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L’IA va-t-elle tuer… ou sauver le CV ?

Imaginez un monde dans lequel une IA réaliserait un CV qui serait à son tour analysé par une autre IA… Avouez qu’on pourrait dès lors douter de la plus-value réelle du CV dans le process de recrutement. Dans les faits, nous n’en sommes pas encore tout à fait là, mais la déferlante IA suscite bien des questions quant à l’avenir du CV. Quatre professionnels nous donnent leur opinion.


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“Nous sommes arrivés dans une période de transition inconfortable, où les candidats ont pris davantage d’avance sur l’IA que les recruteurs”, introduit Laetitia Sauvage, fondatrice d’About ü, une plateforme de recrutement nouvelle génération pour les managers et dirigeants. Preuve de ces tiraillements et frictions, une récente étude démontre que 76% des professionnels des RH n’utilisent pas et ne souhaitent pas utiliser les outils d’IA (OpinionWay pour l’éditeur RH Kelio).

Pour 87% d'entre eux, ils pourraient cependant s'avérer précieux dans le domaine du recrutement (un peu schizophrénique non ?). Alors, entrons dans le vif du sujet plutôt que de gloser : à quoi ressemble vraiment l’usage de l’IA en matière de rédaction et d’analyse du CV à l’heure actuelle ?

Les candidats et l’IA, une histoire qui roule déjà

Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître… celui où l’on se coltinait 4H de rédaction de CV un dimanche après-midi (sans parler de sa traduction pour les stages à l’étranger) en espérant se retrouver en haut de la pile. Aujourd’hui, à l’ère de l’instantanéité, les jeunes n’y consacrent clairement pas plus de quelques dizaines de minutes, et les séniors ne sont pas loin de leur emboîter le pas. Spécialiste de la gén Z et enseignante au sein de l’IESEG School of Management, Elodie Gentina le confirme : “mes étudiants sont friands d’IA, car ils recherchent des réponses immédiates, mais aussi parce que ces outils leur permettent d’exprimer leur créativité”.

Fondatrice de MyCVfactory, plateforme spécialisée dans la réalisation de CV, Pauline Lahary est aux premières loges pour constater l’évolution de ce support. Pour elle, la réponse est claire : non, le CV n’est pas mort, mais comme tout produit qui désire subsister, il doit évoluer avec son temps”. Alors qu’il y a 8 ans, on façonnait encore nos CV sur Word, le CV en ligne est apparu puis la suggestion de contenu dès 2021. Depuis fin 2023, la grande nouveauté de la plateforme est de proposer un accompagnement par l’IA pour réaliser son CV. Le candidat raconte son parcours, sa vision d’un métier, exprime ses traits de personnalité, puis l’IA lui concocte un CV parfaitement taillé pour l’annonce qu’il convoite.

L’IA, le Tinder des talents ?

Pour Pauline Lahary, “le recours à l’IA doit permettre au candidat d’être reçu en entretien, car son CV a été parfaitement optimisé, alors qu’il aurait pu passer au travers des filtres de recherche, notamment s’il n’avait pas posé les bons mots clefs”. L’objectif en clair est d’amener sur la table des recruteurs des CV qui n’avaient aucune chance au démarrage. Selon Elodie Gentina, l’IA joue en quelque sorte le rôle de “Tinder des talents” en se positionnant comme une entremetteuse entre les compétences des candidats exprimées sur le CV, et les besoins des entreprises.

Un point de vue qui fait écho à la technologie de la startup Seeqle, qui propose cette fois-ci d’utiliser l’IA côté recruteur. La solution permet de cibler proactivement sur les réseaux sociaux, les candidats les plus pertinents pour un poste en établissant un profil-type de performeur basé sur l’analyse de données d’une cohorte d’individus (profil LinkedIn, usage des réseaux sociaux, comportement en ligne, centres d’intérêt etc). “Avec notre solution, les entreprises reçoivent 5 fois plus de candidatures qualifiées, tout en conservant un coût classique de diffusion d’offres d’emploi”, avance Jean-Eudes Yahouedeou, fondateur de cette startup qui a été incubée chez Facebook à Station F.

La seconde étape de la solution consiste à analyser les CV reçus pour détecter, non seulement les hard skills qui matchent avec le poste, mais aussi de déduire les soft skills du candidat. Le but ? Déterminer un taux de correspondance avec l’offre. “Et si le profil n’est pas tout à fait pertinent, l’IA indique ce que le candidat peut améliorer”, poursuit l’entrepreneur.

