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Deep work : lutter contre ses démons pour plus de concentration

Popularisé en 2017 par l’américain Cal Newport, le concept de deep work a depuis fait des émules – voire des aficionados – aux quatre coins du monde. En lien direct avec le fonctionnement de notre cerveau, il nous permet de gagner en productivité, et par-dessus tout, en bien-être. Alors, restez focus, on vous explique comment récupérer votre ciboulot.


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Chaque jour, nous débloquons notre téléphone une centaine de fois tandis que notre ordinateur affiche des dizaines de fenêtres ouvertes. Un scroll sur Instagram, un petit tour sur WhatsApp, la consultation des emails, des messages LinkedIn, sans oublier les discussions sur Slack… C’est bien simple, le temps passé à résoudre les interruptions nous fait perdre 28% de productivité, selon Cyril Couffe, spécialiste de l'attention.

Face à ce multitasking qui épuise notre cerveau, un remède s’impose : le deep work. Il s’agit d’une “période intense de concentration, sans distraction, durant laquelle on produit du travail à forte valeur ajoutée, explique Hubert de Saint Louvent, expert digital qui accompagne les salariés dans le développement d’une relation saine aux écrans pour augmenter la productivité, la concentration et améliorer le bien-être.

Que c’est difficile… de ne pas être distrait

S’il était si facile de s’adonner au deep work, nous n’aurions même pas besoin de lui donner de nom. Or, les grands préceptes qui régissent le fonctionnement de notre cerveau nous permettent de comprendre pourquoi, naturellement, le maintien de la concentration n’est pas si aisé. “Pour se concentrer, il faut se fixer un objectif, maintenir son attention sur une tâche et résister chaque fois qu’il y a un distracteur”, relève Bernard Anselem, médecin consultant en neurosciences et co-auteur de l’ouvrage “Les talents cachés de votre cerveau au travail (Eyrolles).

Notre plus grand défi ? Résister à ces distracteurs, à cette envie irrépressible d’écouter la conversation de notre voisin, de lire le contenu de cet email mystérieux. Mais alors, est-ce parce que l’on fait preuve de mauvaise volonté ? Non, en réalité, il faut comprendre que dans sa structure profonde, notre cerveau, qui évolue sur plusieurs millions d’années, n’est pas calibré pour les usages contemporains. Du moins, pas si on ne l’entraîne pas spécifiquement (car fort heureusement, il jouit d’une capacité d’adaptation incroyable).

Rester concentré, c’est très fatiguant pour le cerveau

Pour maintenir notre attention, la partie se joue au niveau de notre cortex préfrontal à travers “les fonctions exécutives”. Cette dernière sert à planifier, inhiber le désir de faire autre chose, ou encore détecter les erreurs. “Mais cela est très fatiguant d’un point de vue cognitif. De plus, c’est très fragile, car non prioritaire sur le plan de l’évolution, poursuit le médecin. Cela va vous sembler étonnant, mais les fonctions les plus élaborées de notre cerveau passent au second plan.

Parce qu’à l’origine, notre mission première était de survivre face au danger, de nous reproduire, et de trouver à manger, d’autres fonctions sont privilégiées via le “réseau de saillance”. C’est ce dernier qui va arbitrer entre une tâche ou une autre. Il va donner la priorité à d’autres réseaux et ainsi attirer notre attention sur des sons, images, odeurs, voire des souvenirs. Ces trois réseaux sont par ordre de priorité :

  1. Le “réseau d’évitement” qui est celui de l’identification du danger (pour sauver notre peau).
  2. Le “réseau de la récompense”, soit celui de la recherche de plaisir qui nous permet de trouver des ressources pour notre organisme. “Nous avons une soif insatiable de nouveauté et d’émotions. C’est ce réseau qui est moteur dans les addictions ou encore la surinformation”, explique le Dr Anselem.
  3. Le “réseau par défaut”, celui de notre imagination, de notre monde intérieur, de la perception de soi, de l’anticipation, de l’analyse des souvenirs, de notre rapport aux autres. “Ces rêveries peuvent ouvrir la voie à la créativité via l’association d’idées, mais elles ont plutôt tendance à pencher vers de la rumination négative, nous détournant d’une tâche que l’on est en train d’accomplir”, précise le spécialiste.

Résultat : chaque fois que l’un de ces réseaux est activé, on abandonne une tâche complexe. Le problème, c’est que cela efface notre mémoire de travail. Pour se remettre ensuite sur cette tâche, cela peut prendre jusqu’à plusieurs dizaines de minutes (d’où la perte de productivité). C’est ce que l’on appelle le “résidu d’attention”.

