Mais pourquoi nous arrive-t-il de mentir à nos collègues sur notre weekend ?
Selon une étude lastminute.com, 17% des Français ont déjà menti à leurs collègues en disant avoir travaillé tout le weekend. Ils sont également 11% à s’inventer de faux départs au soleil, des dîners entre amis ou des séances de sport endiablées. Mais d’où vient ce besoin d’enjoliver la réalité ?
Le lundi matin, à la machine à café, c’est un peu la course à l'échalote. À qui aura eu le weekend plus “stylé” ? Nous sommes dans une startup parisienne, les collaborateurs ont à peu près tous la même tranche d’âge, et beaucoup n’ont pas encore d’enfants. “L’un raconte avoir fait un super festival électro à Bruxelles, l’autre une sortie escalade à Fontainebleau, et moi, au milieu de tout ça, je n’ai rien de très excitant à partager. J’ai fait le marché avec mes enfants, on a fait des gâteaux et j’ai trié leurs jouets. Je ressens un certain décalage de culture et par envie de me conformer, j’invente souvent un dîner extraordinaire avec des gens passionnants”, nous livre Sophie, account manager.
Pour Marianne, c’est une autre histoire. Ce sont des problèmes de santé lui causant une “fatigue abyssale” qui l’ont poussée à mentir : “Je rentrais chez moi le soir, je mettais le chien dans le jardin et je m'endormais sur mon canapé à 19h30. Je passais mon week-end au lit à dormir et à regarder des séries… Je pense que mes collègues me voyaient “un peu fatiguée” mais je n’avais pas envie de m’étaler sur mon état de santé. Et comme je suis performante dans mon travail, c’était plus facile comme ça. Du coup, le moindre documentaire ou la moindre sortie devenait un sujet de papotage au déjeuner. Ça m’a permis de donner le change comme si ma vie était normale. Ça m’a aussi préservée de certains commentaires comme “c’est dans ta tête” ou “il faut que tu changes de boulot, il est trop stressant pour toi”.”.
Connaissez-vous les mensonges blancs ?
La plupart de ces petits mensonges entre collègues sont innocents. “C’est ce que l’on appelle des mensonges blancs, c’est-à-dire qui n’ont pas de vocation à nuire”, explique Julie Garel, psychanalyste et consultante en psychologie du travail. Le plus souvent, ces mensonges servent à fuir la réalité, notamment lorsque le quotidien est morose.
Si l’on ment au travail, c’est aussi et surtout parce qu’il s’agit du lieu par excellence où l’on porte son masque social. “C’est comme une scène sur laquelle chacun a déjà son rôle. On enfile son costume et on entre dans son personnage. Par exemple, on peut être extraverti au travail, mais plutôt introverti dans sa vie privée, et donc avoir besoin de calme le week-end pour se ressourcer, ce qui ne colle pas forcément avec l’image que l’on offre à voir de soi à ses collègues”, analyse-t-elle.
Elle nous explique ainsi que nous forgeons tous notre propre mythologie dont nous sommes finalement toujours les héros, ce qui entraîne parfois des petits arrangements avec la réalité. “Dans le cas des mensonges au travail, c’est souvent plus facile que d’assumer de prendre la responsabilité de tout ce que l’on ne fait pas”, affirme-t-elle.
De l’excès d’avoir à l’excès d’être
En soi, mentir sur son week-end n’a rien d’alarmant. Le problème, c’est que le mensonge amène le mensonge. Typiquement, si l’on a passé un formidable week-end avec des amis imaginaires, on risque d’être obligés d’en remettre une couche à une autre occasion. C’est alors le début d’un cercle vicieux. “Lorsqu’on répète des mensonges, on finit par y croire et se mentir à soi-même. Cela entretient une forme de culpabilité, celle de ne pas “être assez”. Les personnes qui n’assument pas qui elles sont ont en général une faible estime de soi”, poursuit Julie Garel.
À l’ère des réseaux sociaux, qui constituent une autre scène qui nous éloigne encore davantage de la réalité, le fait de mentir n’est-il finalement pas devenu constitutif de nos êtres ? Pressés par des injonctions de performance, à la recherche du “toujours plus”, tout est devenu un prétexte à se valoriser. Il n’y a qu’à ouvrir LinkedIn pour voir que le moindre acte du quotidien se transforme en bravade héroïque.
“Pour que les choses existent, il faut qu’elles se voient. Finalement, la société nous culpabilise si on ne montre pas (“on me voit donc je suis”). Or, nos collègues ne nous suivent pas forcément sur Insta, d’où le besoin de s’étaler sur sa vie perso le lundi matin à la machine à café”, relève Julie Garel. Elle ajoute d’ailleurs que d’une société de la surconsommation, qui vénérait “l’excès d’avoir”, nous sommes passés à “l’excès d’être”. Comprenez : à montrer que l'on existe dans un monde qui demande à ce qu'on soit "toujours plus"
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Que gagnerait-on à oser dire la vérité ?
Être en mesure de dire que le week-end dernier, on était tout simplement rincé, éreinté, et qu’on a lézardé devant Netflix, requiert finalement une forme de lâcher-prise et de courage. C’est une manière de se détacher du jugement d’autrui, et de nourrir son réservoir de confiance en soi. “Si l’on s’empêtre dans ces bobards, finalement, on se crée un plafond de verre que l’on ne dépassera jamais : celui de ses propres mensonges”, prévient la psychanalyste.
En revenant à une forme d’humilité, à l’acceptation de soi, chacun peut au contraire accéder à une plus grande affirmation de soi. Cela revient à se mettre à la première place, à ne pas répondre au désir des autres. Si pour une fois, on répondait au premier degré, sans fioritures, on resterait fidèle à soi. Ce que l’on y gagnerait ? “De l’amour de soi, tout simplement”.