Ce n’est pas parce que vous en avez marre… que vous êtes forcément en burn-out

Alors que le terme était inconnu au bataillon il y a encore une décennie, voilà que le “burn-out” a fait une entrée remarquée dans notre vocabulaire… jusqu’à devenir une expression populaire plus qu’une réalité clinique ?
“Je crois que je fais un burn-out” : cette formulation, vous l’avez certainement déjà entendue autour de vous. Il y a quelques mois, un journaliste de Welcome to the Jungle s’amusait même à titrer : “Si t'as pas fait un burn-out à 30 ans, t'as raté ta vie (pro) ?”. Faire un burnout serait-il donc le summum de la hype ?
Pour le psychologue Adrien Chignard, nul doute : le burn-out est bien passé dans le langage courant, et tout comme le terme “maniaque” n’a absolument pas la même signification pour les psychiatres que pour le commun des mortels, le terme burn-out souffre lui-aussi de quelques distorsions. “C’est évident qu’il a perdu de sa scientificité, mais cela veut dire aussi que les gens y ont été sensibilisés et se le sont approprié”, observe-t-il.
Journaliste et autrice d’un guide de prévention sur le burn-out, Aurélie Cerffond confirme cette tendance : “Il est vrai que le terme burn-out est utilisé un peu à tort et à travers, comme l’a été celui de manager toxique ou de pervers narcissique ces dernières années. Cela est en partie lié aux réseaux sociaux qui ont tendance à simplifier le message, ce qui est le pendant négatif de la vulgarisation”.
Non, on ne peut pas s’auto-diagnostiquer en burn-out
Lorsqu’il traverse une période de surcharge, de stress ou de remise en question, le travailleur n’hésite donc plus à employer sciemment le terme “burn-out” pour mettre en mots ses maux. “Mais se décréter soi-même en burn-out, c’est un peu audacieux. C’est un diagnostic que seul un médecin, qui a fait a minima 8 ans d’études, peut poser”, souligne Adrien Chignard.
Surtout, les personnes qui traversent l’épreuve du burn-out sont généralement dans le déni du mal qui les accable. Aurélie, qui a elle-même vécu un burn-out, n’a effectivement pas vu venir cette déflagration. “Le burn-out se produit lorsque le corps lâche parce que les signaux d’alerte précurseurs n’ont pas été entendus”, souligne la psychanalyste Julie Garel, qui a accompagné de nombreux patients dans cette situation, notamment au sortir de la pandémie. Leur trait commun est justement de ne pas se plaindre jusqu’à sombrer dans une fatigue irrémédiable que des nuits de 12H ne parviendront pas à combler.
“Certaines personnes parlent de burn-out alors qu’elles ont en réalité tout le matériel psychique et physique pour remettre en question leur travail. Ce que l’on peut voir plutôt d’un bon œil, car cela peut éviter de plonger dans le burn-out pour de bon”, poursuit la spécialiste.
Elle estime aussi que le problème de l’autodiagnostic est également lié à la pénurie de professionnels, tant du côté des psychiatres et des psychologues que des médecins traitants. “Aujourd’hui, peu de patients ont un vrai médecin de famille à qui ils peuvent se confier”, analyse-t-elle.
Et si on était devenus des chochottes ?
Alors voilà, maintenant que les bases sont posées, mettons les pieds dans le plat : cette propension à s’autodéclarer en burn-out témoigne-t-elle de notre faiblesse psychologique ? Ou encore d’une forme d’individualisme ?
Pour Hélène, vétérinaire associée au sein d’une petite clinique de campagne, c’est une certitude. Depuis plusieurs mois, elle fait face à une flopée d’arrêts de travail, particulièrement chez ses jeunes employées. “Elles m’appellent la veille pour le lendemain en me disant qu’elles n’en peuvent plus, sans avoir cherché à communiquer avec moi au préalable. Pour des raisons de confidentialité que je peux bien sûr entendre, il n’y a pas de motif médical, mais en sourdine, c’est le burn-out qui est invoqué”, nous raconte-t-elle.
Malgré sa volonté de bien faire et de protéger au maximum ses équipes, Hélène se sent démunie face à cette situation. Sans nier l’existence réelle du burn-out, la vétérinaire estime qu’il faudrait un second avis médical avant de prononcer ces arrêts. “Ces jeunes font 25H de travail par semaine et aucune garde. Quand elles s’arrêtent au dernier moment, elles me disent simplement d’annuler tous leurs rendez-vous sauf que ce serait délétère pour les animaux et irrespectueux pour la clientèle puisque certains propriétaires posent des jours pour amener leur animal à la clinique”, poursuit la vétérinaire.
