L’impact insoupçonné des transports quotidiens sur notre santé mentale

41% des personnes ayant connu des symptômes dépressifs estiment que leurs problèmes de déplacement en sont en partie la cause, révèle l’institut Terram. Un chiffre égal à celui de l’impact des troubles du sommeil. “Les transports restent un facteur de risques psychosociaux important, mais souvent oublié”, rappelle Alexandre Bonhomme Deveycx, psychologue du travail pour Moodwork.
Une fatigue inégale selon la durée et les conditions de transport
Aussi, plus la distance parcourue est importante, plus les effets se font ressentir : 67% des répondants au-delà de 50 kilomètres, contre seulement 19 % en dessous de 5 kilomètres. Rien d’étonnant puisque notre temps d’attention tournant autour de 25 minutes, la dépense énergétique et cognitive augmente lorsque les trajets excèdent 30 minutes.
Certaines lignes sont également réputées anxiogènes (trains vieillissants, mal chauffés…). De fait, le simple confort voyageur change tout : place assise, espace pour les jambes, densité de la foule, qualité du matériel. Entre un RER bondé et un TER où l’on peut s’installer, le vécu est tout autre. Nos trajets conditionnent notre état d’arrivée au travail.
Au-delà du rail, les bouchons en voiture sont tout aussi anxiogènes. La charge cognitive diffère de celle des transports collectifs : conduire mobilise l’attention en continu, l’anticipation, la vigilance. “Les accidents sur le retour ne sont pas anecdotiques, rappelle Alexandre. Je l’ai observé chez des personnes à risque de burn-out. Elles oublient le clignotant, ne font plus leurs contrôles… Parfois, l’accident est l’élément déclencheur de leur effondrement”.
La marche, encore et toujours la meilleure alliée
La marche, utilisée seule, est associée au plus faible niveau de stress (14%), suivie de la voiture (17%) et de la marche couplée à un autre mode (21%). Le train (28%), le bus ou le covoiturage (30%), le vélo (32%), puis le métro ou le tramway (34%) génèrent un stress plus marqué. Les deux-roues motorisés (40%), la trottinette (41%) et, surtout, l’autopartage (49%) apparaissent comme les modes les plus anxiogènes.
Des trajets encore plus pesants pour les femmes
D’après l’Institut Terram, il est intéressant d’observer que les transports du quotidien agissent comme un amplificateur de vulnérabilités structurelles : surcharge domestique, précarité, inégalités professionnelles, injonctions à la disponibilité permanente. Chez les femmes, la fatigue mentale se double souvent d’un sentiment d’insécurité : 56% des moins de 35 ans insatisfaites de l’offre de transport déclarent ne pas s’y sentir en sécurité (contre 43% en moyenne).
Les parents isolés, majoritairement des femmes, subissent encore davantage la contrainte. Leur fatigue psychique et logistique dépasse la moyenne, avec un stress accru et davantage de troubles du sommeil. Près de 43% associent leurs trajets à un épisode de colère ou de tension intense – presque deux fois plus que les personnes sans enfants à charge. Derrière chaque trajet, c’est tout un fardeau invisible qui se rejoue, entre charge mentale, peur et sentiment de solitude.
Des trajets qui structurent notre identité
Bref, quand les trajets quotidiens structurent la journée, cela n’a rien d’anodin. La récupération devient tout simplement compliquée : sommeil, vie sociale, activité physique… tous les piliers de la santé mentale peuvent être altérés. Frédéric, navetteur depuis plus de 10 ans entre la France et le Luxembourg, passe près de 10h dans les transports par semaine (voiture + train), soit l’équivalent d’une journée entière de travail.
Son train-train n’a rien de facile : ****”Je me lève à 5h, je rentre à 19h, je me couche tôt. Le seul véritable moment de pause dans ma journée, c’est parfois… le train. Tout ce qui relève de la vie sociale et sportive ne peut se dérouler que le weekend”, nous confie-t-il, tout en nous assurant s’être depuis longtemps accommodé à ce rythme singulier.
Pour Kévin Recorbet, consultant en neurosciences et communication, il est tout à fait probable que nous finissions à terme par nous définir à travers ces routines. “Malgré la fatigue, il peut être très angoissant d’imaginer vivre autrement, plus proche de son travail. Se découvrir sans ce rythme, c’est aussi accepter la frayeur du vide et la possibilité d’un nouvel équilibre”, estime-t-il.
3 profils face aux transports par Kevin Recorbet
Kevin distingue trois façons de vivre ses déplacements :
- Par conviction (écologie, sobriété) : nous choisissons les transports en commun, même si cela complique la logistique. Le sens donné à l’effort peut réduire la pression psychique, mais le quotidien impose des ajustements (horaires décalés, correspondances).
- Par contrainte financière (inflation, carburant) : le train ou le bus allègent le stress budgétaire, mais peuvent créer un conflit intérieur si l’on aurait préféré la voiture pour la praticité.
- Par choix de décompression : le trajet devient un sas pour retrouver une présence à soi.
Transformer la routine en opportunité
Certains navetteurs réussissent à transformer ce temps contraint en bulle de respiration, voire de créativité. C’est le cas d’Arielle, qui effectue deux allers-retours hebdomadaires entre Caen et Paris. “Au début, j’écoutais des podcasts business ou RSE, raconte-t-elle. Puis, petit à petit, ces trajets m’ont donné envie d’agir autrement. J’ai fini par lancer ma propre activité de conseil en parallèle de mon emploi salarié”.
Loin de l’image du train subi, elle y voit aujourd’hui un espace fertile, un moment suspendu où elle peut lire, réfléchir, ou simplement se laisser porter. “Quand j’arrive à Paris, je ressens une vraie énergie. Ce va-et-vient entre deux univers nourrit ma créativité”. Son secret : ne pas transformer ce moment en extension du bureau, mais en sas choisi. Ni travail, ni détente pure : un entre-deux propice à la germination des idées.
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Du faire à l’être
Ce rapport apaisé au transport rejoint l’analyse de Kévin Recorbet qui distingue le “faire” de l’“être”. “Beaucoup utilisent le déplacement comme un exutoire : on fait, on agit, on conduit, on avance. C’est rassurant, car cela occupe l’esprit. Mais à force de “faire”, on finit par ne plus “être” : on s’éloigne de soi”. Un conseil partagé par Alexandre Bonhomme Deveycx : “*Répondre à des mails ou prendre des appels sur la route, c’est sortir encore moins du travail ; le trajet doit rester un moment de détente choisie, pas de productivité forcée”*.
Selon lui, la clé consiste à habiter son trajet plutôt qu’à le subir : se reconnecter à soi, observer, rêver, ou simplement s’autoriser le silence. “Quand tu prends le métro ou le train, tu es confronté à toi-même. Et ce n’est pas toujours confortable. Mais c’est important de faire face à ces pensées pour ne pas qu’elles reviennent plus fort car elles sont restées accumulées”. Un peu comme si les transports nous permettaient une purge de l’esprit.
Autrement dit, le transport peut devenir un espace d’introspection active, un lieu mental où se rejouent nos équilibres intérieurs. Ceux qui, comme Arielle, parviennent à en faire un rituel d’ouverture plutôt qu’une contrainte subie, y trouvent souvent une forme d’équilibre émotionnel inattendue. Le défi, finalement, n’est pas seulement de raccourcir nos trajets : c’est d’en changer le sens.




