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Recruter plutôt que fidéliser : le nouveau dilemme des entreprises ?

La guerre des talents est terminée… et les talents ont gagné… apparemment ! Forts d’un pouvoir de négociation inédit, ils peuvent dicter de nouvelles règles du jeu. Alors, les entreprises se résignent-elles face au phénomène ? Ou s’évertuent-elles à fidéliser leurs collaborateurs ? Une réalité plus complexe qu’il n’y paraît…


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Si en France, on ne s’est pas vraiment aventurés à parler de Grande Démission (terme inventé par nos amis ricains), les chiffres sont là : entre 2021 et 2022, le nombre de démissions a explosé pour atteindre la somme de 520 000 par trimestre, dont 470 000 en CDI, preuve que ce dernier n’est plus perçu comme le graal absolu.

Grande démission ? Pas vraiment : 8 démissionnaires sur 10 ont déjà retrouvé un boulot.

Mais minute papillon : dans son rapport, la DARES nuance le propos. Le taux de démission a déjà été plus élevé dans l’Hexagone, plus précisément en 2008, à l’aube de la crise financière. Et puis, il ne s’agit pas non plus pour les Français de rester sur leur canapé et de bouder le marché du travail : près de 6 mois après avoir fait leurs adieux à leur entreprise, 8 démissionnaires sur 10 ont déjà retrouvé un boulot.

Ce que l’on observe donc, c’est une plus grande flexibilisation du marché du travail. Cela est particulièrement vrai chez les millenials qui switchent sans complexe d’une entreprise à l’autre (pour mieux comprendre le phénomène, voir notre article sur le Job hopping). Si le rapport au travail change, c’est aussi la conjoncture qui explique le mouvement : il n’a jamais été aussi facile de trouver un job, alors pourquoi se priver de nouvelles opportunités ?

En matière de négociation, les candidats sont donc plus durs en affaires. Dans une étude menée par The Boson Project à l’automne 2022, 86,3% de la centaine de dirigeants sondés concèdent leurs difficultés à recruter. Des dirigeants qui sont par ailleurs 78% à considérer que le rapport de force patrons/employés tourne désormais en faveur de ces derniers.

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Des dirigeants compréhensifs ou résignés ?

Pour Mariana Lagneau, Directrice Conseil & Marketing chez The Boson Project, ces chiffres s’expliquent par un effet de rebond post-covid (la mobilité naturelle qui ne s’est pas faite pendant la pandémie), la reprise économique qui pour l’instant semble se maintenir, mais aussi le fait que “les salariés n’hésitent plus à questionner leur travail alors que les crises successives les avaient rendus plus résilients”. Face à cela, “les dirigeants que nous avons rencontrés semblent comprendre la mobilité de leurs talents, mais cela ne veut pas dire qu’ils sont résignés quant à l’espoir de les fidéliser”, ajoute-t-elle.

C’est le cas par exemple de Kevin le Texier, Fondateur d’Ergotech, fabricant de matériel ergonomique pour la prévention, la santé et le bien-être au travail. Sa PME en forte croissance a enregistré un taux de turnover plus fort dernièrement. Et la difficulté à retenir les talents concerne tout autant les postes de type ouvrier que le personnel qualifié. “Je me mets de leur point de vue et je les comprends : si par exemple, un ouvrier trouve un boulot moins loin de chez lui avec les mêmes conditions de travail, il va le prendre. De même, nous n’avons pas forcément pu nous aligner au prix du marché pour les profils les plus experts. C’est d’ailleurs pourquoi nous ne pouvons pas nous passer de faire une levée de fonds pour la première fois de notre existence”, rapporte-t-il.

De facto, Kevin le Texier, qui doit recruter encore 30 ou 40 personnes l’année prochaine, est obligé de se concentrer sur le recrutement. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne se triture pas les méninges pour augmenter son taux de rétention. Horaires flexibles, postes adaptés, avantages salariés, polyvalence des métiers pour éviter l’ennui, redistribution des actions en cas de plus-value des investisseurs, primes pour les ouvriers les plus productifs… Kevin tente le tout pour le tout !

“Arrêtons ce tonneau des Danaïdes des RH”

Si la période actuelle pourrait induire une surfocalisation des équipes RH sur le recrutement,  gare donc à ne pas oublier le volet fidélisation ! C’est le cri d’alarme lancé par Thomas Chardin, fondateur de Parlons RH, dans son ouvrage DRH mission ou démission : 3 pistes d’action à l’heure du choix. En découle une métaphore devenue aussi célèbre qu’un mantra d’Oprah Winfrey : 

Arrêtons ce tonneau des Danaïdes des RH ! La baignoire des talents se vide presque plus vite qu’elle ne se remplit, et la fonction RH continue à faire son Shadok du recrutement et son Caliméro de la pénurie de compétences. (...) Plutôt que d’administrer un flux des talents en entrée et en sortie, ce qui représente un coût social et économique très élevé pour l’entreprise comme pour les personnes, n’est-il pas temps de se préoccuper du « stock » de  talents, dont une partie importante déserte et l’autre est sous-employée ? “. Voilà, tout est dit.

