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Déplacements pro et performance : comment fixer leur ROI ?

Depuis la généralisation des visios, les déplacements professionnels sont passés au crible. Faut-il encore envoyer tous azimuts ses équipes sur le terrain ? Et surtout, comment mesurer leur retour sur investissement ? Si le coût est facile à tracer, la valeur ajoutée l’est parfois moins. Pourtant, les entreprises redécouvrent aujourd’hui tout ce qu’un rendez-vous physique peut apporter.

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“Durant le Covid, nous avons démultiplié les rendez-vous en visio : au lieu d’en faire un par jour, nous pouvions en enchaîner six. Quantitativement, le ROI semblait évident. Mais dans les faits, nos taux de conversion ont baissé”, raconte Marc Xavier, Chief Revenue Officer chez Lifen. L’entreprise, qui accompagne les hôpitaux et professionnels de santé, a vu ses interlocuteurs saturer sous le poids des sollicitations.

Une question de panier moyen ?

Pour autant, chez Lifen, deux réalités coexistent. Les inside sales, qui travaillent à distance, gèrent la volumétrie des médecins libéraux : "20 000 médecins nous ont fait confiance en huit ans avec seulement deux inside sales pour les closer. Sans cette approche en distanciel, ce serait impossible".

Mais pour les grands comptes hospitaliers, c’est une autre histoire : "Là, on parle à la DSI, au DAF, à la direction générale. Ce sont des cycles de décision longs, complexes. Pour ces clients-là, le déplacement s’impose".

Au final, un critère demeure lorsqu’il s’agit de trancher : le panier moyen atteignable au bout du cycle de vente. "Pour nos médecins libéraux, le panier annuel est autour de 300 €. Tu ne peux malheureusement pas justifier un déplacement chez un client à ce niveau-là. C’est différent pour nos grands comptes bien évidemment".  Autrement dit, le ROI du déplacement dépend du coût d’acquisition et de la valeur client.

Retour vers le futur

Depuis deux ans, Lifen encourage donc à nouveau ses commerciaux à se rendre physiquement dans les hôpitaux. Chaque sales gère un portefeuille régional et doit atteindre un ratio équilibré : un rendez-vous physique pour un rendez-vous visio. "On a même fixé des objectifs de couverture terrain : nos grands comptes doivent être vus entre quatre et six fois par an, et la moitié de ces rencontres se font en présentiel".

Au-delà du closing, Marc souligne la valeur informelle de ces moments. "En visio, tu vas uniquement parler business, mais dans les couloirs ou à la cafétéria, tu entends autre chose : des signaux faibles, des tensions, des besoins émergents. Ce sont ces conversations importantes qu’on ne capte jamais en visio".

Jean-Baptiste Degez, ex Regional manager chez Doctolib, partage le même ressenti :  "Quand on se déplace, on obtient bien plus d’informations sur l’organisation d’un cabinet par exemple. De plus, les médecins sont beaucoup plus prompts à nous recommander à leurs homologues quand nous nous rencontrons en présentiel".

Le ROI, une équation à plusieurs inconnues

Pour notre interlocuteur, la question du ROI dépend clairement du type de cycle de vente : "Chez Doctolib, c’était beaucoup de transactions, des paniers moyens bas et un cycle de vente court, souvent en un seul rendez-vous. Dans une même journée, on pouvait faire 2 à 3  rendez-vous, et une vingtaine de porte-à-porte. Dans ce cas, la journée de déplacement apporte un ROI très concret avec du closing et des RDV pris. C’est d’autant plus vrai avec une population de médecins qui n’utilise que partiellement Linkedin et est souvent sur-sollicitée au téléphone".

À l’inverse, sur des cycles longs – comme chez Lifen – le retour sur investissement ne se mesure pas en jours, mais en mois. "Quand tu mets huit mois à signer un contrat, tu dois valoriser tout le parcours : salon, première rencontre, échanges intermédiaires, visio, puis closing". Au sein de l’entreprise, tout est tracé dans Salesforce. "Chaque salon ou prise de parole est renseigné comme un “touchpoint” dans le cycle de vente. Si un salon a contribué à relancer la discussion, il compte".

Jean-Baptiste ajoute une autre grille de lecture : la valeur du déplacement côté management. "Le travail commercial terrain peut être solitaire, et complique la tâche du manager. Dans ce cadre, le manager se déplace non seulement pour aider au closing, mais aussi pour insuffler de la motivation et former les juniors. Non seulement les rendez-vous à deux closent souvent mieux, mais cela permet de créer de l’expérience partagée, du lien, et renforcer la légitimité du manager tout en faisant monter en compétence le commercial junior. Dans tous les cas, le déplacement est gagnant !"

