société

Semaine de 4 jours : si c’est si génial que ça, pourquoi toutes les entreprises ne le font pas ?

La semaine de 4 jours, tous les salariés en parlent (et beaucoup en rêvent secrètement). Alors, il va bien falloir que les RH s’y collent et abordent les questions qui fâchent. Sans tabou, et sans filtres, deux patrons ont accepté de nous exposer leur vision en toute franchise.


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Le 25 janvier 2021, les 1000 collaborateurs du groupe LDLC passaient à la semaine de 4 jours sous l’impulsion de Laurent de la Clergerie, Président du directoire. Pleinement convaincu par le modèle, il encourage désormais d’autres dirigeants à l'expérimenter.

Des entrepreneurs qui, à l’image d’Aurian de Maupeou, cofondateur de Selectra, sont encore majoritaires à émettre des réserves à ce sujet. Face à face entre un sceptique qui ne demande qu’à être convaincu, et un aficionado (qui se défend de vouloir donner des leçons).

La semaine de 4 jours peut-elle concerner tous les salariés ?

Aurian de Maupeou : “De mon point de vue non car on ne peut pas leur demander d'être plus productifs pour compenser. Cela n’a pas de sens dans certains métiers. J’ai l’impression qu’il s’agit d’une initiative réservée aux cols blancs qui sont proches du patron.

Personnellement, j’aurais honte de mettre cela en place au siège et pas au sein de mes filiales ou call centers. Je serai vraiment convaincu par la semaine de 4 jours lorsque celle-ci concernera non seulement les cadres mais aussi les ouvriers ou employés de caisse”.

Laurent de la Clergerie : “ Chez LDLC, la semaine de 4 jours concerne tous nos employés, même les call centers, les centres logistiques et les boutiques. Nos franchisés commencent aussi à s’y intéresser. Pour palier au besoin de personnel, nous avons recruté une personne supplémentaire par boutique.

Quant aux call centers, c’est possible ! Nous avons organisé les rotations de sorte à avoir moins de monde pendant les journées creuses. On s’est aperçus qu’en passant d’une journée de 7 à 8H, on collait encore mieux aux besoins de nos clients. Nous permettons donc aux employés de prendre leur vendredi, lundi ou mercredi (les jours les plus plébiscités), en alternance avec leurs collègues le mardi ou jeudi”.

“Chez moi, la productivité est très corrélée au volume horaire”

La semaine de 4 jours : 35H ou 32H ?

Aurian de Maupeou : “Mon activité étant essentiellement commerciale, la productivité est très corrélée au volume horaire. Nos clients attendent que l’on soit présents de 8H à 21H, 6 jours sur 7. Or, mes équipes se donnent à fond, et je ne vois pas comment elles pourraient être aussi productives en réduisant le volume horaire. Autrement dit, si je devais appliquer la semaine de 4 jours, je n’aurais que deux options : augmenter les heures travaillées chaque jour, ou embaucher plus.

Personnellement, j’ai l’impression d’être dans un autre monde lorsque j’entends parler de vacances illimitées ou de semaine de 4 jours. D’un point de vue macroéconomique, je ne pense pas que nous devons faire de la France la championne du temps de travail faible si nous ne voulons pas perdre définitivement notre industrie”.

Laurent de la Clergerie : “Avec la semaine de 4 jours, l’idée n’était pas de surcharger les équipes en leur demandant d’en faire plus, ce qui aurait généré plus de charge mentale et de stress. D’ailleurs, alors que je pensais que l’on mettrait en place une journée de 8H45, nous sommes revenus à 8H, car le temps de pause demeure important. Cela donne des semaines de 32H. Au final, les équipes sont encore plus efficaces, tout simplement car elles sont plus reposées !

Les maladies du travail sont apparues ces 20 dernières années, notamment parce que nous sommes hyperconnectés. C’est important de pouvoir ménager des temps de vide. Nous nous sommes complètement réorganisés et avons par exemple gagné du temps en raccourcissant les réunions”.

“Beaucoup de startups font du social washing en ce moment”

La semaine de 4 jours, une simple opération marketing pour l’employeur ?

Aurian de Maupeou : “Je vois la semaine de 4 jours comme un coup médiatique pour asseoir la marque employeur. Beaucoup de startups font du social washing en ce moment car elles ont moins de contraintes de rentabilité du fait qu’elles sont financées par des investisseurs. C’est certain que cela peut être efficace dans le recrutement de profils en tension, surtout si l’on ne peut pas augmenter les salaires par exemple.

