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Pourquoi la France ne lâchera pas le télétravail

Quatre ans après le début de la crise sanitaire et le boom du télétravail, les entreprises renégocient les accords qui l’encadrent. Le télétravail est-il en danger ? Si les annonces d’Amazon, Google, Slack, et d’entreprises françaises comme Ubisoft, qui demandent à leurs salariés de revenir au bureau à de quoi susciter des inquiétudes, Caroline Diard, professeure de management à TBS Éducation, se veut rassurante. Pour elle, le télétravail n’est pas près de disparaître en France.


6 min
21 octobre 2024par Romane Ganneval

Qui est prêt à renoncer au télétravail après y avoir goûté ? Faites le test autour de vous, les réponses seront les mêmes : personne. L’étude de l’Apec publiée en mars 2024, enfonce le clou : près d’un cadre sur deux envisagerait de claquer la porte si on leur supprimait cette liberté, un chiffre qui monte à 57% pour les moins de 35 ans. Et pour cause, le télétravail, ce n’est pas juste le confort de travailler chez soi quelques jours par semaine ; c’est respirer à nouveau.

Avec lui, fini le chronomètre serré du matin, les bouchons interminables, les rames de métro bondées. Il offre la possibilité de retrouver un rythme plus humain, d’aller chercher ses enfants à l’école, de se poser un instant pour boire un café sans se presser, de plier une lessive ou faire du sport pendant des heures creuses, tout en jonglant avec ses réunions.

Mais aussi, il permet de retrouver une bonne concentration loin des interruptions incessantes de l’open space. Une sensation de pouvoir enfin avancer, sans le bruit de fond qui étouffe.

France et États-Unis : des approches radicalement différentes sur le télétravail

Pourtant, ces derniers mois, une question reste en suspens : le télétravail est-il en sursis ? Les géants de la tech américaine – Amazon, Google, Slack, Meta – qui, hier encore, nous vantaient le télétravail comme le futur du travail, rappellent désormais leurs troupes au bureau. Alors, assiste-t-on à une fin de partie ? Pas si vite. “Cela concerne surtout les entreprises américaines, où le télétravail est allé beaucoup plus loin qu'en France”, tempère Caroline Diard, professeure associée en management à TBS Éducation à Toulouse.

Début 2024, 36% des salariés français télétravaillent régulièrement, un taux légèrement inférieur à celui des États-Unis, où il atteint 40 %, selon l’institut WFH Research. Mais c’est dans les habitudes que les véritables différences se dessinent. En France, le modèle s’est stabilisé autour de deux à trois jours de télétravail par semaine, tandis qu’outre-Atlantique, 20 % des salariés travaillent complètement à distance. Un fossé qui illustre bien les disparités culturelles et d’approche face au travail à distance.

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Le contexte a changé aux États-Unis. Le sigle RTO – Return to Office – fait désormais partie du lexique, signe d’un revirement. En effet, après l’euphorie des recrutements post-pandémie, les licenciements massifs se succèdent surtout dans le secteur de la tech.

Mais attention, prévient la spécialiste : Même là-bas, il ne s’agit pas d’éradiquer le télétravail, mais de ramener les employés au bureau quelques jours par semaine”. Pour certains observateurs, le cas particulier d’Amazon qui a annoncé un retour intégral de ses salariés au bureau en 2025, ne serait pas qu’une question d’organisation.

Dans une interview à Business Insider, Nicholas Bloom, économiste à Stanford estime qu’il s’agit là d’un moyen détourné de réduire ses effectifs : “Amazon a sans doute décidé qu’il valait mieux réduire les coûts en se séparant d’une partie des effectifs, quitte à y perdre un peu en innovation et en technologie”. En clair, cette nouvelle règle pourrait inciter les mécontents à quitter le navire, entraînant des économies sur les licenciements.

Un encadrement du télétravail qui arrange salariés et employeurs

Autre point important, contrairement aux États-Unis où le télétravail a souvent été laissé à l’initiative de chacun, la plupart des structures françaises ont choisi d’encadrer cette organisation du travail par des accords d’entreprise signés pendant la crise sanitaire. Mais alors que ces dispositifs approchent de leur échéance, une inquiétude grandit parmi les salariés. Beaucoup redoutent que certains employeurs ne saisissent cette opportunité pour restreindre son cadre, mettant en péril cette disposition largement plébiscitée.

Néanmoins, Caroline Diard pense que cette inquiétude est un peu exagérée : “Même si certains employeurs souhaitent réduire le télétravail, ils ne peuvent pas agir de manière arbitraire. Un dialogue social doit être ouvert avec les partenaires sociaux, et un avenant au contrat de travail est nécessaire. Personne ne peut changer les règles du jour au lendemain”. Dans les entreprises qui ont encadré cette pratique, tout ajustement des règles de télétravail nécessite des négociations, offrant ainsi une protection contre des décisions unilatérales.

Il ne faut pas oublier que les employeurs ont également tiré parti du télétravail en réalisant des économies de coûts significatives. En effet, de nombreuses entreprises ont pu réduire leur superficie de bureaux, entraînant ainsi une réduction des loyers et des charges. Sans compter qu’il a eu un impact intéressant sur l’absentéisme, dont le taux est de 1,2% en télétravail, contre 3,9% en présentiel.

Le modèle hybride est parti pour durer en France

Si certaines entreprises françaises semblent vouloir rétropédaler, la grande majorité s’accorde sur le fait que le modèle hybride est profitable pour tous puisqu’il permet d’allier flexibilité et moments de collaboration en présentiel, tout en préservant la si précieuse cohésion d’équipe.

Ce dernier est d’ailleurs perçu comme un acquis social par la majorité des salariés français, selon OpinionWay. “Hybride, mais avec des règles”, souligne Benoît Serre, de l’ANDRH. Ce dernier constate que, si ces derniers temps des salariés ressentent un durcissement des conditions de télétravail, ces ajustements ne visent finalement qu’à établir un cadre nécessaire pour garantir sa pérennité.

Des mouvements, comme celui des employés d'Ubisoft, montrent d’ailleurs les risques de décisions prises sans concertation. En septembre 2024, le groupe a imposé du jour au lendemain au moins trois jours de présence au bureau par semaine, poussant les salariés à faire grève pour défendre le maintien du télétravail. “Une telle décision envoie un signal clair de faiblesse managériale : elle révèle une incapacité à lâcher prise, à déléguer et à faire confiance à ses équipes”, illustre Caroline Diard.

En négligeant ces éléments, les entreprises fragilisent non seulement leur image, mais risquent aussi de perdre leurs talents, au profit d’une rigidité qui n’a plus sa place dans le monde du travail moderne français. Pour la professeure de management, le modèle hybride est donc bien parti pour durer. Les dirigeants doivent saisir cette opportunité pour faire évoluer la culture managériale à la française, et surtout éviter de céder aux vieux réflexes, comme le contrôle visuel, qui appartiennent décidément à un autre temps.

Romane Ganneval

Journaliste

Journaliste passionnée, j’ai à cœur de décrypter le labyrinthe parfois déroutant du monde du travail. Sans GPS, mais avec une bonne dose […]

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