Comment entraîner son cerveau à travailler en deep work ?

Heureusement, “il est possible de travailler notre capacité d’attention, comme un muscle”, nous rassure le Dr Anselem. C’est ce que l’on appelle la pleine conscience, soit la capacité à être pleinement dans le présent. Bien sûr, des outils comme la méditation ou le yoga nous aident à y accéder, mais il est possible de s'adonner à la pleine conscience dans notre vie quotidienne.

Pour cela, Hubert de Saint Louvent propose différentes techniques à mettre en place au travail. “Il ne s’agit pas de tout couper, mais d’instaurer des plages de deep work et d’autres où l’on est joignable. L’équilibre de chacun est intimement lié à ses besoins personnels qui peuvent varier d’un métier à l’autre”, explique-t-il. Voici donc 5 points à explorer :

  1. Réduire les stimuli externes : trouver un endroit calme pour travailler (sans enfants de préférence !), mettre son téléphone en mode concentration ou avion, utiliser des logiciels blockers comme Freedom. Il permet de bloquer l'accès à certains contenus sur des créneaux définis. Idéal pour éviter d'être distrait.
  2. Améliorer sa concentration : utiliser des bandes sonores comme une playlist appréciée ou encore de se rendre sur des sites comme Brain.fm. Et bien penser à boire de l’eau pour maintenir la concentration !
  3. Respecter sa chronobiologie : parce que se concentrer requiert beaucoup d'énergie mentale, il est recommandé de s’adonner aux tâches les plus complexes dès le matin (on évite surtout le moment après le déjeuner). En effet, le stock d’énergie et de volonté diminue au fil de la journée.
  4. Planifier : pour parvenir à sanctuariser le deep work, il vaut mieux le programmer. Ensuite, on choisit de le dédier à des objectifs clairs qu’on déroule en plusieurs points d’étape atteignables, ce qui permet de retirer plus de satisfaction et ainsi d’activer le circuit de la récompense. Fragmenter le travail peut aussi passer par la technique Pomodoro (25 minutes de travail, 5 minutes de pause pour éviter la fatigue cognitive), même si certaines personnes préfèrent rester concentrées plus longtemps et voient cette pause imposée comme un distracteur.
  5. Améliorer sa relation au digital : pour ne plus se laisser submerger, on peut choisir de traiter ses mails trois fois dans la journée, de consulter son téléphone seulement après avoir réalisé telle ou telle tâche.
  6. Masquer sa messagerie par défaut : pour parvenir à résister à l’envie de consulter ses emails, on peut utiliser l’outil Inbox When Ready de Google. Il permet de définir un quota de consultations par jour, puis de définir un temps d’attente avant de pouvoir ouvrir sa boîte email une fois ce quota dépassé.

Quand les entreprises sanctuarisent le deep work

+20% de productivité, +40% de satisfaction, +50% d’envie de rester dans l’entreprise : tels sont les résultats d’une étude* menée par un professeur de Harvard au sein du Boston Consulting Group qui a mis en place le deep work. En France, Teale, première plateforme de santé mentale à destination des collaborateurs et des organisations, a également décidé de l’instaurer. “À notre échelle, nous essayons de mettre en place une culture qui favorise le bien-être et la santé mentale des collaborateurs”, affirme Julia Néel Biz, co-fondatrice.

Parmi les valeurs de l’entreprise ? La possibilité de permettre à chacun de travailler à son rythme tout en augmentant son impact. Les réunions avant 9H30, entre midi et deux ou après 17H30 sont ainsi bannies pour permettre à chacun de s’organiser facilement dans sa vie personnelle.

De plus, l’asynchrone est privilégié via la culture de l’écrit ou encore l’instauration de plages de deep work jusqu’au sommet de l’entreprise. “De mon côté, je me réserve les lundis et jeudis après-midi. Je le mets en public pour que ce soit visible sur mon agenda, j’actualise mon statut sur Slack et je désactive les notifications”, affirme l’entrepreneure.

Bien sûr, une urgence est toujours possible, mais en sanctuarisant ces moments, toute l’équipe a appris à bien définir ce qui relevait véritablement de l’urgence. Et de conclure : “Au final, je crois qu’il est important de souligner que le deepwork, ce n’est pas juste une question de confort, c’est une manière d'augmenter la performance, d’être plus créatif. Et pour que cela fonctionne, cela doit participer à une politique plus large qui passe par l’exemplarité à tous les niveaux de l’entreprise”.

*Leslie Perlow : Sleeping with Your Smartphone: How to Break the 24-7 Habit and Change the Way you Work.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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