Arrêt menstruel : “La prise en compte des dysménorrhées, c’est un facteur d’égalité professionnelle”
Les assauts législatifs se multiplient pour mettre en place un arrêt menstruel en entreprise. On a échangé avec la sénatrice Hélène Conway-Mouret qui se bat pour inscrire sa proposition de loi à la fois dans le domaine de la santé des femmes et du bien-être au travail.
Avoir mal au point de ne pas pouvoir se concentrer, assurer une réunion ou rester debout. Parfois même au point de s’évanouir, de vomir ou d’être incapable de parler. En France, c’est ce que vit tous les mois 1 femme sur 2 souffrant de dysménorrhées, c’est-à-dire de douleurs menstruelles, rapporte un sondage IFOP publié fin 2022.
Crampes utérines, fatigue, troubles digestifs, céphalées… Autant de symptômes qui affectent le bien-être au travail de 7 millions de salariées, mais aussi leur productivité et leurs performances, et donc leur carrière.
Pour y remédier, les assauts législatifs se multiplient afin d’instaurer un arrêt menstruel, un arrêt maladie spécifique déjà adopté en Espagne en février 2023. En France, c’est notamment le combat de la sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouret, dont la proposition de loi s’est vu rejetée en commission des affaires sociales du Sénat le 9 février 2024, puis en séance le 15 février.
Un projet de loi pour combler un vide juridique
C’est une réalité trop longtemps silenciée qui a frappé à la porte du gouvernement pour se faire entendre : pendant un an, Hélène Conway-Mouret s’est penchée sur “une question venant à la fois des collectivités locales et des entreprises qui étaient en train de mettre en place l'arrêt menstruel, mais qui n'avaient pas de cadre juridique pour pouvoir être en conformité avec la loi”.
Des expérimentations de terrain concluantes, du côté d’entreprises comme Goodays, Louis Design, Carrefour, et de municipalités comme Saint-Ouen, Grenoble, Strasbourg, Lyon et Arras, voilà ce qui a pour beaucoup contribué à la volonté de combler un vide juridique.
Le projet de loi soumis par la sénatrice prévoit la création d’un arrêt de travail spécifique allant jusqu’à deux jours par mois et valable un an, sans délai de carence, pris en charge par l’Assurance maladie et non par l’entreprise. Mais aussi des adaptations du poste de travail en accord avec l’employeur, avec une souplesse concernant le télétravail et un allègement sur les tâches qui impliquent une pénibilité physique.
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Une réticence à modifier le Code du travail
Malgré les attentes des employé‧es et l’engagement des entreprises sur le sujet de l’arrêt menstruel, le projet de loi n’a pas été adopté.
Plusieurs motifs ont été avancés pour justifier ce refus : risques de désorganisation du travail, d’abus, d’atteinte au secret médical, ou encore de discrimination à l’embauche, impact financier impliqué par la suppression du jour de carence et perte de productivité pour les entreprises. Certaines voix se sont également élevées pour restreindre le droit à l’arrêt menstruel dans le seul cas de pathologies invalidantes, ignorant ainsi la difficulté d’obtention d’une ALD (Affection Longue Durée) telle que l’endométriose qui touche 1 femme sur 10.
Un refus reçu comme un geste conservateur et déconnecté de l’évolution sociétale, à contre-courant d’un mouvement “pour trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, mais également, pour les femmes, d'avoir les mêmes droits et les mêmes chances que leurs collègues masculins” déplore Hélène Conway-Mouret.
Mais tout n’est pas perdu : le sujet pourrait revenir à l’Assemblée Nationale dans une proposition de loi sans doute remaniée, qui risque toutefois d’être en deçà de ce qui est proposé dans la proposition de loi socialiste.
Prendre en compte la santé des femmes pour assurer l’égalité des chances
Longtemps, les dysménorrhées ont été considérées comme un désagrément que les femmes devaient gérer seules, de leur côté, comme un sujet relevant de l’intime, et pas un sujet de santé publique. Une banalisation de la douleur et une invisibilisation du corps des femmes entrainant souvent un retard de diagnostic.
“Aujourd'hui, en 2024, on se dit que le corps médical peut accompagner ces femmes parce que beaucoup ne vont pas consulter (…) En fait, cet arrêt menstruel fait que la consultation pourra soit aider les femmes à accompagner leur douleur, soit aider à diagnostiquer pour la première fois une maladie un peu plus sérieuse comme l'endométriose, qui est souvent décelée très tardivement.” relève la sénatrice.
Une meilleure prise en compte de la santé des femmes qui pourra contribuer à améliorer l’égalité femmes-hommes au travail : “La moitié de la population est pénalisée pour des faits qu'elle ne contrôle absolument pas (…) La prise en compte des douleurs menstruelles, c'est un facteur d'égalité dans le milieu professionnel parce que, si les femmes sont accompagnées correctement, cela veut dire que leurs performances seront bien évidemment bien meilleures, leur évaluation par leurs paires et leur patron aussi.”
Oui, reconnaitre le corps des femmes en entreprise, c’est lutter contre les inégalités dans le monde professionnel.