Quand ChatGPT aide à prendre des décisions de vie : bonne ou mauvaise idée ?

Franck, quarantenaire à la carrière fleurissante dans l'ingénierie, est plutôt du genre cartésien, et pas franchement branché session psy. Pour autant, comme tout être humain, il songe à son existence et à son avenir professionnel. Alors, quand il s’agit de discuter de ce qui lui triture les méninges – à savoir quitter ou non le job qu’il occupe depuis 8 ans pour rejoindre une aventure entrepreneuriale – ChatGPT s’avère être son meilleur confident.
“Je n’ai pas le temps de voir un coach. J’avais besoin d’un avis rapide et structuré. ChatGPT ne décide pas à ma place, mais m’aide à peser les avantages et les inconvénients”. L’IA lui a posé des questions sur ses motivations, son rapport au risque ou encore sa situation familiale puisqu’un tel choix ne s’opère pas individuellement. De fil en aiguille, l’échange est devenu un véritable dialogue introspectif. “J’ai discuté avec lui plusieurs semaines. Ce que j’aime, c’est qu’il me compresse au même endroit toutes les informations dont j’ai besoin. Franchement, il est parfois plus pertinent que la plupart des personnes à qui j’ai parlé de mon projet dans la vraie vie”.
“Chat GPT est toujours dispo, même à 22H”
Marie, trentenaire dans la tech, utilise elle-aussi ChatGPT pour prendre du recul sur sa carrière. Elle considère l’outil comme une sorte de conseiller d’orientation nouvelle génération. Comme Franck, elle ne craint nullement les fuites malgré ce qui s’est passé cet été avec la divulgation de conversations intimes. “C’est comme un coach pro, mais que je consulte depuis mon canapé, à toute heure. Je l’interroge sur des changements de poste, des entretiens, des négociations de salaire… Il connaît mon parcours, mes forces et mes faiblesses”. Marie a déjà vu une psy “par curiosité”, mais n’a pas poursuivi. “Chat GPT est plus pratique. Comme il ne me juge pas, je me livre plus facilement. Plus je suis honnête, plus ses réponses sont pertinentes”.
Aussi, la jeune femme se dit “auto-suffisante” dans la gestion de sa santé mentale grâce à ses lectures et l’écoute de nombreux podcasts. “En somme, je trouve que ChatGPT est plus pratique et moins cher qu’un psy dont je n’éprouve pas le besoin pour le moment”.
Chat GPT, plus fort qu’un médium ?
Comme le commun des mortels, Charlotte Fortuit-Klein, executive coach et auteure de Manager les vulnérabilités en pratique (Dunod), utilise ChatGPT pour se délester de ses tâches à faible valeur ajoutée. Loin de diaboliser le recours à l’intelligence artificielle, elle émet cependant des mises en garde quand il s’agit de s’épancher sur sa vie personnelle.
Parmi ses coachés, elle observe que de plus en plus d’individus questionnent ChatGPT pour répondre à leurs interrogations profondes du type “pourquoi ai-je fait un burn-out dans mon précédent boulot ?”. Selon son analyse, le gros avantage de l’IA est qu’elle apporte des réponses tranchées, ce qui est extrêmement confortable.
“C’est un véritable bonbon pour le cerveau car cela nous décharge de la charge décisionnelle. Personnellement, je vais voir une voyante deux fois par an et c’est un peu le même mécanisme. Ce type de requête répond à notre besoin de contrôle car nous supportons de plus en plus mal l’incertitude, et ChatGPT, lui, semble “savoir” ”, explique-t-elle.
Elle compare ChatGPT à l’horoscope qui produit un “effet Barnum”, un biais cognitif qui exploite notre besoin de reconnaissance et notre tendance à voir des descriptions vagues comme personnelles. Par exemple, notre ego est toujours flatté quand ChatGPT, très policé, insiste sur la justesse de notre questionnement. “Oui, c’est une très bonne problématique, tu as raison”.
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Et la nuance bordel ?
En se référant à ChatGPT, on se prive de tout le processus décisionnel dont notre cerveau a besoin pour conforter une décision. Charlotte se souvient ainsi de l’une de ses coachées qui a consulté ChatGPT pour savoir si elle devait ou non quitter un job dans un environnement toxique. La réponse de l’IA a bien entendu été implacable, mais la jeune femme a eu besoin de revenir en séance auprès de Charlotte afin de trouver le bon timing pour sauter le pas.
“Un psy ou un coach ne va jamais vous dire quoi faire. Souvent, vous avez la réponse au fond de vous, mais n’êtes pas prêt à la porter. Ce qui compte, c’est de comprendre quels sont les blocages, dans quelle dynamique on est ancré, quelle est la zone que l’on contrôle ou pas, quelles sont les pistes à explorer”, analyse notre interlocutrice.
De plus, la prise de décision demeure une compétence clef en entreprise. “Attention donc à ne pas perdre notre capacité à réfléchir, développer notre libre arbitre et notre sens critique”, prévient-elle. De plus, ChatGPT connaît rarement l’ensemble des facteurs qui vont peser dans une prise de décisions (je viens d’une famille d’entrepreneurs, j’ai un syndrome de l’imposteur, j’ai vécu une mauvaise expérience ici ou là…). “À la limite, ce n’est pas tant l’IA qui omet mais plutôt nous qui passons sous silence certaines informations, consciemment ou inconsciemment. Toutes ces informations apportent de la nuance”, ajoute-t-elle.
L’IA, à bon escient
Ceci étant dit, Charlotte Fortuit-Klein n’exclut pas l’usage de l’IA. Elle peut s’avérer intéressante dans la maïeutique en nous proposant par exemple des exercices sur la prise de décision (le fameux pour ou contre par exemple). Ces exercices permettent de bénéficier d’un effet miroir comme avec un thérapeute.
En résumé, ChatGPT à petite dose, OK, mais surtout, ne lui confiez pas l'entièreté de vos décisions ! “Il ne faut pas vous déposséder du droit à l’erreur. Parfois, on prend une mauvaise décision, mais elle est aussi source d’apprentissage à l’avenir. Se tromper, douter, prendre du temps, c’est normal et nécessaire”, ajoute-t-elle.
Gare donc à l’effet dopamine prodigué par l’intelligence artificielle. Ce plaisir instantané qui apaise notre intolérance à la frustration. “Il ne faut jamais devenir dépendant d’un outil ou d’une personne extérieure pour prendre nos décisions. C’est agréable à court terme mais cela grève notre estime de soi sur le long terme”, poursuit Charlotte. Bref, ChatGPT ne doit pas se transformer en votre petit Raspoutine de poche. N’oubliez pas que vous êtes tout à fait capable de prendre vos décisions en âme et conscience !