Co-fondateur de Bloomin, une société spécialisée dans les outils de feedback, Arnaud Testu nous confirme la grande appétence de ses clients pour les solutions dédiées à la phase de recrutement, avec par exemple l’envoi d’un questionnaire de feedback pour les candidats non retenus, ou qui n’ont pas donné suite à une offre. “Les metrics liées au taux de réussite ou d’échec d’un recrutement sont assez faciles à mettre en place. Mais pour ce qui est de la rétention, c’est plus complexe. Par exemple, qu’est-ce qu’un bon ou un mauvais taux de turnover”, s’interroge-t-il.

Savoir soigner son offboarding… pour mieux fidéliser

Il souligne également que peu d’entreprises le sollicitent pour la phase d’offboarding, ce qui est assez révélateur d’un état d’esprit général où les sociétés sont encore peu sensibilisées au sujet. Pourtant, les exit interviews sont une mine d’or pour les équipes RH afin de comprendre les raisons de départ d’un salarié, et donc améliorer la rétention dans le futur. “C’est d’autant plus vrai à l’heure où le phénomène des salariés boomerang prend du terrain : il n’a jamais été aussi important de se quitter en bons termes pour (peut-être) mieux se retrouver”, souligne Flore Villemot, DRH et consultante en transformation pour The Boson Project.

Elle plaide d’ailleurs pour une approche RH “ouverte”, dans laquelle les collaborateurs, qu’ils soient salariés ou freelance, en poste ou alumnis, constituent une communauté dont les équipes RH prennent soin.

Les dangers d’une vision du recrutement par mission

Alors, même si les besoins en recrutement se font pressants, aucune entreprise ne peut faire l’impasse sur la fidélisation de ses talents. Il en va de l’unité de son corps social mais aussi de sa performance. “Face à cette mobilité des talents, on pourrait verser dans une vision où les salariés ne viendraient que pour exécuter des missions. Mais cela pose plusieurs difficultés”, prévient Flore Villemot.

Dans un monde où l’on ne resterait pas plus de 18 mois en poste, les entreprises devraient avoir un processus d’onboarding ultra-efficient et les recrues disposer de suffisamment de compétences pour être efficaces dès les premiers mois.

Le risque aussi de ce fonctionnement par mission est la création de silos au sein de l’entreprise : “tiens, mais qui est cet étranger assis à côté de moi ?” Alors, Flore ne croit pas forcément que cette vision se généralise partout et pour tout. “Je ne pense pas non plus que les collaborateurs vont sans cesse switcher : de quoi s’empare-t-on vraiment en seulement 12 mois ?”, s’interroge-t-elle. Car avoir de l’impact - ce que désirent aujourd’hui les salariés - prend du temps.

Une dissonance qui pourrait rapidement rattraper les serial switcheurs. Bien sûr, certains profils sont parfaitement adaptés à ce type de recrutement par missions, et apportent du sang neuf à l’entreprise. Mais de là à généraliser ce mode de fonctionnement à toute l’entreprise, le fossé est immense ! D’ailleurs, “On ne construit pas une licorne seulement avec des freelances”, soulignait Camille Léage, Head of community chez Malt, dans l’un de nos articles consacré à l’essor du freelancing.

La transparence, la clef de la rétention ?

Loin d’être démissionnaires, certaines entreprises ont donc choisi de rebattre les cartes en modifiant leur contrat social. C’est le pari effectué par Shodo, une ESN nouvelle génération qui a mis en place un arsenal de mesures : “85% de notre chiffre d’affaires est reversé sous forme de salaire fixe, bonus et congés”, explique Jonathan Salmona, cofondateur.

Bien entendu, il concède que le secteur de la tech dans lequel il évolue est plus propice à cette distribution. Il n’empêche, pour lui “il est beaucoup plus important de fidéliser que de recruter”. D’ailleurs, Jonathan nous confie ne pas éprouver de difficultés dans sa phase de recrutement puisqu’il a pris le problème à l’envers en voulant redonner du sens au salariat.

Parmi ses ingrédients magiques ?

  • Process de recrutement exigeant mais en seulement 2 ou 3 étapes
  • Suppression de la période d’essai pour éviter la précarisation
  • Grilles de salaires transparentes jusqu’au sommet
  • Distribution progressive de jours de congés supplémentaires selon la séniorité et l’ancienneté
  • Augmentations automatiques (y compris de retour de congé parental)
  • Congé menstruel
  • Compensation de salaire du conjoint lors de sa prise de son congé parental pour éviter la déperdition de salaire au sein du foyer
  • Mise à disposition de la carte bleue de l’entreprise dans la gestion des frais professionnels

Notre système repose sur la confiance versus le contrôle”, résume Jonathan Salmona. Une recette qui semble fonctionner !

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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