société

Que se passerait-il le 8 novembre si les femmes arrêtaient VRAIMENT de travailler ?

Le 8 novembre 2024, à 16H48 (et 15 secondes précisément), les femmes commenceront à travailler gratuitement. Mais alors, que se passerait-il si le second sexe cessait purement et simplement de turbiner, dans sa vie pro et même perso ? Retour vers le futur…


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Selon l’Observatoire des Inégalités, en 2024, le revenu salarial moyen des femmes est inférieur de 24 % à celui des hommes dans le secteur privé. Un écart qui s’explique notamment par le moindre volume de travail annuel des femmes. Mais ça, ce n’est que la première manche. À temps de travail identique, les femmes perdent une fois encore puisque leur salaire moyen est inférieur de 15,5 % à celui des hommes. Et pour la belle, me direz-vous, si nous confrontions le salaire des hommes et des femmes, à poste comparable ? Aïe, aïe, aïe, c’est encore perdu mesdames. Messieurs, concédez qu’à la longue, ça devient lassant.

Certes, l’écart se réduit à 4%. Mais pas de quoi faire tourner les serviettes, ou plutôt les torchons. Si ce chiffre est plutôt positif – et encore que, on serait en droit d’attendre l’égalité parfaite – impossible d’occulter les résultats du tableau général. Ils reflètent l’impact du travail gratuit opéré par les femmes. Alors mesdames, et si cette fois-ci, on se la jouait jusqu'au-boutiste en démissionnant de nos fonctions professionnelles, mais aussi de celles qui nous poncent-pilate(s) dans notre train-train quotidien ?

8 novembre 2024 : Plongeon dans le chaos

Fermez les yeux et imaginez ce terrible 8 novembre. Pour que la fiction fasse frissonner la réalité, nous suivrons Paul, Directeur commercial de 45 ans, trois enfants au compteur. Bon, on vous le dit tout de suite, nous allons être très sévères avec Polo. Mais sachez qu’ “hommes, on vous aime”, et que oui, on le sait, vous n’êtes pas tous des tartempions.

7H15. Ce matin, Paul doit gérer d’une main de maître la séquence matinale : tenter de réveiller des kids qui referment les yeux dès que vous vous éloignez du lit, leur trouver une tenue (autant dire qu’ils ressemblent déjà à l’as de pic), les faire petit-déjeuner (si tout va bien, ils engloutiront sans broncher des céréales), vérifier les boîtes à goûter, le carnet de liaison, et tiens, point bonus, le WhatsApp des parents de grande section, histoire de s’assurer que ce matin, “il n’y a pas cirque”.

8H10. Mais voilà qu’arrivé au seuil de la porte de l’école, Paul se prend une sacrée déconvenue : oups, elle est fermée. Ben oui, dans le premier degré, les femmes représentent 94% du corps enseignant dans le privé, et 84% dans le public. Au global, la majorité des enseignants sont des enseignantes, 71% dans le public, 74% dans le privé. Normal, quand un métier se féminise, il perd en valeur perçue et monétaire.

8H15. Un poil bringuebalant, Paul, qui doit animer une réunion dans moins d’une heure, tente sa chance chez la nounou qui garde la petite dernière. Nouveau vent : aujourd’hui, c’est jour de relâche, comme pour 97% des nounous de France… qui sont des femmes. Paul n’a donc d’autre choix que de tourner les talons et de rentrer à la maison avec la petite Hortense qui va lui pourrir sa visio (hum, à moins qu’il la mette devant Peppa Pig une bonne partie de la matinée) ?

11H15. Les enfants sont prêts à manger la moquette. Scheiße, le frigo fait grise mine. Moman n’a pas fait de batch cooking pour la semaine histoire que papa galère comme un jour de grève de cantine. Qu’à cela ne tienne, dans un élan héroïque, Paul file acheter une quiche surgelée chez Auchan. Et si le rideau n’était pas levé ? En effet, 9 caissières sur 10 sont des femmes. Bon, il y a bien les caisses en libre-service diront les plus malins d’entre vous, mais avouez que tout ça commence sérieusement à ressembler à un joyeux bordel.

