“C’est physique et ça demande du caractère” : à 25 ans, Emma est gardienne d’immeuble
Gardienne d’immeuble depuis quatre ans à Paris, Emma s’est battue pour se trouver et décrocher un job. Elle raconte aujourd’hui son quotidien sur TikTok, sans artifices.
Un trousseau de clés à la main, Emma se faufile dans les couloirs du petit immeuble dont elle est gardienne. À 25 ans, elle fait partie des quelque 53 000 gardiens, concierges et employés d’immeubles de l’Hexagone. Et comme 60% d’entre eux, elle travaille en Île-de-France.
Son boulot ? Entretenir les parties communes, récupérer et distribuer le courrier, et aider les habitants s’ils ont un problème lié à l’immeuble. Des missions qui lui plaisent au quotidien. “Oui, j’aime mon métier ! De toute façon, il faut l’aimer si on veut le pratiquer. C’est physique, et ça demande du caractère.”
“Je veux juste être heureuse”
Née dans une famille de gardiens, Emma découvre la profession à travers les yeux de ses parents. Mais elle n’a surtout pas envie d’emprunter la même voie. “J’avais l’impression que ce métier ne laissait aucune place à la vie privée. Mon père rendait des services tout le temps, tard le soir, et ça ne m’attirait pas.”
Durant 4 ans, elle exerce alors dans la coiffure. Un milieu créatif et technique, mais dans lequel elle se sent mal à l’aise. “Je ne supportais plus l’hypocrisie et l’ingratitude, et je n’avais pas envie de finir en dépression à 18 ans.” Convaincue que sa place est ailleurs, la jeune femme quitte son job et oscille entre chômage et animation auprès d’enfants.
Le déclic arrive lorsqu’elle remplace plusieurs fois ses parents durant leurs vacances. “J’aimais bien faire le ménage, entretenir le contact avec les résidents, alors je me suis lancée et ce n’est pas un métier passion, mais je veux juste être heureuse et c’est le cas, explique-t-elle, balai à la main. Mes parents m’ont soutenue, comment ils l’ont toujours fait, et ils m’ont beaucoup formée d’ailleurs.”
La rédaction vous conseille
Oui, mais voilà, devenir gardien d’immeuble et dégoter un poste, ce n’est pas simple. Il existe bien un CAP, mais les expériences et le bouche-à-oreille ont leur importance. De son côté et malgré son cadre familial, Emma se heurte à des clichés tenaces. “Quand tu as 25 ans, que tu es une femme et que tu débarques avec ton maquillage, ça peut choquer. Un jour, on m’a dit que j’étais trop coquette pour un poste parce que je suis venue en entretien avec des faux ongles. J’ai senti du sexisme avant d’être embauchée ici, en CDI.”
Au début de son contrat, les gens se questionnent. Leur gardienne ne porte ni blouse, ni sabots. “On me disait aussi que j’étais jeune”, se souvient Emma, amusée. Il faut dire qu’en France, seulement 2% des gardiens d’immeuble ont moins de 30 ans. “C’est vrai qu’elle n’a pas l’image que l’on se fait de la gardienne, explique une résidente, venue à la loge (la zone d’accueil) pour récupérer un colis. Mais elle est très agréable et compétente. C’est ce qui compte.”
Incivilités, solitude et TikTok
Attachée au bien-être des habitants et investie dans ses missions, Emma passe ses journées à dévaler et grimper les escaliers des deux bâtiments qu’elle a à sa charge. Son objectif est clair : les rendre les plus propres possible. Même si elle en paie parfois le prix. “Des fois, j’ai mal au dos à force de me baisser. Je suis aussi ralentie par des incivilités comme de l’urine sur la rampe de parking, ou des poubelles en bazar.”
Ce jour-là, quelques sacs-poubelles ont atterri dans le mauvais bac, et une odeur rance a en effet envahi le parking. Elle soupire. “Des fois, on a l’impression de ne pas exister aux yeux des gens. N’oubliez pas que si vous ne triez pas vos poubelles, c’est à nous de le faire.”
Pourtant, entre manque de considération et demandes intempestives, il n’y a qu’un pas. Durant ses premiers mois de travail, Emma est appelée à la loge le soir ou le weekend, en dehors de ses horaires. “Quand j’ai fini, je ne réponds plus sauf s’il y a un incendie ou un gros problème. Ça n’a pas été facile, mais les gens ont compris.” Pour elle, il est temps que les nouveaux gardiens fassent évoluer l’image du métier. “Mon père répondait au téléphone à 22 heures. Je ne le ferai pas. Je suis gentille, mais ça n’aide pas d’être trop gentille dans ce milieu.”
Et puis, il y a la solitude. Un sentiment lourd, qui lui pèse parfois lorsqu’elle est dans son petit studio de fonction, situé au premier étage de l’immeuble. “Au début, je me suis enfermée dans une bulle, témoigne Emma. J’habite sur mon lieu de travail, je n’ai pas de collègues, je ne croise pas forcément les résidents tous les jours. Mais j’ai rebondi et j’ai adopté Sookie, mon chat, qui m’accompagne au quotidien.” Il y a quelques mois, la jeune gardienne s’est également lancée sur TikTok sous le pseudo @Baabiizz. Et partage aujourd’hui son quotidien à plus de 22 000 abonnés.
“Les réseaux sociaux, ce n’était pas mon but, mais c’est devenu ma thérapie. Je rencontre d’autres jeunes gardiens et je me sens moins seule”, explique Emma. “ll m’arrive de recevoir des critiques, ou d’être confrontée aux clichés, mais je fais tout pour les déconstruire, et pour montrer mon métier tel qu’il est, sans le rendre glamour ni triste.”