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Et si on retournait au bureau… pour lutter contre la flemme ?

Si de très nombreuses études ont démontré que le télétravail n’a pas d’impact négatif sur la productivité – voire le contraire – on observe de plus en plus d’entreprises initier un mouvement de retour au bureau. Mais pour quelles raisons ? À l’heure où l’on parle de démission silencieuse, serait-il question de lutter contre une nouvelle épidémie : la flemme ? Trois dirigeants ont accepté de se confier sur le sujet.


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Durant ses premières années de collaboration, Anna* était l’incarnation de l’employée modèle. À la tête d’une équipe de développeurs pour un projet stratégique d’une grande entreprise de la tech, elle travaillait à plein temps depuis l’antenne roumaine de la société. Un jour,  la jeune femme demande à passer à mi-temps et en full remote, “pour faire le point et prendre du recul sur sa vie personnelle”, confie-t-elle à Antoine*, son manager. Sauf que, quelques mois plus tard, les résultats ne sont plus du tout au rendez-vous.  “Elle s’est totalement désengagée, elle n’avançait plus du tout sur ses sujets. Nous avons tenté de l’aider avec le service des ressources humaines, de la coacher, mais cela n’a rien changé”, poursuit-il. 

Trop de télétravail tue le télétravail ?

Son analyse a posteriori est que le combo télétravail + mi-temps n’a clairement pas été gagnant. Non pas que son employée soit devenue flemmarde, mais celle-ci a tout simplement perdu la flamme. La motivation. “Je pense que c’était difficile pour elle de trouver ses marques alors qu’elle était éloignée des discussions sur les projets au quotidien. Surtout qu’auparavant, tout tournait autour d’elle. Et puis, cela s’est certainement couplé à des raisons plus personnelles”, raconte Antoine. Au final, l’inéluctable se produit : Anna finit par démissionner de son propre chef

Depuis cette mésaventure, Antoine se montre plutôt réfractaire aux demandes de full remote de ses employé‧e‧s, sachant que son entreprise n’impose que deux jours de travail sur site. S’il accède à ces requêtes, c’est pour retenir un salarié sénior très performant, ou parce que le collaborateur travaille sur un domaine précis, comme la cybersécurité. En revanche, il est intransigeant avec les profils juniors. “Ce n’est pas tant pour l’apprentissage des compétences techniques que l’on peut acquérir grâce à des vidéos Youtube, mais plutôt pour vis-à-vis de notre logiciel, sur des sections précises. Rien n’est jamais plus rapide que de se voir tous ensemble dans la même pièce”, affirme-t-il. 

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L’innovation par la sérendipité

Ce besoin de se voir, de littéralement sentir la présence des uns et des autres, est aussi lié à la question de la créativité. C’est ce que l’on appelle l’innovation par la sérendipité. Autrement dit, lorsque les bonnes idées émergent par hasard, au cœur d’une discussion informelle. “Je pense que le télétravail fonctionne très bien lorsque l’on a une liste de tâches à exécuter, mais qu’il est beaucoup moins adapté à la créativité, l’innovation. Pour moi, quand on est en full remote, la relation entre un employeur et son collaborateur ressemble beaucoup plus à celle d’un client et d’un fournisseur”, poursuit-il. 

C’est aussi pour chercher davantage d’intelligence collective et de collaboration que Jean-Charles Chemin, Président de Legapass, a décidé de faire passer ses équipes du 100% remote (la boîte a été lancée durant la crise sanitaire), à 4 jours de travail en présentiel par semaine. Plusieurs raisons ont présidé à sa décision, mais le besoin de davantage de spontanéité dans les relations au quotidien figure parmi les plus importantes. “Par exemple, je trouve que c’est particulièrement difficile d’onboarder un nouvel arrivant à distance. Tout se fait moins naturellement qu’au bureau, la personne peut ne pas oser interrompre l’autre sur Slack alors qu’il peut suffire de lever la tête pour appeler à l’aide en présentiel”, observe-t-il. 

Au sein d’Exakis Nelite, Céline Barthélémy, Directrice générale adjointe en charge des opérations, insiste également sur le besoin d’échanges entre pairs en présentiel. Si elle concède que sur certaines tâches, le télétravail s’avère redoutablement efficace (rédaction de documents, réflexion asynchrone etc), “ça l’est moins pour les sujets nécessitant du brainstorming et de l’itération. Et puis, nous avons besoin de développer un fort sentiment d’adhésion à la société”. Du coup, cette entité de Magellan Partners a mis en place une charte de télétravail à raison de 2 jours hebdomadaire et 15 jours flottants par an. “Nous faisons tout pour rendre leur venue la plus agréable possible. Par exemple, nous mettons en place des activités autour du bien-être, des animations en soirée. Nos salarié‧e‧s en sont très demandeurs”, précise Céline Barthélemy. Et c’est plutôt réussi puisque l’entreprise figure dans le top 5 du label Great Place to Work. 

Visio, boulot, dodo : quand ça dérape !

Mais revenons-en à nos moutons. Le retour au présentiel est-il un bon levier pour lutter contre la flemme (ou la démotivation dans sa version plus consensuelle) ? Et bien la réponse est oui. Une bonne partie de ses effectifs ayant moins de 30 ans, Jean-Charles Chemin a senti la nécessité de remettre du cadre chez ses collaborateurs. “Les salariés qui sont parents se lèvent naturellement tôt, mais chez les juniors, on se rendait compte que certains étaient debout seulement quelques minutes avant leur visio. Pour peu, ils faisaient leur conférence depuis leur lit. Et je pense que l’on peut vite s’enfoncer…  On va dire que dans le mot télétravail, certains avaient oublié la seconde partie. Alors oui, les déplacements, ça prend du temps, oui, il est bon d’octroyer plus de flexibilité, mais créer un esprit d’équipe, des synergies entre les gens, c’est primordial”, lance-t-il.  

Aujourd’hui, la venue au bureau impose le respect d’horaires raisonnables et encourage les salariés à arborer une tenue plus professionnelle, respecter certains rituels etc. Autant d’actes de sociabilisation, qui, selon les profils, sont essentiels à la santé mentale. D’ailleurs, plus que de parler d’une problématique liée à la flemme, Antoine évoque surtout la nécessité que nous avons de nous nourrir de l’énergie des uns et des autres. “On connait tous des baisses de régime, c’est normal, mais lorsque l’on travaille seul, c’est difficile de remonter sa jauge de motivation alors qu’un rire dans un couloir, une discussion autour de la machine à café, peuvent suffire à nous rebooster”, observe notre interviewé.

Et parce qu’il y a toujours plusieurs versants sur la montagne, faire revenir ses salariés au bureau, c’est aussi se prémunir du surengagement de certains à cause du phénomène de blurring, lorsque les frontières entre la vie pro et perso se confondent. “Chez nous, on a surtout fait face à des salariés qui étaient trop investis en télétravail, qui n’arrivaient plus à couper. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons sensibilisé nos managers à la détection des risques psycho-sociaux”, illustre Céline Barthélémy. 

Nos trois interlocuteurs en sont donc convaincus, le retour au bureau joue un rôle positif sur la motivation en permettant de retrouver un sentiment d’appartenance, de s’inspirer des autres, et ce, souvent au hasard de discussions de couloir. C’est ça, la sauce magique du présentiel ! Une recette dont les salarié‧e‧s se délectent d’autant plus dans sa version hybridée. Histoire de profiter du meilleur des deux mondes. 

*Les prénoms ont été modifiés.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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