Qui prend soin des RH ?
Elles bichonnent les salariés, préparent les soirées de Noël et vivent (aussi) un véritable ascenseur émotionnel quand il faut annoncer les mauvaises nouvelles. Souvent prises entre le marteau et l’enclume, les équipes dédiées aux ressources humaines ne vivent pas toujours des heures faciles. Alors, si les RH doivent prendre soin des autres, qui prend soin d’eux ?
“J’avais posé une boîte de mouchoirs en évidence sur mon bureau, et j’ai dû la changer plus souvent que je ne voudrais l’admettre. La plupart du temps, c’étaient surtout les employés qui l’utilisaient. Mais lorsqu’ils quittaient mon bureau, ou durant les temps calmes où je réfléchissais à ces conversations difficiles, c’était parfois moi”, témoigne cette spécialiste des RH américaine dans un article intitulé “RH, prenons soin de nous, aussi”.
La crise sanitaire, une période charnière pour les RH
Chargés du bien-être des employés, tout autant que de l’optimisation de la masse salariale, les RH occupent une position délicate au sein de l’entreprise. Entre les équipes RH et People, on retrouve une myriade de rôles : recrutement, gestion des moments clefs de la carrière du salarié (onboarding, promotion, congés maternité, offboarding…), formation, paie, administratif, vie de l’entreprise… “Notre fonction est souvent pointée du doigt car nous devons licencier, mais notre mission première est avant tout de créer un environnement de travail sain et épanouissant”, décrit Olivier Bouteille, People and culture Manager chez Ikea. Autant d’injonctions paradoxales qui touchent particulièrement la fonction de DRH.
Imaginez : il faut traiter tout à la fois avec le DG (Directeur Général), le président du CA (Conseil d’administration), les salariés et les syndicats. Un cocktail explosif ! “Il existe une vraie solitude du DRH, un poste éminemment politique où l’on ne peut pas dire ou faire tout ce que l’on veut”, constate Catherine Pierrat, psychologue spécialiste des relations et difficultés au travail, et ancienne DRH.
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Personnel soignant et DRH, même combat
D’une certaine façon, on pourrait comparer cette population à celle des soignants, d’autant qu’elle a été en première ligne durant la crise sanitaire. “C’est vrai que tout comme un infirmier ou un médecin, les RH sont censés aller toujours bien”, poursuit notre interlocutrice.
Pourtant, la période pandémique et les transformations actuelles du travail ne leur laissent pas de répit. “Nous avons dû gérer les collaborateurs dans un mode de fonctionnement inconnu. Les directions attendaient beaucoup de nous, ce qui a généré des difficultés supplémentaires, sans compter que pour certaines activités, il était vraiment compliqué d’être séparés physiquement des salariés”, témoigne Olivier Bouteille. Alors, pour certains RH ou DRH, cette pression n’a pas toujours été facile à tenir. Pour autant, personne ne s’en est réellement ému.
Les RH, des cordonniers mal chaussés ?
Comme le veut l’expression consacrée, peut-on donc imaginer que par nature, la fonction RH a tendance à s’oublier (et à être oubliée) au profit des autres salariés ? “Par exemple, nous sommes les garants du respect par les collaborateurs du Droit à la déconnexion, mais nous sommes les premiers à ne pas l’appliquer pour nous-mêmes. Comme nous sommes là pour les autres, nous allons avoir tendance à travailler encore davantage, surtout en période de crise”, pointe Olivier Bouteille.
Travailler et ne jamais craquer, ce devrait donc être le mantra de tout DRH ? “Comme toutes les personnes à un poste de direction, on se sent vite irremplaçable. Et puis, il y a l’ego : difficile de critiquer les salariés qui prennent des arrêts maladie et de le faire ensuite. Sans compter que les autres salariés ne manquent pas de le faire remarquer”, rapporte Catherine Pierrat.
Et puis, comme elles sont chargées d’organiser tous les événements fédérateurs de l’entreprise, comme les soirées ou séminaires, les équipes RH sont rarement dans le lâcher prise dans le contexte du travail. “Mais nous profitons d’une autre façon”, confie notre interlocuteur.
D’autant que rien n’empêche un DRH de venir transpirer aux cours de gym qu’il a lui-même mis en place. “En fait, cela dépend de la culture d’entreprise et de la personnalité de chacun. Rien n’interdit un DRH de chausser ses baskets avec le reste de l’équipe, et encore plus à l’heure des organigrammes aplatis", remarque Catherine Pierrat. Allez, tous en legging ! Un premier pas pour lutter contre la solitude ?
Alors, qui prend soin des RH ?
Lorsque l’on pose cette question, aucune réponse évidente ne s’impose. Pourtant, il existe déjà des dispositifs mis en place au sein des entreprises.
