société

L’illectronisme : ou la discrimination du clavier et de la souris

ChatGPT, PowerPoint, Slack, Google Meet… Tous ces noms un peu barbares sont le quotidien de beaucoup de travailleurs. Des travailleurs accrochés de près ou de loin à leur ordinateur. Si tout cela semble plus ou moins naturel, pour d’autres, toucher du doigt l’informatique est un vrai chemin de croix. Et donc une discrimination potentielle…


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En France, on estime qu’environ 8 millions de personnes seraient concernées par l'illectronisme (INSEE), soit la difficulté à se servir d’un smartphone ou d’un ordinateur de façon autonome pour réaliser des démarches administratives ou bureautiques, voire simplement entretenir des liens avec leurs proches de manière régulière. Loin de ne concerner que les personnes âgées, l'illectronisme toucherait en réalité une population bien plus large, y compris des adolescents. Un vrai sujet d’égalité des chances !

15% de la population française serait touchée par l’illectronisme. Cela semble énorme, mais en réalité, la proportion de personnes concernées pourrait être sous-estimée. Car, voyez-vous, l’illectronisme ne se cantonne pas à l’image d’Epinal de Jacotte qui galère avec son Nokia 3310 (mémé est so vintage).

C’est ce que nous explique Samuel Morel, médiateur numérique pour l’association Le Coup de main numérique qui œuvre en Loire-Atlantique : “nous sommes assez réservés sur les statistiques nationales, car dans les faits, parmi les personnes que nous accompagnons, la moyenne d’âge tourne entre 40 et 50 ans, avec de fortes disparités dans les niveaux de maîtrise des outils informatiques. L'illectronisme est aussi largement conditionné au niveau social puisque nous accompagnons un public précaire comme les intérimaires, ouvriers ou employés dans les milieux urbains ”.

Ainsi, l’association œuvre auprès de différents publics : des permanences fixes dans des espaces départementaux solidaires ou autres structures publiques, des actions de sensibilisation ou des sessions de distribution d’ordinateurs aux élèves boursiers dans des collèges, ou encore deux caravanes tournant autour de la métropole nantaise et dans les milieux ruraux en Loire-Atlantique.

Des collégiens qui restent sur la touche

L’association intervient donc aussi dans les collèges pour dispenser des cours d’éducation aux médias, et plus globalement, faire de la pédagogie sur le numérique. “On se dit que les jeunes sont des pros de l’informatique parce qu’ils sont nés avec le digital, alors qu’en réalité, certains ne connaissent pas les notions basiques sur l’ordinateur, généralement parce qu’ils n’en ont pas à la maison pour s’entraîner”, illustre Samuel Morel.

Typiquement, un jeune peut être très à l’aise sur un smartphone, mais ne pas savoir taper sur un clavier ou utiliser correctement une souris. “Les smartphones ont une ergonomie bien pensée mais qui enferme les jeunes dans un écosystème où ils utilisent toujours les mêmes applis”, souligne notre interlocuteur.

Un vrai sujet d’égalité des chances

L’illectronisme s’avère être une vraie source d’inégalités puisqu'en face, d’autres collégiens maîtrisent parfaitement l’outil informatique, leur permettant de produire des exposés à la présentation impeccable, comme a pu l’observer Samuel Morel lors de sessions d’aide aux devoirs. Une longueur d’avance qui leur permet d’être plus à l’aise dans la suite de leurs aventures dans le supérieur puis le monde professionnel. “Lors de mes interventions dans les collèges, j’ai à cœur de montrer aux adolescents l’aspect ludique de l’ordinateur afin qu’ils prennent du plaisir. J’essaie de développer leur curiosité, car cela aura un vrai impact sur leur insertion professionnelle, illustre Samuel Morel.

Ne pas maîtriser correctement les outils informatiques dans le monde actuel compromet effectivement les chances de réussite. Ce fut le cas de “Madame H” : titulaire d’un bac + 5 dans un pays étranger, elle a toujours retranscrit ses cours à la main, ne disposant pas d’un ordinateur. Arrivée en France, elle a démarré des jobs de secrétaire, mais a été licenciée à chaque fois en raison de sa faible maîtrise des outils informatiques.

Accompagnée par l’association Le Coup de main numérique, elle témoigne :  “Ces rendez-vous m’ont aidée à m’alléger des soucis qui pesaient dans ma vie, car c’est parfois très dur et épuisant d’être dans un pays où l’on ne maîtrise pas la langue pour réaliser des démarches administratives".

Une méconnaissance de la sécurité des données

Que l’on soit jeune ou (carrément) moins jeune, nul n’est à l’abri des cyberattaques et du cyberharcèlement. Mot de passe facilement piratable, stockage de papiers administratifs en clair sur le smartphone, manque de protection de sa vie privée en ligne…. L’illectronisme, c’est aussi ce manque de culture numérique qui peut causer des dégâts gigantesques, à la fois économiques, mais aussi psychologiques.

Chez les adolescents typiquement, on observe que certains peuvent partager des photos d’eux gênantes qui vont ensuite tourner sur les réseaux et leur nuire. Nous essayons de les sensibiliser aux conséquences de leurs actes”, poursuit Samuel Morel.

Sortir de la honte

La lutte contre l’illectronisme est donc un combat encore loin d’être gagné, et qui nécessite une démultiplication des actions sur tout le territoire auprès d’un public varié. “Notre philosophie est qu’en aidant une personne, on aide tout son foyer. À ce jour, ce sont plus de 800 foyers que nous avons accompagnés depuis la création de l’association en 2019. Mieux vaut apprendre à une personne à pêcher, que de pêcher à sa place… ”, lance notre interlocuteur.

Il insiste de surcroît sur le sentiment de honte et d’isolement que peuvent ressentir les personnes atteintes d'illectronisme, et qui n’osent parfois même pas demander de l’aide à leurs proches par peur du jugement. “Pourtant, le numérique est simplement comme une langue étrangère que l’on peut apprendre. Alors, il ne faut pas hésiter à se faire entourer par des structures comme la nôtre qui existent sur tout le territoire”, conclut-il.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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