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Un risque de ne favoriser que des clones, qui plus est aux compétences obsolètes ?

La question qui surgit en filigrane face à l’utilisation de l’IA dans la création et le filtrage des CV est l’avenir des profils atypiques. Si par exemple, une IA estime qu’un commercial performant a 70% de chances de s’intéresser aux voitures et aux voyages, quid des autres profils qui n’entrent pas dans le moule ? Un sujet sensible pour Jean-Eudes Yahouedeou qui nous explique que le ciblage des candidats exclut justement le recours à des filtres comme l’âge, le sexe, l’état civil, le passage dans une grande école… “L’objectif est bien d’éviter les phénomènes de reproduction sociale pour se fonder davantage sur des critères objectifs, puis de faire intervenir l’humain pour valider les soft skills pressentis par l’IA”, poursuit-il.

Avec sa plateforme About ü, Laetitia Sauvage mise, elle aussi, sur l’IA pour supprimer une partie des biais dans le recrutement. Exit le CV, “les candidats commencent par enregistrer un audio dans lequel ils racontent leur parcours. Puis c’est une IA qui prend le relai et réalise une synthèse en supprimant tous les facteurs discriminants. Cela me permet ensuite de présenter trois profils anonymes shortlistés à mes clients, raconte-t-elle.

De son point de vue, à l’heure où les hard skills deviennent de plus en plus rapidement obsolètes, le CV est amené à évoluer pour se focaliser sur les soft skills ou encore les mad skills, ces compétences développées en dehors du cadre professionnel. Un CV statique, qui fige des compétences, n’est plus très pertinent. Il faut aussi qu’il mette en avant le WHY de chacun. C’est essentiel pour assurer un bon matching avec la culture d’entreprise”, poursuit-elle.

“Les candidats veulent plus d’authenticité, alors qu’ils en fassent preuve eux aussi !”

Qu’il s’agisse du CV ou de tout autre sujet, l'intelligence artificielle n’est donc pas là pour supplanter l’humain, mais pour le compléter.Il est important que les candidats qui utilisent l’IA comprennent que s’ils veulent plus d’authenticité de la part des entreprises, ils doivent eux aussi en faire preuve envers les employeurs”, martèle Elodie Gentina. Autrement dit, aucun recruteur n’a envie de recevoir un CV formaté par une IA et qui collerait faussement à 100% avec le poste.

Notre œil est formé à repérer les formulations toutes faites, les profils trop beaux. Le but d’un recruteur est de gagner du temps, pas d’en perdre avec des profils qui ne correspondent pas avec la réalité et dont on comprend vite qu’ils ne sont pas adaptés dès l’entretien”, affirme Laetitia Sauvage. Pour autant, l’IA pourrait justement aider les entreprises à détecter les profils “pipeautés” : on pourrait imaginer que les diplômes et passages dans telle ou telle entreprise soient validés dans la blockchain, ou encore qu’une personne ne puisse pas déclarer sur LinkedIn avoir travaillé dans telle ou telle boîte sans que l’employeur le valide.

De son côté, Pauline Lahary nous explique que les candidats qui utilisent myCVfactory sont justement invités par l’IA à refaire une passe sur leur CV pour s’assurer qu’il coïncide vraiment avec leurs compétences. “Et si l’une des compétences clefs citée dans l’annonce n’est pas encore maîtrisée, on les invite à écrire qu’elles sont à acquérir”. Pour Elodie Gentina, il faut effectivement que les candidats gardent bien en tête que les recruteurs attendent avant tout qu’on leur raconte une histoire, pas qu’on les assomme de mots clefs.Finalement, l’IA est là pour constituer le squelette du CV, mais le candidat doit toujours y apporter sa touche”, résume-t-elle.

Laetitia Sauvage conclut en exhortant les entreprises à s’emparer davantage du sujet de l’IA en matière de recrutement. “Les candidats ont pris une longueur d’avance avec le CV, c'est normal, ils sont plus agiles que les entreprises. Les recruteurs vont devoir prendre le taureau par les cornes pour que l'IA favorise l'efficacité de leurs process et optimise également la diversité des profils retenus sur CV et donc la performance de leur organisation."

Bref, l’IA ne va ni tuer, ni sauver le CV… ce sont les humains qui auront le dernier mot si tant est qu’ils s’emploient à déployer une vraie vision en matière de recrutement !

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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