Si les RH “sont sous l’eau”, comment leur faire gagner du temps ?

“C’est un sujet qui va plaire aux RH !”. Voilà ce que j’ai entendu quand j’ai parlé du sujet pour la première fois. Selon une étude LinkedIn de 2025, “70% des DRH et responsables recrutement en France se disent débordés par leur charge de travail”. Alors j’ai décidé de poser tout simplement la questions aux principaux intéressés.
“Oui, les RH sont sous l’eau”, clame d’entrée Geoffrey Fournier, DRH de Snow Group, et qui prend régulièrement la parole sur les plateaux télé. “Oui, je suis d’accord à 100%”, explique Laetitia Guyon, responsable recrutement dans le médical. “Moi, j’ai une fonction transverse (recrutement et marketing) donc c’est totalement le cas, mais j’adore ça. On est tout le temps à droite, à gauche”. “Les DRH aiment être sous l’eau. Il y a une tradition à la RH de l’adrénaline, de l’instantané”, abonde Philippe Vivien, ancien DRH d’Orano.
De son côté Héloïse Lutton, consultante RH, tempère : “Je n’aime pas dire qu’on est sous l’eau. C’est surtout une façon de voir les choses. Mais il faut reconnaitre qu’en RH, on n’est pas assez staffé, on est les parents pauvres”.
Enfin, notre dernier témoin, Florence Patras, Responsable du Développement RH chez Saint-Gobain ne se dérobe pas : “On est sursollicités par tout le monde parce que, quand on ne sait pas vers qui se tourner, on va vers les RH. Et comme les RH ont du mal à dire non, ou qu’ils ne veulent pas laisser un manager ou un collaborateur sans réponse, ils prennent tout”.
Si les RH sont débordés, c’est la faute des managers ?
Si les RH sont sous l’eau, ce serait donc en partie à cause des managers ? Enfin plutôt de la relation qui peut découler entre les missions du RH et celles du manager : “on demande aux RH de manager à la place des managers ! Qui d’autre peut le faire si le manager ne le fait pas ? C’est pas au DAF ou à une autre fonction, c’est pour le RH !” pointe Geoffrey Fournier.
Dès lors, ça retombe dans l’escarcelle des HR. “Il faut bien que quelqu’un s’en occupe…” constate Philippe Vivien. “Les RH essaient de repousser au maximum cette charge sur les managers, mais eux disent : “attends, je te rappelle que dans DRH, il y a RH”.
Outre cet argument sémantique, Florence Patras rappelle que cela doit être un duo qui fonctionne : “Il faut qu’il y ait plus de confiance. Que les RH fassent confiance aux managers dans leur capacité à prendre des décisions et que les managers aient confiance dans les RH dans les décisions que nous prenons sans qu’ils interviennent”. Cette idée d’équipe parle à Laetitia Guyon : “C’est un tandem. Il y a beaucoup de questions qui remontent aux RH et qui pourraient être gérées par les managers dans un premier temps, et ensuite par les RH”.
Selon Geoffrey Fournier, ancien militaire, “il y a toujours eu un petit effet couple good cop/bad cop où c’est le RH qui annonce plus de mauvaises nouvelles que les managers. il y a un certain désengagement de la fonction managériale parce que la plupart d’entre eux n’ont pas envie de le devenir. On les accompagne comme on peut, mais c’est toujours imparfait. Il y a une perte de leadership en entreprise.”
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Les RH sont-ils débordés… ou juste mal organisés ?
Pour autant, les managers ne sont pas les seuls et uniques responsables. Ce serait bien trop facile de les blâmer. Les RH ne pécheraient-ils pas par manque d’organisation plus que par surcharge de travail ?
“Les deux !” tonne Philippe Vivien qui a dû gérer 70 000 collabs dans sa carrière. “Mais c’est d’abord une question d’état d’esprit. On est tiraillé en permanence entre la rationalité du process et, en même temps, par le besoin de répondre aux sollicitations auprès des individus”.
Pour d’autres, c’est d’abord l’orga. “Souvent quand on ne se met pas où le mettre, on le met chez les RH. Une fonction RH qui ne sait pas dire non, s’affirmer et prioriser, va tout récupérer. Et donc se retrouver sous l’eau…”, explique Héloïse Lutton.
Un point qui ne trouve pas du tout écho chez Florence Patras (Saint-Gobin) : “Il ne faut pas être trop organisé quand on est RH ! Il faut surtout savoir se désorganiser”, s’amuse-t-elle. “J’ai ma to-do list le matin, le soir, je me rends compte que j’ai bossé comme une dingue, et j’ai fait 2 trucs sur la liste. On gère en permanence des imprévus, des choses urgentes pour les autres, mais pas forcément pour soi. Le RH, c’est vraiment le couteau-suisse”.
Un couteau-suisse qui est donc usé selon Geoffrey Fournier : “On est sur une fonction très polyvalente (admin, développement, formation, RSE, rémunération). En moyenne, on dit qu’il faudrait 1 RH pour 101 collaborateurs, on est bien souvent au-delà de ce ratio”.
Automatiser ou déléguer ? Le dilemme de productivité des RH
Si les RH sont sous l’eau, qu’ils sont débordés, il faut les aider. Forcément on pense à l’IA. Que pourrait-on automatiser ? Ou tout simplement déléguer ? “Il faut forcément automatiser le reporting parce que… c’est chiant”, explique Florence Patras en riant, avant d’enchaîner “surtout si c’est du reporting pour faire du reporting, et qu’on ne s’en sert pas pour prendre des décisions”.
Geoffrey Fournier voit plus loin : “Je m’interroge de plus en plus sur la nécessité d’avoir son recrutement ou sa paie en interne”. Et sur ce point, tous les autres font un pas en arrière. “Le recrutement, il faut le garder en interne”, pensent Héloise et Laetitia mot pour mot.
“Le recrutement, c’est vraiment une histoire d’humains, je ne suis pas trop pour” embraye Florence qui explique la stratégie déployée chez Saint-Gobain sur le sujet. “Nous avons créé une cellule interne dédiée au recrutement, on a externalisé en interne, si je puis dire. On ne recrute pas que pour un métier, mais pour une équipe, un environnement. Mais ponctuellement… pourquoi pas ?”.
L’outsourcing ne serait donc qu’un pansement ? Une métaphore médicale qui inspire Philippe Vivien “Si l’outsourcing fait mieux que toi, c’est génial. Quand tu vas voir ton médecin traitant et qu’il t’envoie chez un spécialiste, il fait de l’outsourcing”.
Les RH sortiront-ils un jour la tête de l’eau ?
Finalement, sous l’eau ou non, ce n’est pas tant la question. L’idée est de savoir si la situation peut évoluer. Sont-ils confiants ou sont-ils condamnés à surnager à tout jamais ?
“Oui, si on priorise et qu’on apprend à dire non” prédit Héloïse Lutton. “Pas à court terme” pour Geoffrey Fournier. “S’ils ont envie de plus être sous l’eau, ils ne le seront plus. Il va bien falloir qu’on simplifie. Que fait-on et qui n’a pas de valeur ?” questionne Philippe Vivien.
Florence Patras y voit aussi une forme de posture : “vous en connaissez beaucoup des gens qui disent qu’ils ne sont pas sous l’eau ? Ça fait bien, ça veut dire qu’on est occupé, qu’on sert à quelque chose”. Et Laetitia d’adouber : “on sera toujours sous l’eau, mais est-ce que ça ne nous plait pas dans le fond ?”. Je vous laisse, je suis débordé, j’ai plein de trucs à faire…