Faut-il recruter son remplaçant ?

Pousse-toi un peu que je m’y mette ! Recruter son successeur, c’est non seulement acter son départ, mais aussi accepter de transmettre une part de son identité professionnelle. Forcément, il ne s’agit jamais d’une étape facile. D’ailleurs, est-elle seulement souhaitable ? Entre risques de clonage et opportunités de transmission, difficile de savoir où poser le curseur.
Règle n°1 : Transmettre en toute authenticité
Qui de mieux placé qu’une personne en poste pour parler de son job, et choisir son successeur ? Sur le papier, l’idée n’est pas irrationnelle, nous en conviendrons. Boutayna Burkel, fondatrice de The Helpr, y voit effectivement une opportunité.
Selon elle, la transmission de relais est précieuse, notamment pour assurer la continuité du knowledge management et réduire les frictions organisationnelles. “Je le vois particulièrement d’un bon œil dans le cadre d’une mobilité interne. Par exemple, le manager reste dans la boîte, mais il change juste de poste”.
Autre enjeu clé selon Boutayna : la transparence du processus. Si l’on cache au candidat la possibilité de rencontrer la personne qu’il ou elle remplace, cela peut générer méfiance et fantasmes : “Quand il y a flou, il y a un loup. Si on n’est pas clair sur les conditions du départ, cela laisse place à l’interprétation”. À l’inverse, une rencontre bien préparée permet d’envoyer un message positif : celui d’une organisation mature, qui gère ses départs dans la sérénité.
💡 Le conseil en + : Cette transmission ne doit pas être une obligation morale ou de façade : “Il faut que ce soit fait de façon authentique. Le problème de ce genre de dispositif, c’est lorsque cela devient une forme de coercition, ou qu’on remplit juste un devoir moral par égard à son employeur”, lance la fondatrice de The Helpr. En clair, pour que le dispositif fonctionne, il doit reposer sur une réelle volonté d’apaiser la transition.
Règle n°2 : Se méfier du risque clone
Si la transmission a ses vertus, gare cependant à notre penchant naturel à choisir celles et ceux qui nous ressemblent (ils sont beaux, forcément). Un biais souligné par Elodie Gentina, professeure à l’IESEG et spécialiste de la génération Z : “Lorsque l’on part et que l’on recrute soi-même, on va nécessairement pencher pour quelqu’un qui partage le même statut, le même diplôme voire le même sexe que nous, ce qui est particulièrement délétère pour l’avancée des femmes au sommet. Bref, cela va à rebours de la diversité ».
Ce phénomène, que le célèbre sociologue Pierre Bourdieu appellait l’«habitus» nous enferme dans un schéma répétitif. Le manager sortant risque de recruter un clone, reproduisant ainsi les mêmes schémas culturels, sociaux et professionnels. D’où l’importance de casser cette logique.
💡 Le conseil en + : Elodie Gentina plaide pour un “entretien d’exploration et pas de confirmation”. En outre, associer d’autres personnes au processus de recrutement qui n’ont pas les mêmes caractéristiques que le sortant permet d’apporter un œil nouveau.
Règle n°3 : Faire taire son égo
Recruter son remplaçant ? Abdelkader Lahouel, Head of HR chez Vizcab, a vécu cette expérience à plusieurs reprises. Et son avis est tranché : recruter son remplaçant est une fausse bonne idée. Mais plus encore, il évoque la désillusion qui peut être provoquée par le processus.
“Par le passé, je me suis rendu compte que mon boss ne cherchait pas forcément les mêmes compétences que moi pour mon successeur. Ce qu’il voulait, c’était un super bon commercial. Moi, j’avais recruté quelqu’un qui me ressemblait, plus technique, et cela peut venir bêtement ternir la relation. On se dit que finalement, on n’était peut-être pas à notre place”, se souvient-il. En toile de fond ? Le piège de l’ego…
💡 Le conseil en + : Il est essentiel de ne surtout pas confier la responsabilité du recrutement au sortant. Car au-delà de la passation technique, recruter est un acte stratégique. Il engage l’entreprise bien au-delà du départ du manager ou collaborateur actuel. Avec le recul, Abdelkader s’est rendu compte qu’il avait mal ciblé son remplaçant puisque deux personnes lui ont finalement succédé. Bref, le sortant peut participer au processus, mais ne doit surtout pas le présider.
Faites vos jeux !
Alors, faut-il recruter son remplaçant ? La réponse dépend avant tout de l’intention stratégique du recrutement. Comme le rappelle Boutayna Burkel, il ne s’agit pas de “recruter une réplique de celui qui était là, mais de créer une nouvelle ère, d’inclure de nouvelles compétences”.
L’enjeu est aussi relationnel : la présence du manager/collaborateur sortant dans le processus peut apaiser les tensions, réduire les rumeurs et favoriser une transmission plus fluide. “Ça rassure, personnellement, je demande à rencontrer mon prédecesseur si je suis amené à remplacer quelqu’un qui part”, note Abdelkader Lahouel. Mais encore faut-il éviter que cette implication ne se transforme en piège.
Les bonnes pratiques à retenir
- Ne pas recruter seul·e : impliquer des parties prenantes variées (N+1, RH, collègues) pour limiter les biais.
- Clarifier le cadre : définir précisément le rôle du manager sortant dans le process (avis consultatif, passation de connaissances, accompagnement de transition).
- Favoriser la transparence : ne pas laisser de zones d’ombre sur les raisons du départ ni sur les attendus du poste.
- Préparer la passation : organiser un vrai transfert de connaissances, pour ne pas perdre les savoirs métiers.
- Assurer la neutralité du process : que le recrutement serve le projet d’équipe et non les affects ou les frustrations personnelles.
Recruter son remplaçant ne se fait donc pas la fleur au fusil. Mal géré, ce recrutement peut renforcer les biais, freiner la diversité et enfermer l’organisation dans des pratiques passéistes. Bien encadré, il devient un acte de transmission et d’intelligence collective. Et c’est là toute la nuance : préparer l’avenir sans s’enfermer dans le passé !