14H. La petite fait la sieste. 1, 2, 3 : partez ! Paul va exploser le chrono, ou plutôt sa productivité habituelle pour charbonner pendant les deux heures de tranquillité que sa fille veut bien lui concéder. Mais vu que Pauline du service marketing est aux abonnées absentes, tout comme Hélène du service RH (63% des RH sont des femmes), il n’obtiendra pas toutes les réponses à ses questions aujourd’hui. Vous noterez ici que je ne parle même pas des plus grands enfants à qui il faudrait faire l’école à la maison si la plaisanterie venait à durer. Notons en passant que durant la pandémie, la majorité des femmes (64 %) ont déclaré que c’était surtout elles qui étaient responsables d’enseigner à domicile ou d’aider les enfants à faire leurs devoirs.

16H. Amusons-nous à pourrir encore davantage la journée de ce pobrecito de Polo. Hortense lâche ses premiers cris post-sieste, ou plutôt, sa vilaine quinte de toux, bien grasse. Oula, la petite monte en température. Sa bronchiolite -ou ce qui s’y apparente- s’empire. Il faut filer chez le pédiatre. Déjà qu’en temps normal, c’est compliqué d’avoir quelqu’un ne serait-ce qu’au bout du fil (une secrétaire tiens !), disons-le tout de suite, là, ça ne va carrément pas être possible. En 2022, les femmes représentaient 75% des pédiatres !

17H. La situation ne s’améliore pas. Direction les Urgences, en compagnie des deux grands qui passent eux-aussi une bonne journée de merde. On aurait pu également imaginer que mamie Josette nous ait fait le coup du col du fémur en l’absence de son auxiliaire de vie (84% de femmes dans cette profession, pam). Le hic, c’est que les urgences, même en présence des femmes, c’est déjà chaotique. Alors si l’on enlevait les infirmières (qui représentent 87% de la profession) et 46% des médecins qui sont… des femmes, on imaginerait aisément la paralysie de tout un système. Il faut savoir que ces dernières représentent trois quart du personnel des hôpitaux.

18H30. Face à la débandade ambiante devant l'hôpital, Paul renonce et tente de trouver un restant d'amoxicilline dans le placard (moman a l’habitude d’en garder un peu en avance pour les voyages à l’étranger).

19H. Paul entame le tunnel bain-devoir-dîner-dodo avec un sacré train de retard. Sa soirée va être ruinée.

22H. Paul a à peu près terminé ses corvées. Même pas le courage de mater une série Netflix. Allo moman bobo ?

Le 24 octobre 1975, les Islandaises l’ont fait !

Hormis l’épisode que l’on pourrait imaginer dramatique à l’hôpital, ce que l’on vous décrit ici n’est pas si loin de la réalité. Le 24 octobre 1975, pour lutter contre les fortes inégalités dont elles étaient victimes, les Islandaises ont fait grève. En guise de protestation, 90% d’entre elles ne sont pas allées travailler (pour adoucir la chose et ne pas risquer un licenciement, elles prirent ce qu’elles appelèrent un “congé”). La cerise sur le gâteau ? Elles n’ont rien fait pour la maison ou leurs enfants ce jour-là (le méga anniversaire en gros). Résultat, le pays a tourné au ralenti : les usines ont fermé leurs portes pour la journée, tout comme les théâtres, les écoles (ou alors certaines tournèrent en capacité limitée). Il n’y eut pas de journaux, les vols furent annulés faute d’hôtesses de l’air, et les dirigeants de banques durent endosser le rôle de guichetière ce jour-là. On rapporte aussi que les poissonneries furent fermées, car principalement tenues par les femmes.