Aussi, sur le terrain, le déplacement se transforme rarement en “temps perdu”. "En voiture, j’en profitais toujours pour passer mes coups de fil, écouter les replays de réunions, suivre les sujets. En train, c’est du deep work : mails, présentations, réflexion". Autrement dit, le déplacement devient un temps productif différent, à condition d’être pensé comme tel.

Le déplacement, un levier humain avant tout

Pour Stéphanie Carlucci, DRH externalisée, le ROI des déplacements reste un angle mort dans la plupart des organisations. "Dans beaucoup d’entreprises, on cherche surtout à maîtriser les coûts directs : hôtels, trains, restaurants. Mais on ne va pas jusqu’à évaluer si le déplacement était réellement utile. Je l’ai toutefois vu pour des sujets autour de la formation où l’on va privilégier la visio".

Elle observe toutefois une évolution selon la maturité des entreprises. "Au lancement, une start-up dépense sans compter pour se faire connaître. Puis, à mesure qu’elle grossit, arrivent les contrôleurs de gestion, les plateformes de réservation, les validations hiérarchiques". Le réflexe devient alors : “moins de déplacements = plus de contrôle”. "Mais on dépense moins sans toujours dépenser mieux", relève-t-elle.

Elle distingue aussi les déplacements incompressibles : visites de site, réunions sociales… "Certains sujets ne peuvent pas se traiter à distance : un CSE, un entretien de recadrage ou un licenciement nécessitent une présence physique".

Quid de la charge mentale ?

La question de la sécurité et de la charge mentale s’invite aussi dans le débat. "Sur la route, les commerciaux ne devraient pas téléphoner, mais la réalité est différente. En train, en revanche, tout le monde travaille. Je n’ai jamais vu un cadre sortir un roman pendant un trajet".

Mais le déplacement a aussi un coût humain : "Quand je dormais à l’hôtel pour mes tournées, j’étais souvent la seule femme. Beaucoup m’ont confié que la problématique des déplacements était un frein à l’équilibre vie pro/vie perso".

C’est là que la réflexion rejoint la culture d’entreprise : comment concilier mobilité, performance et inclusion ? Certaines boîtes choisissent de regrouper les déplacements, d’autres de créer des postes de proximité pour limiter les allers-retours. "J’ai déjà vu une entreprise recruter un RH sur site uniquement parce que les déplacements depuis le siège coûtaient plus cher que le poste".

Au-delà du coût, la valeur du lien

Chez Lifen, on assume pleinement le choix du déplacement. "J’entends souvent qu’un bon commercial, c’est celui qui a la plus grosse note de frais !" s’amuse Marc Xavier (en réalité, les commerciaux doivent respecter un budget de 150 euros par nuitée et rester raisonnables lors de leurs repas d’affaires, ndlr). "Blague à part, aller sur le terrain, c’est aussi bon pour la tête. On sort du bureau, on retrouve ses clients, on partage des moments avec son manager".

Les déplacements ont d’ailleurs un effet vertueux : ils renforcent la cohésion. "Quand un sales part avec son manager, le train devient un moment de discussion privilégié. On parle stratégie, mais aussi de tout le reste". Lifen pousse la logique plus loin : tous les nouveaux arrivants, y compris les profils tech, vont sur le terrain. "C’est essentiel pour comprendre nos utilisateurs finaux : les soignants".

De fait, le déplacement ne constitue pas qu’une dépense : c’est un investissement culturel. Il entretient le collectif, nourrit la fierté d’appartenance, et rappelle la raison d’être du métier. Autant d’éléments qui échappent à Excel… mais pas à la performance globale.

À retenir : comment mieux mesurer le ROI de ses déplacements

1. Croiser les indicateurs business et humains

Mesurer non seulement le chiffre généré, mais aussi la satisfaction client, la fidélisation et le taux de recommandation.

2. Valoriser chaque “touchpoint” dans le cycle de vente

Un salon, une prise de parole, un déjeuner peuvent être des déclencheurs décisifs. Les intégrer dans le CRM permet d’objectiver leur impact.

3. Adapter la stratégie au panier moyen

Un déplacement de 300 € pour un contrat à 300 € n’a pas de sens. En revanche, pour un grand compte à 50 000 €, la rencontre physique est stratégique.

4. Optimiser les tournées régionales

Mutualiser les visites sur une même zone pour réduire les coûts et l’empreinte carbone, tout en augmentant la productivité du déplacement.

5. Donner un sens humain au déplacement

Coaching, accompagnement, apprentissage : un déplacement utile, c’est aussi celui qui renforce la culture, la confiance et la cohésion.

Paulina Jonquères d'Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias [...]

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