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La transparence des salaires : Le billet du futur de Samuel Durand

En juin, on m’a demandé en conférence si j’étais pour ou contre la transparence des salaires. Et en formulant ma réponse, je me suis rendu compte que ce n’était pas si évident et que la question méritait une réponse à deux niveaux.


5 min
19 septembre 2023par Samuel Durand
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Dans l’absolu, je crois que je suis plutôt contre la transparence des salaires, car celle-ci n’appelle que la polémique. Un salaire sera toujours trop ou pas assez élevé aux yeux de chacun tant qu’ils n’auront pas les éléments de contexte qui vont avec. Or à moins d’accompagner chaque salaire d’un podcast d’une heure justifiant le prix, j’ai du mal à imaginer comment l’ensemble des éléments pris en compte pour aboutir à un salaire pourraient être exprimés clairement et exhaustivement au tout venant.

Cependant, les choses étant ce qu’elles sont, on ne peut aujourd’hui que militer pour la transparence des salaires. La logique est la même que pour les quotas, on n’en veut pas, mais c’est un passage temporaire nécessaire pour dépasser les biais auxquels nous avons à faire, et les expérimentations en la matière se sont révélées efficaces.

En 2021, à temps de travail égal, l’écart salarial entre les femmes et les hommes est de 15,5%. Ce chiffre est à la fois le résultat de discriminations conscientes, et de biais lors des recrutements. Lors de ma rencontre avec Buffer pour le tournage de Time to Work, j’avais écrit ce billet sur la façon dont l’entreprise avait réussi à réduire l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes de l’entreprise à seulement 0.4%. La transparence sur les salaires représente beaucoup dans le processus pour arriver à l’égalité dans la rémunération, mais pas seulement, c’est aussi le produit de décisions fortes de l’entreprise en la matière, détaillées dans cet article de blog.

Au-delà des discriminations et biais, faire preuve de transparence sur les salaires permet aussi de faire gagner du temps dans les processus de recrutement. Trop souvent le salaire n’est discuté qu’en fin de processus et lorsque les attentes des candidats ne sont pas alignées avec les offres, c’est tout simplement une perte de temps des deux côtés. Le fait d’avoir accès aux rémunérations des différents membres de l’entreprise permet de se projeter sur sa propre rémunération en amont.

Enfin, il s’agit aussi d’une façon de se démarquer à peu de frais et de rendre l’entreprise attractive auprès des candidats.

Les grilles salariales

Pour aller au bout de la transparence des salaires, il faut aussi expliquer comment ces derniers sont calculés. Chez Buffer, la lumière est faite sur le calcul directement sur le site internet, le salaire est calculé en fonction du métier, du niveau de séniorité et du lieu de travail (il s’agit d’une entreprise full remote dont les membres vivent aux quatre coins du monde.)

Et bien souvent, la transparence des salaires s’accompagne d’une grille de salaire. Je n’en suis pas un grand fan, le fait d’avoir des grilles de salaires standardise la rémunération et ne permet pas de refléter la singularité de chacun qui devrait pourtant être une des données à prendre en compte lors de la négociation. En mettant les personnes dans des cases, on réduit un individu à un poste plutôt que de valoriser précisément l’ensemble de ses compétences utiles pour le poste et pour l’entreprise dans sa globalité. Cependant, là encore, étant donné qu’on est encore en proie à de nombreux biais lors des négociations salariales, tant côté talent que côté entreprise, j’ai tendance à penser que les grilles sont pour l’instant plutôt un mal pour un bien.

Néanmoins, pour qu’elles soient efficaces, il faut que la construction des grilles soit transparente, elle aussi, pour que chacun comprenne facilement les raisons pour lesquelles il se situe à un certain niveau et ses perspectives d’évolution. Bien que je ne souscrive pas à l’idée de conditionner le salaire à l’expérience, la grille de salaire, comme beaucoup d’autres choses chez Alan, a le mérite d’être claire.

L’autodétermination du salaire

Une autre des innovations en matière de salaires est de laisser le principal intéressé le définir librement. L’idée derrière ce concept est que chacun est capable de défendre ses ambitions salariales publiquement.

Une pratique mise en place notamment chez Lucca où au bout de trois années au sein de l’entreprise, chaque membre a la possibilité de défendre une augmentation de salaire, lors d'un comité composé du manager, de la direction et des collaborateurs ayant plus de 3 ans d'ancienneté, dès lors que celle-ci dépasse la grille de salaire d'au moins 2000 euros par an.

Après des années de pratique, Lucca constate que les demandes ne sont jamais invraisemblables, et qu’au bout du compte, les salaires sont simplement 3 à 4% plus élevés que ce qu’aurait déterminé la direction seule. Selon Lucca, cette pratique a permis d'identifier rapidement les écarts de salaire injustifiés et d'y remédier rapidement. Quant à la possibilité de sortir de la grille, cela donne l'occasion aux personnes exerçant des fonctions multiples, de valoriser leur engagement envers la société

Je trouve l’idée super bonne, car elle évacue le fait de se plaindre d’un salaire trop faible, ça devient la responsabilité de chacun de le déterminer. Et l’exercice d’argumentation lors du grand oral permet aussi de mettre en avant les différents leviers qui participent à l’augmentation du salaire et donc à l’engagement.

Pour poursuivre les réflexions, les frères Meyer ont écrit un billet sur leur rencontre à Montréal de l’entreprise Moov AI qui utilise l’holacracy pour augmenter ou diminuer les salaires de ses équipes.

Et je ne peux que conclure cette édition en vous recommandant d’aller jeter un œil à la start up Figures si vous n’êtes pas déjà client et leur blog pour encore plus de ressources.

Samuel Durand

Expert/Auteur

Auteur des documentaires Work in Progress. Explorateur des transformations du travail. Toute l’année à la rencontre de pionniers ou chez vous, pour vous […]

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