Suite à cette journée, l'Islande, aujourd’hui pionnière en matière d’égalités H/F, fit des avancées majeures. Dès 1976, une loi fut adoptée au Parlement pour assurer l'égalité des droits entre les femmes et les hommes. Quatre ans plus tard, en 1980, le pays élisait Vigdís Finnbogadóttir comme première femme présidente. Divorcée et mère d’une fille, elle devint la première femme au monde à être élue cheffe d'État par suffrage universel.

Pour aller plus loin : 4 questions à Sarah Zitouni, Fondatrice de PowHER ta carrière “L’économie repose sur un pilier invisible : le travail gratuit des femmes”
  • The Daily Swile : Imaginer une grève des femmes, est-ce totalement utopique, voire idiot ?
Sarah Zitouni : L’exemple islandais nous prouve que ce n’est pas aussi débile et utopique qu’on pourrait l’imaginer. Ce genre de grève a existé et a eu un impact durable sur la société. De plus, les études sociologiques démontrent que pour qu’un mouvement social bascule, il faut environ 12 à 13% d’early adopters. Cela finit par créer un mouvement dans la société, tout le monde en parle car tout le monde connaît quelqu’un qui est touché. Si ce genre de grève venait à durer, il serait absolument impossible de l’ignorer étant donné son impact considérable.
  • TDS : Avec cette fiction, on se rend compte que la question du travail féminin est intimement liée à celle des métiers dits essentiels…
SZ : Effectivement, on se rend compte que les femmes occupent massivement ces métiers de première ligne, liés à l’éducation ou au care. Ce sont des métiers peu valorisés et pourtant, s’ils venaient à disparaître, ce serait toute la société qui serait bloquée. L’impact serait immédiat, ce qui n’est finalement pas le cas - par exemple - avec les postes de direction qu’occupent majoritairement les hommes. La plupart des employés savent ce qu’ils doivent faire en l’absence de leur patron, du moins, durant un certain temps. L’histoire nous démontre d’ailleurs que l’absence des hommes au travail se fait finalement moins ressentir que celle des femmes. Durant la Seconde Guerre mondiale, on a vu que les femmes ont continué à faire tourner le pays, tout en assurant les tâches qui leur incombaient d’ordinaire.
  • TDS : Et dans tout cela, on ne parle même pas du travail domestique et gratuit ?
SZ : Oui, au-delà du ménage ou des courses, il y a aussi toute la question de l’aidance. On sait que ce sont les femmes qui se chargent majoritairement de s’occuper d’un proche en difficulté. Donc, soit les hommes devraient prendre le relai, soit l’Etat devrait s’assurer d’offrir une place à toutes les personnes vulnérables dans la société, comme les enfants handicapés pour qui il n’y a pas assez d’institutions. Cela représenterait une dépense considérable qui entrerait alors nécessairement dans le PIB. Bref, qu’on se le dise, l’économie repose sur un pilier invisible : le travail gratuit des femmes. En leur absence, on entrerait de plain-pied dans une société capitaliste et ultra individualiste.
  • TDS : Quelle pourrait être la sortie de crise ?
SZ : La négociation ! Si une telle grève venait à durer, il serait impossible de retourner au statut quo. Il faudrait parvenir à un accord collectif sur ce que signifie l’égalité, se poser la question de la mauvaise répartition des tâches, des violences domestiques, économiques… Ce serait l’occasion de matérialiser tout cela. Vivant en Suède depuis 10 ans, j’ai découvert que la grève y est une arme nucléaire, une menace que l’on brandit et qui suffit le plus souvent à dissuader car elle est parfaitement organisée. 90% des Suédois sont syndiqués, et il existe un trésor de guerre qui permet aux syndicats de rémunérer les grévistes. On pourrait ainsi imaginer un syndicat des femmes ou un parti politique, comme il existe un parti féministe en Suède. Ou alors, un mouvement spontané, comme pour le Printemps arabe ou Nuit Debout.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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