La Théorie de l'Identité Sociale : Comprendre les Groupes pour Mieux Manager
Qu'est-ce que la Théorie de l'Identité Sociale ?
Développée dans les années 1970 par le psychologue Henri Tajfel, la TIS postule que les individus tirent une partie de leur identité (ou concept de soi) de leur appartenance à des groupes sociaux. Elle comprend trois processus fondamentaux :
- La catégorisation sociale,
- L’auto-évaluation,
- La comparaison sociale intergroupe.
Les travaux de Henri Tajfel s’inscrivent dans un contexte post-Seconde guerre mondiale, au moment où la volonté de comprendre les préjugés et la discrimination avait une acuité particulière. Ils se distinguent des théories qui expliquent les conflits uniquement par la personnalité des individus ou par la compétition pour les ressources. Ainsi, la TIS est une théorie de ****l'appartenance groupale et de ses effets sur le soi. Cependant, elle ne réduit pas tout à l’identité sociale des individus : les caractéristiques personnelles de chacun existent et exercent également une influence.
Les Mécanismes Clés de la TIS
- La Catégorisation Sociale :
C’est le processus cognitif de base, défini comme le fait classer les individus (y compris soi-même) dans des groupes sociaux. Cette action permet notamment de définir la place de chacun dans la société, et d’organiser plus facilement son environnement. A cet égard, on distingue l’endogroupe (le groupe d’appartenance de l’individu) de l’exogroupe (les autres groupes).
- L'Auto-Évaluation :
Il s'agit du processus par lequel on établit une évaluation de soi. L’individu va alors rechercher l’appartenance à un groupe dont l’identité est perçue comme positive, et adopter cette identité comme étant la sienne.
- La Comparaison Sociale :
C’est le fait de mettre en valeur son identité sociale en comparant son groupe d’appartenance à d'autres groupes pertinents sur des dimensions valorisées. Cette comparaison n'est pas neutre : elle recherche une évaluation positive pour l'endogroupe.
- La Recherche de Distinctivité Positive :
Les individus cherchent à appartenir à des groupes qui leur confèrent une identité sociale positive et distincte, ce qui contribue à leur estime d'eux-mêmes. Ce fait favorise le biais pro-endogroupe, c’est-à-dire la tendance à mieux apprécier voire à privilégier les membres de son groupe par rapport aux personnes extérieures.
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La TIS en Action dans l'Entreprise
Comment s’applique la TIS dans le monde professionnel ? Voici quelques exemples concrets.
- Cohésion d'Équipe et Performance :
Une identité sociale forte et partagée ("Nous sommes l'équipe Alpha", “Nous faisons partie du département X”) peut renforcer la coopération, la confiance, la motivation et l'engagement des individus.
- Leadership et Influence :
Le leader/le manager dispose de la capacité à définir et incarner l'identité du groupe. Il peut ainsi soit exacerber les divisions inter-départements ("Nous sommes les meilleurs"), soit créer une identité supra-ordonnée ("Nous sommes tous 'Nom de l’entreprise’”).
- Gestion de la Diversité et de l'Inclusion :
La TIS peut aider à comprendre les tensions potentielles entre sous-groupes. Dans le cadre d’une stratégie de diversité et d'inclusion, par exemple, elle peut permettre de viser une identité commune qui valorise les sous-groupes, plutôt que d'ignorer ou de chercher à abolir les différences.
- Changement Organisationnel :
La résistance au changement peut venir d'une menace perçue sur l'identité d'un groupe (exemple : fusion de départements). D’où l’importance de communiquer sur le changement en préservant ou en redéfinissant positivement les identités de chacun.
- Conflits Intergroupes :
Ici, la TIS peut permettre de comprendre les rivalités (exemple : équipes commerciales vs production) à travers le prisme de la comparaison et de la recherche de distinction.
Quand l'Identité est Menacée : les Stratégies de Gestion
Que font les membres d'un groupe dont l'identité s’avère insatisfaisante (faible statut, évaluation ou perception négative) ?
- Mobilité Sociale (Individuelle) :
Le groupe d’appartenance est quitté pour un autre perçu comme meilleur. C’est le cas, par exemple, d’un salarié qui cherche à changer de département.
- Créativité Sociale (Collective) :
Il s’agit ici de redéfinir la comparaison, en y apportant de nouvelles dimensions ou en incluant de nouveaux éléments de comparaison. Par exemple : un service support, traditionnellement moins valorisé, peut mettre en avant sa fiabilité et son efficacité face à un service qui se consacre à l'innovation.
- Compétition Sociale (Collective) :
L'exogroupe dominant est directement confronté pour changer la hiérarchie. Par exemple : une action syndicale est menée pour l'équité salariale entre catégories professionnelles.
Au-delà de la TIS : L'Apport de l'Auto-Catégorisation
La théorie de l'auto-catégorisation, développée par le psychologue britannique John Turner, est une branche de la TIS qui vise à expliquer comment les individus se catégorisent eux-mêmes et les autres dans différents contextes sociaux. Ses principes fondamentaux permettent de comprendre quand et comment une identité sociale spécifique devient saillante :
- Niveaux d'Abstraction : le Soi peut se catégoriser à différents niveaux (en tant qu’être humain, membre d’un groupe social, et individu unique).
- Principe du Méta-Contraste : une catégorisation est saillante si les différences entre les groupes sont plus grandes que les différences à l'intérieur des groupes sur une dimension donnée.
- Dépersonnalisation : il ne s’agit pas d’une perte d'identité, mais de se percevoir comme un membre interchangeable du groupe.
- Antagonisme Fonctionnel : un seul niveau pouvant être activé à la fois, ce n’est que lorsque l’individu a identifié un autre individu qu’il peut commencer à faire des comparaisons entre les groupes, afin de le placer dans l’un d’eux.
Limites et Perspectives Critiques
- La TIS et sa branche relative à l’auto-catégorisation peut parfois sembler déterministe, notamment lorsqu’elle postule qu’il existe nécessairement des biais.
- Elle peut également paraître limitée face aux complexités et aux nuances de l’identité humaine (par exemple, dans quels groupes se situe une femme ingénieure et manager ?).
- Le rôle des différences individuelles (personnalité, valeurs) n’y est pas entièrement expliqué.
- Enfin, le risque de simplification excessive des dynamiques de groupe existe, de même que la tentation de manipuler les individus pour créer artificiellement des exo-groupes vus comme des “ennemis”.
Conclusion
La TIS offre des clés de lecture indispensables pour comprendre les dynamiques de groupe, que ce soit dans la société ou en entreprise. En comprenant les mécanismes d’appartenance à un groupe, tels que la catégorisation sociale (le fait de classer les individus en groupes), la dépersonnalisation (la réduction de l’individu à son appartenance de groupe) ou encore le biais pro-endogroupe (la préférence systématique pour son propre groupe), il devient possible d’agir plus consciemment sur la cohésion, la gestion des conflits, le niveau d’engagement, et d’accompagner le changement.
Ainsi, la distinction entre endogroupe (le groupe auquel on s’identifie) et exogroupe (le groupe extérieur) façonne nos interactions quotidiennes, souvent à notre insu. Le concept de méta-contraste, qui accentue les similitudes perçues entre membres d’un même groupe et les différences avec ceux d’un autre, vient renforcer cette dynamique.
On en retiendra qu’en cultivant des identités sociales positives, les entreprises peuvent améliorer leur climat social, tout en favorisant la collaboration et en renforçant le bien-être des salariés.
