche RSE. “On voit émerger des chartes pour les événements ou les séminaires : lieux proches d’une gare, repas locaux, réduction des trajets. Mais très peu d’entreprises ont encore une matrice claire de décision sur les voyages d’affaires, constate Karine Ribak.

Première étape : mesurer avant d’arbitrer

Avant de décider ce qu'il faut changer dans les déplacements, il faut faire un état des lieux et mesurer : c’est là qu’entre en jeu le bilan carbone. “C’est la base. Il faut chiffrer les émissions liées aux déplacements, échanger avec les directions concernées – finance, RH, commercial – pour comprendre les besoins et lever les freins”, explique Karine Ribak. L’objectif ? Passer d’une posture de contrainte à une logique d’équilibre : mon trajet est-il pertinent ? Puis-je faire autrement ?

À partir de là, l’entreprise peut définir une feuille de route à deux ou trois ans, intégrant des indicateurs concrets : émissions par mode de transport, seuils d’alerte, reporting annuel, voire un tableau de bord accessible à tous. “Quand la direction montre l’exemple, les collaborateurs suivent. L’adhésion est d’autant plus forte qu’ils voient le sens et les résultats”, souligne-t-elle.

MICE : la révolution silencieuse des séminaires

C’est sans doute dans le secteur de l’événementiel que la mutation est la plus visible. “Les séminaires à l’étranger ont quasiment disparu. Ils ont désormais mauvaise presse”, observe Arnaud Katz, CEO de Kactus et spécialiste du business travel. D’après une étude AMEX GBT, la part des dépenses liées aux Meetings & Events a pourtant grimpé : preuve que les entreprises continuent à se réunir, mais autrement.

Le train est devenu la norme. On accepte désormais des trajets plus longs qu’avant. En 2019, personne n’aurait acheté un séminaire “au vert” à trois heures de Paris ; aujourd’hui, c’est le choix le plus fréquent”, poursuit Arnaud Katz. Les chiffres le confirment : selon le baromètre Kactus, l’empreinte carbone moyenne par participant à un événement a baissé de 11% entre 2023 et 2025, passant de 18,86 à 16,87 kg CO₂. Un progrès lié à la combinaison de lieux plus responsables, de trajets mieux maîtrisés et d’une offre alimentaire plus durable.

Autrement dit, la performance n’est plus incompatible avec la sobriété. “Aujourd’hui, un séminaire RSE ne coûte pas plus cher, et les entreprises atteignent le même niveau d’engagement et de satisfaction des collaborateurs”, insiste Arnaud Katz.

L’exemple OCTO : quand la politique voyage devient un levier culturel

Chez OCTO Technology, l’enjeu RSE est inscrit dans l’ADN. Certifiée B Corp dès 2021, la société a structuré sa démarche autour du programme Décarb’OCTO. “Quand on a réalisé notre premier bilan carbone, on a pris une claque : nos principaux impacts ne venaient pas de nos locaux ou de nos déplacements, mais des services numériques qu’on développe pour nos clients, raconte Charlotte Abdelnour, Directrice RSE. “Pour autant, nous avons voulu agir sur les émissions liées à notre fonctionnement, notamment celles liées aux déplacements professionnels sur lesquelles des recommandations nationales étaient en cours d’élaboration”.

Résultat : une politique claire, transparente et surtout incarnée. Tout trajet de moins de 4h30 se fait obligatoirement en train. Si ce n’est pas possible, chaque demande est examinée à l’aune de son utilité réelle : est-ce une rencontre indispensable ou une réunion substituable par une visio ? Peut-on décaler l’horaire ou prévoir un départ la veille ?

“Ce qu’on interroge avant tout, **c’est le pourquoi du déplacement**”, précise Charlotte. “Nous avons déjà dû challenger un client qui demandait l’intervention d’une collaboratrice lors d’un séminaire pour une journée au Canada. À la place, une session en téléconférence a été organisée”.

Pour rendre ces arbitrages visibles et compris de tous, OCTO a bâti une véritable architecture interne :

  • une page wiki répertoriant tous les trajets européens réalisables en train en moins de 4H30 et détaillant la démarche de cette politique de voyage,
  • un dashboard partagé qui affiche en temps réel le “budget carbone lié aux déplacements” de l’entreprise (zones verte, orange et rouge),
  • et une phase de validation des vols par la direction RSE pour amorcer la démarche.

Cette transparence a transformé les comportements : “Quand les collaborateurs visualisent leur empreinte, la régulation devient naturelle. On s’oriente d’ailleurs vers un modèle d’auto-régulation pour éviter une trop longue posture restricitve”, note Charlotte.

Les résultats suivent : le nombre total de kilomètres parcourus a diminué de 40% depuis 2021, tandis que les Octos adhèrent de plus en plus à la logique de sobriété. “Dans une entreprise où l’autonomie est un pilier, certains ont d’abord perçu ces règles comme une privation. Mais en réalité, c’est une cohérence collective. L’immense majorité y voit un engagement fort et sont fiers, d’autant que tout cela s’aligne sur les recommandations du Shift Project et sur les politiques nationales”.

Miser sur la pédagogie plutôt que la culpabilité

De la PME à la scale-up, le succès repose moins sur les interdits que sur l’accompagnement. “C’est une démarche progressive : il ne faut pas décourager ni mettre en péril le business. L'idée, c'est d'y aller pas à pas, de trouver le moyen d'embarquer tout en sachant qu'il n'y a pas de situation idéale”, insiste Karine Ribak.

Cela passe par la sensibilisation, la transparence, et parfois une dose de compensation : “Si un vol est incontournable, on peut investir en parallèle dans la mobilité douce ou des projets de reforestation, tout en gardant en tête qu’une émission reste une émission”.

La nouvelle équation : performance, exemplarité, attractivité

Aligner sa politique RSE et politique de déplacement n’est donc ni un luxe ni une lubie : c’est un levier de performance globale. D’un côté, les entreprises y gagnent en cohérence, en image et en marque employeur. De l’autre, elles réduisent leurs coûts et renforcent le bien-être de leurs équipes. Le but étant d’apporter un maximum de clarté et de logique dans les choix pour obtenir l’adhésion des équipes.

Paulina Jonquères d'Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias [...]

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