Et puis gagner du temps, et pas forcément un gain de salaire, cela peut être attractif pour les plus aisés car cela leur permet d’être moins taxés. Je pense plutôt que ces élites devraient être au service de leurs concitoyens pour faire prospérer les entreprises françaises en les rendant plus innovantes”.

Laurent de la Clergerie : “En mettant en place la semaine de 4 jours, l’idée était encore une fois qu’elle ne soit pas réservée aux cadres et que la démarche aille au-delà du coup de pub pour attirer les profils les plus qualifiés. Tous les salariés sont passés à la semaine de 4 jours en même temps. Et l’idée n’était pas non plus de geler les salaires.

Dans un premier temps, nous avons décidé de maintenir les augmentations normales. Mais nous nous sommes rendus compte que nous travaillions bien mieux qu’avant. Cela se traduit dans les chiffres : en 2018, nous avons fait 500 millions d’euros de CA. En 2021, 680 millions avec le même nombre de collaborateurs. Nous avons donc pu revaloriser les salaires les plus bas de l’entreprise en les passant à 2050 euros bruts, soit 25% de plus que le SMIC”.

“À l’origine, les plus réticents étaient les managers”

La semaine de 4 jours : impossible pour les managers ?

Aurian de Maupeou : “Si je devais appliquer la semaine de 4 jours à mon propre emploi du temps, et à celui de mes cadres dirigeants, je ne vois pas comment on ferait avancer Selectra. Pour survivre, il faut que les personnes à la tête de l’entreprise aient une exigence élevée, se donnent les moyens d’inventer des choses qui n’existent pas encore.

Moi aussi je rêverais de passer trois jours avec ma famille, mais je ne crois pas que mon rôle soit de m’éloigner du travail. Si je veux que des personnes exigeantes rejoignent mon entreprise, je dois monter au front en premier”.

Laurent de la Clergerie : “Quand on a mis en place la semaine de 4 jours, les plus réticents étaient à des postes clefs, car ils avaient peur que la charge de travail remonte vers eux. En réalité, même quand les managers ne sont pas là, les équipes travaillent ! Bien au contraire, elles se sont responsabilisées, chacun s’est réorganisé, et nous avons tous revu notre notion de l’urgence. Bien sûr, les gens qui étaient déjà pied au plancher dans l’entreprise demeurent extrêmement engagés, mais ils en font peut-être un peu moins.

De mon côté, je travaillais 6 jours sur 7, et je suis passé à une semaine de 5 jours. Ce qui est bien, c’est que chacun dispose de ce jour off (obligatoirement posé) pour faire ce qu’il veut : travailler tranquillement sans être dérangé, ou vaquer à ses occupations personnelles. Je demeure convaincu qu’au final, nous faisons le même travail, avec un meilleur équilibre”.

“Il faut avant tout que le patron soit convaincu”

La semaine de 4 jours, la fin de l’esprit d’équipe ?

Aurian de Maupeou : “Si l’on passe en semaine de 4 jours, et que l’on concentre le temps de travail en diminuant les interactions sociales, je trouve cela dommageable. Pour moi, une entreprise est la somme de chaque personne qui la compose, et pas juste une somme d’heures travaillées. Considérer que tout ce qui n’est pas lié au deep work est inutile, c’est aller un peu vite en besogne.

Après, je tiens à souligner que tout comme j’ai adouci ma position sur le télétravail, je changerai peut-être un jour d’avis sur la semaine de 4 jours. Mais j’attends de voir pour croire !”

Laurent de la Clergerie : “En passant à la semaine de 4 jours, mes employés n’ont pas renoncé à la machine à café ou à la pause déjeuner, même si elle a été un peu raccourcie. En revanche, je pense aussi que le télétravail, surtout pour les nouveaux arrivants, peut casser le lien.

Pour conclure, je dirais que pour adhérer à la semaine de 4 jours, il faut avant tout que le patron soit convaincu car les équipes dirigeantes risquent d’être réticentes. J’ai promis à mes équipes de revenir en arrière si je me trompais. Aujourd’hui, tout le monde est satisfait. Il faut vraiment vivre la semaine de 4 jours pour comprendre que les gens travailleront mieux et seront plus épanouis”.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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