1 - Les RH et DRH ont eux-mêmes des n+1
Tout d’abord, il ne faut pas oublier que les RH ont eux-mêmes des managers (directeur d’unité, directeur régional, DRH..). Alors, au même titre que les autres collaborateurs, ces fonctions bénéficient aussi du traditionnel entretien annuel. Or, “le rôle du manager, comme dans n’importe quelle section de l’entreprise, est de s’assurer que le collaborateur a tous les outils et ressources à sa disposition pour faire correctement son travail”, affirme Olivier Bouteille.
La particularité des RH est que la fonction est chargée de mettre en place ces outils, qui s’inspirent forcément aussi de leur propre expérience en tant que collaborateur. “Mais du coup, en prenant soin des autres, les RH prennent de facto soin d’eux”, poursuit-il.
Quid du DRH ? En théorie, son supérieur est le Directeur Général. Mais dans les faits, c’est un peu plus compliqué. “En réalité, un DRH a d’une certaine façon plusieurs N+1”, rapporte Catherine Pierrat. Alors qu’elle occupait cette fonction, elle raconte avoir eu des entretiens officiels avec son DG et Président du Conseil d’Administration, tout autant que des rencontres officieuses avec ces deux acteurs : “Dans tous les cas, il n’est jamais possible pour le DRH de vider son sac, il doit toujours mesurer ses propos”.
2 - Des séances de psy
La fonction de DRH est plus problématique que les autres en matière d’expression des difficultés. “Pourtant, tout le monde a besoin d’être écouté”, avance Catherine Pierrat. C’est pourquoi certaines entreprises prennent en charge des séances individuelles avec des psychologues à l’extérieur de l’entreprise, ou encore avec des coachs.
Ici, il n’est pas question de faire remonter des informations ou de tenter de changer les choses. “Si par exemple, tu as un DG pervers narcissique, tu ne pourras qu’apprendre à t’en protéger. Il s’agit plutôt d’apprendre à adopter la juste posture, prendre du recul, parce que le DRH est confronté à des difficultés qu’il ne peut pas forcément changer, et surtout, qu’il a souvent la tête dans le guidon”, analyse Catherine Pierrat.
3 - Un médiateur
Lorsque la situation est trop tendue entre le DRH et une autre personne stratégique de l’entreprise, des médiations sont parfois proposées. “Parfois, il suffit de remettre les choses à plat et de refixer les périmètres de chacun pour que cela s’apaise”, témoigne la psychologue.
4 - Les séminaires off-site intra-équipe
Une autre manière de prendre soin des équipes RH est d’organiser des séminaires qui leur sont spécialement dédiés. Là encore, des psychologues et coachs peuvent intervenir. Le seul hic ? “On reste dans l’entre soi, donc ces séminaires peuvent s’avérer être politiques et on ne s’y lâche pas”, alerte Catherine Pierrat.
5 - Les cercles de parole
Plutôt que de laisser les équipes RH en vase clos, il peut être intéressant d’organiser des cercles de parole qui peuvent être inter-entreprises. Chacun vient y exposer ses difficultés techniques ou humaines, et recevoir le retour d’expérience de ses pairs. “Cela peut s’organiser entre un DRH et d’autres membres de la direction, mais je trouve cela encore plus pertinent de l’organiser entre plusieurs entreprises”, affirme la psychologue.
Il se trouve que l’esprit de corps est assez fort au sein des métiers des ressources humaines, et notamment aux postes de DRH qui sont isolés dans l’entreprise. C’est pourquoi, la participation à des débats mensuels suivis de dîners informels par des associations comme l’ANDRH (Association Nationale des DRH) sont particulièrement appréciés de la population des DRH.
Et demain, on fera quoi pour prendre soin de nos RH ?
Si l’on met ses lunettes 3D, que peut-on imaginer dans 10 ans ? Il se trouve que le futur existe déjà dans certaines entreprises où l’on rencontre des “RH de RH”. Ok, on rembobine. Concrètement, à quoi cela peut ressembler ? “On peut imaginer un fonctionnement circulaire où des RH de RH prendraient soin des RH, et inversement”, imagine Olivier Bouteille. Un cas de figure qui ne fonctionnerait que dans de très grandes entreprises ayant les moyens de déployer beaucoup de ressources en interne.
De manière plus réaliste, on peut plutôt imaginer des consultants externes chargés de s’occuper spécifiquement des RH et d’objectiver leurs besoins. “Cela me semble aussi plus juste car on peut difficilement être juge et partie”, soulève Catherine Pierrat.
Dans tous les cas, “la fonction RH est de plus en plus tournée vers l’humain et placée au cœur de l’entreprise, c’est pourquoi le développement d’une fonction spécifique qui s’occuperait des ressources humaines est cohérente”, conclut Olivier Bouteille. Car ne dit-on pas qu’un parent bien dans ses baskets s’occupera mieux de son enfant ? Alors, chers professionnels des ressources humaines, prenez soin de vous, vous prendrez mieux soin de nous !