société

La Génération Alpha s’intéresse-t-elle déjà au travail ?

Les représentants de la génération Alpha ne sont pas encore en âge de travailler : et pour cause, ils sont nés… après 2010. Mais alors que leurs aînés de la génération Z font beaucoup parler d’eux, comment ces jeunes enfants et adolescents perçoivent-ils le monde du travail ?


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On travaille pour vivre, gagner de l’argent, nourrir sa famille… et pour le plaisir. Quand je vois ma maman revenir du travail un peu stressée, je me dis que je préfère avoir un travail que j’aime”. Ce discours tout en sagesse nous est livré par Emma, 11 ans, élève en sixième qui rêve depuis plusieurs années déjà de devenir vétérinaire.

C’est bien de soigner les humains, mais il ne faut pas oublier les animaux aussi”, nous lance-t-elle. Dans sa tête, tout est déjà planifié : elle imagine son cabinet, le nombre de vétérinaires et d’assistantes, et même le planning ! Consciente qu’il lui faudra réussir ses études pour accomplir son souhait, elle surveille tous les jours ses notes pour se maintenir au plus haut niveau.

Emma se projette loin, très loin, mais à vrai dire, elle fait un peu figure d’exception dans son entourage : La plupart de mes copains ne veulent pas parler du travail, ils trouvent que c’est dans trop longtemps. Sur ce point, la génération alpha est comme ses prédécesseuses : de tout temps, il a été difficile pour un adolescent de se projeter dans le futur.

Les adolescents vivent dans l’instant, c’est pourquoi il peut être si difficile pour les parents de les mobiliser”, souligne David Le Breton. Pour autant, le professeur à l’université de Strasbourg et spécialiste de la sociologie du corps estime que le phénomène est amplifié à l’ère de l’immédiateté : “le monde change si vite aujourd’hui, l’environnement est si incertain, que cela aide encore moins les jeunes à se projeter”.

Les réseaux sociaux ou l’illusion de l’argent facile

Les réseaux sociaux ne sont bien sûr pas étrangers à tout cela. Pour Catherine Pierrat, psychologue de la famille, nul doute : leur usage est un véritable fléau chez la jeune génération. “Les enfants qui viennent en consultation, et qui sont pour certains en primaire, sont nombreux à me confier vouloir devenir influenceurs ou créateurs de jeux vidéo, quand autrefois, on retrouvait des métiers classiques comme enseignant, médecin etc”, relate-t-elle.

Et d’ajouter : “Les réseaux sociaux ont tendance à dévaloriser la notion même de travail, comme si l’objectif ultime dans la vie était d’en faire le moins possible, pour gagner un maximum d’argent”. Une inclinaison observée par les enseignants qu’elle reçoit parfois en consultation et qui regrettent de voir de plus en plus de jeunes déserter les bibliothèques pour se tourner vers la solution de facilité : chat GPT.

Pour David le Breton, cette tendance reflète plus généralement un hédonisme de masse poussant l’individu à placer ses besoins au centre de tout. “Les métiers du soin à l’autre comme les infirmiers ou travailleurs sociaux souffrent d’un déficit d’attractivité. Notre monde prône les individualités au détriment du collectif. D’ailleurs, l’élection de Trump en est la matérialisation”, estime le sociologue.

Dans son entourage, Emma relève que certains de ses camarades veulent devenir chanteurs ou chefs cuisiniers, des passions qui ne semblent pas étrangères aux émissions de téléréalité dont s’abreuvent les aspirants à la célébrité.

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Des enfants qui demeurent influencés par leur environnement proche

Bien entendu, il demeure difficile de dresser un portrait général de la génération Alpha. Quand on demande à Victor, 7 ans, le métier qu’il désire exercer à l’avenir, il nous répond du tac-au-tac “pilote d’avion, parce que j’adore faire décoller et atterrir des engins. Et puis c’est utile, ça permet de faire voyager des gens”.

Quant à Bastien, son homologue de CE1, après nous avoir répondu vouloir devenir cardiologue parce qu’il a entendu que cela rapportait beaucoup d’argent (et qu’en plus, il “aime prendre des photos”), il finit par nous confier que son véritable souhait serait de “construire des robots pour soigner les gens”.

Les enfants sont tous dotés de leur propre personnalité, et fonction de leur environnement éducatif. Certains vont se construire par mimétisme ou au contraire en opposition à ce qu’ils observent dans leur famille. “Ce qui est certain, c’est qu’en tant que parent, nous avons un vrai rôle à jouer dans l’image que nous donnons du travail”, souligne Catherine Pierrat. Si un enfant voit son parent rentrer énervé chaque soir parce qu’il a eu des soucis au travail, cela aura nécessairement des répercussions sur lui. Et inversement s’il prend le travail en dilettante.

Il s’agit en réalité de trouver le juste milieu entre être réaliste sans être alarmiste”, recommande la psychologue. Conscients de leur rôle auprès de leur fille, les parents d’Emma n’hésitent pas à aborder avec elle ces sujets. “Ce qui m’importe, c'est qu’elle fasse un job qui lui plaît, tout en étant consciente du niveau de vie qu’elle a aujourd’hui, et qui ne sera pas forcément accessible selon les choix qu’elle opérera”, nous confie son père.

Quant à sa mère, elle estime être en première ligne sur ces sujets : “le choix d’orientation, ce n’est pas quelque chose que je laisse à la main de l’école, contrairement à la génération de mes parents. Je me vois comme un guide, je réponds à toutes ses questions. Avec mon mari, nous insistons aussi sur l’importance de son indépendance future en tant que femme”.

Un goût du travail qui s’enseigne dès le plus jeune âge

L’objectif étant également de redonner au travail ses lettres de noblesse. Et cela commence dès le plus jeune âge : on peut récompenser un enfant qui a réalisé un dessin pour le “travail” accompli. On peut ensuite l’encourager à faire des petites tâches à la maison pour gagner son argent de poche, puis le pousser à faire des baby sitting et des jobs d’été, pas forcément pour gagner de l’argent, mais se confronter à de premières responsabilités. “À ce titre, je trouve que le stage de troisième est une formidable initiative. Mes petits patients en reviennent ravis. Cela leur donne une vision beaucoup plus concrète du monde professionnel”, affirme Catherine Pierrat.

Un avis partagé par David le Breton qui a observé nombre de ces jeunes se métamorphoser, comme si d’un coup, d’un seul, ils s’éveillaient au monde. “*Les jeunes grandissent dans une forme d'entre soi, dans la tyrannie des pairs, avec le sentiment que le monde commence et se termine avec leurs copains de classe. Soudain, ils découvrent la complexité qui les entoure, et certaines personnalités fermées peuvent s’ouvrir dans un autre contexte”*, observe-t-il.

Ainsi, il prône plus que jamais une confrontation au vrai monde, qu’il soit professionnel ou même physique, avec des activités en plein air.  En 1971, un enfant courait 800 mètres en 3 minutes, contre quatre minutes aujourd'hui, selon une enquête australienne, réalisée en 2013. “Les écrans sont grandement responsables de ce recul. Ils façonnent le “crétin digital” pour reprendre les propos de Michel Desmurget”, scande-t-il. Cela nous renvoie bien évidemment à notre responsabilité, en tant qu’adulte, dans notre relation aux écrans. La génération alpha sera aussi celle qu’on en fera !

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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