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Une limite à l’empathie ?
De facto, Hélène se retrouve à compenser ces absences et à cumuler plus de 60h de travail par semaine, délaissant du même coup ses obligations familiales, et faisant fi de sa propre fatigue. “Pour moi, ce sont des raisons personnelles qui viennent phagocyter le travail, et cela n’a pas lieu d’être. Ce qui me dérange, c’est que la personne ne vienne pas me voir au préalable pour que l’on puisse trouver des solutions, tous ensemble. De surcroît, la solidarité ne se joue pas que dans le sens employeur-employé. On est une équipe, et moi-aussi, je ne suis pas invincible”, se désole-t-elle.
Très attachée à l’éthique de travail et aux valeurs d’entraide, Hélène s’inquiète de cette dérive individualiste de la société. “Les gens deviennent de plus en plus exigeants et de moins en moins patients, on diminue de plus en plus les services et le relationnel (faute de temps et d’énergie). Nous avons donc un effet contraire : la pression augmente, on envenime le tout et c’est de pire en pire. On tire la société vers le bas”, estime-t-elle.
Pour Adrien Chignard, la situation vécue par Hélène érode nécessairement son réservoir d’empathie à l’égard de ses employées : “Elle se retrouve confrontée à son propre sentiment d’impuissance. Elle fournit beaucoup d’efforts et les résultats sont soumis à des aléas qui ne lui appartiennent pas. On sait notamment que les métiers au contact du public sont les plus exigeants mentalement. Cela peut générer de la colère puis un sentiment de tristesse voire de “résignation apprise”.
Une question de génération, vraiment ?
L’autre question en suspens est également générationnelle : les jeunes sont-ils particulièrement prompts à “s’écouter” ? Certains baromètres, comme celui récemment mené par moka.care et le GHU de Paris, tendent à le montrer : 56% des salariés de -35 ans versus 40% des 50+ ont déjà été amenés à travailler moins ou moins efficacement en raison de leur santé mentale. Ils sont aussi deux fois plus à avoir déjà démissionné en raison de leur santé mentale (20% vs 10%).
Sur ce point, différentes grilles de lecture sont possibles : “personnellement, je pense que les plus jeunes ont raison de prendre davantage soin de leur santé mentale par rapport à ma génération - les millenials - qui a eu tendance à tout donner pour son employeur alors qu’aujourd’hui, les emplois à vie, c’est fini. Finalement, on entre dans un rapport utilitariste des deux côtés, et peut-être que cela rééquilibre un peu la balance”, analyse Aurélie Cerffond.
Pour Julie Garel, il est bien difficile de répondre à “cette question qui comporte en elle-même une forme de jugement. L’Histoire nous dira si ces jeunes ont réellement manqué de ténacité ou non”, lance-t-elle.
Quant à Adrien Chignard, il se refuse à embrasser toute explication générationnelle. Selon lui, les origines sont plutôt situationnelles : “Le travail abîme davantage notre santé mentale que dans les années 80, c’est une certitude. Nous vivons dans un monde empreint d’incertitudes, et cela se voit au sein des entreprises qui changent rapidement de trajectoire. Or, nous avons plus que jamais besoin d’un soutien social et d’un sentiment de contrôle”, analyse-t-il.
Pour une définition claire du burn-out
Alors que les frontières entre la sphère intime et le travail sont de plus en plus réduites, le burn-out souffre lui-aussi de cette zone grise. Dans la représentation commune, il s’agit d’une surcharge de travail sauf qu’en réalité, d’autres facteurs sont à l'œuvre : “le délitement des relations professionnelles, les conflits éthiques ou encore le manque de prévisibilité du travail sont clés. Le burn-out surgit lorsque nos efforts ne mènent pas au résultat escompté”, note Adrien Chignard.
Pour Julie Garel, la reconnaissance du burn-out en tant que maladie professionnelle demeure un enjeu (pour l’heure, ce n’est pas le cas en France) : “Oui, le terme est galvaudé, car il sert à décrire plusieurs symptômes simultanés quand le corps lâche. Reste qu’il s’agit d’un syndrome qui a été reconnu et qu’il ne faut pas décrédibiliser”.
Alors non, faire un burn-out avant 30 ans n’a rien de stylé. Pour autant, être capable de se prendre en charge avant d’arriver au point de rupture est salutaire. On retiendra que dans ces situations, la souffrance du salarié, qu’elle émane de raisons professionnelles ou privées, n’est pas un mirage. En revanche, l’esprit d’entraide et la communication doivent perdurer… sous peine de ne plus pouvoir faire société ?