Tribune – Pourquoi faut-il sortir du piège du “leadership au féminin” ?
L’appellation “leadership au féminin” semble une bonne idée sur le papier, mais in fine, elle ne l’est pas. Anselme Jalon, CEO de NUMA, nous explique pourquoi.
Affirmer qu’il existe un style de management spécifiquement féminin ou masculin est non seulement réducteur, mais renforce également les biais existants. Selon moi, il faut reconnaître que les femmes font face à des défis supplémentaires de ceux des hommes ou spécifiques et pour cela, arrêtons de parler de “leadership au féminin”.
Fort de cette conviction, j’ai voulu lancer avec NUMA il y a maintenant deux ans un programme “femmes leaders” pour nos clients, pour justement aider les femmes à accéder plus facilement et rapidement à des postes de leadership. Dans tous les secteurs, le plafond de verre reste difficile, voire impossible, à casser. Surtout pour atteindre les postes de plus haut niveau : seuls 37,5 % des Comex/Codir du CAC 40 ont atteint ou dépassé le taux de mixité minimum de 30% prévu par la Loi Rixain-Castaner.
Les biais et défis spécifiques rencontrés par les femmes
En écoutant les besoins sur le terrain, nous avons identifié que les défis spécifiques rencontrés par les femmes incluent le sexisme ordinaire, mais vont bien au-delà. Il s’agit aussi de travailler sur l’assertivité, le syndrome de l’imposteur et la capacité à exercer de l’influence.
Un autre défi majeur que nous avons voulu relever avec ce programme est de mieux mettre en réseau les femmes, ce qui s’avère crucial lorsqu’il y a des postes à pourvoir. En effet, ces dernières réseautent moins naturellement que leurs homologues masculins. Selon une étude de LinkedIn, les femmes sont 18% moins susceptibles que les hommes d'avoir un réseau solide sur la plateforme.
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Pourquoi des parcours 100% féminins ?
Nos clients sont unanimes : ces programmes fonctionnent mieux lorsque les groupes sont exclusivement féminins. Cette intuition s’est vérifiée, car il y a un réel besoin de créer un "safe space" où les femmes peuvent s’exprimer librement et partager leurs expériences sans la pression d’une audience mixte. Ce cadre permet de libérer la parole et d’adresser des problématiques spécifiques sans crainte de jugement.
C’est d’ailleurs la stratégie qu’a privilégié notre client Euronext, comme l’a soulignée Anne Denisart-Trémenbert, DRH de l’entreprise lors d’une conférence sur le sujet (Congrès Learning & Talent Development, juin 2024) : “nous avons opté pour des groupes exclusivement féminins afin de libérer la parole et d’adresser les problématiques particulières auxquelles les femmes sont confrontées. Par exemple, les réunions où les femmes ont l'impression de se faire couper la parole est symptomatique, et pour garantir que toutes les problématiques sont abordées, nous avons jugé plus efficace de privilégier des groupes de femmes.”
Une formation pour les femmes, est-ce discriminant ?
Il est crucial de bien communiquer sur ces initiatives : bien que ces programmes soient destinés aux femmes, ils complètent une offre de formation globale et ouverte à tous. Réserver des formations aux femmes peut parfois sembler discriminant et créer une perception de discrimination inversée, surtout si les objectifs ne sont pas bien compris. Cependant, cette démarche n'enlève rien à personne et s'intègre dans une offre de formation globale : elle ajoute simplement une option pour mieux répondre aux besoins particuliers des femmes.
Aussi, clarifier la communication permet de faire comprendre les raisons et les objectifs derrière cette démarche. Aujourd’hui et malgré ce que l’on souhaiterait dans un monde idéal, libérer la parole en un temps relativement limité sur ces sujets est compliqué dans des groupes mixtes et plus efficace dans des groupes 100% féminins.
Élaborer une stratégie efficace et durable
Par ailleurs, je suis convaincu qu’il est crucial de s’inscrire dans une démarche globale et sincère pour éviter que ces programmes ne soient des “coups d’épée dans l’eau”. Cela implique d’avoir une ambition claire, des objectifs précis et des actions cohérentes sur plusieurs fronts : sensibilisation des managers aux biais de genre, révision des processus RH (notamment le recrutement et la promotion interne), création de réseaux de femmes et de réseaux d’ambassadrices, etc.
Sortir du piège du “leadership au féminin” est essentiel pour réellement promouvoir l’avancement des femmes vers des postes de responsabilité. En reconnaissant les défis uniques auxquels elles sont confrontées et en développant des programmes adaptés, nous pouvons créer un environnement plus équitable et inclusif.