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“Pourquoi j’ai arrêté la semaine de 4 jours dans ma boite”

La semaine de 4 jours, il en rêvait. Il l’a instaurée. Il l’a expérimentée… et il a décidé de l’arrêter. Ce patron nous explique pourquoi.


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Julien Le Corre est le cofondateur de l’agence de branding et communication YZ. En octobre 2021, il a décidé d’instaurer la semaine de 4 jours dans son entreprise de 15 employés… avant de stopper l’expérimentation 12 mois plus tard.

“Avant de lancer mon entreprise, j’ai été freelance pendant près de 10 ans. J’avais donc une expérience très limitée de la vie de bureau et des contraintes qui vont avec, à la fois en termes de lieu de travail, mais aussi de temps. J’étais donc à l’affût des innovations qui pouvaient déverrouiller ces deux paramètres. J’ai commencé par mettre en place le télétravail partiel bien avant la pandémie, avant d’instaurer le 100% télétravail pendant et après la crise sanitaire.

J’ai ensuite voulu m’interroger sur la question du temps de travail. Cela me semblait légitime : nous n’avons pas changé de modèle depuis près de 100 ans (la semaine de 5 jours a été introduite par Henry Ford en 1926). Sachant qu'entre-temps, l’informatique et l’autonomisation ont permis des gains de productivité monstrueux. En théorie, on devrait donc pouvoir moins travailler. Le passage à la semaine de 4 jours s’inscrit ainsi dans une démarche globale de réflexion, aux côtés d’autres sujets comme l’évolution du management par exemple.

“J’étais convaincu que la productivité compenserait la baisse du temps de travail”

Nous avons ensuite démarré l’expérimentation de la semaine de 4 jours en octobre 2021. Nous nous sommes demandés si nous allions laisser les employés choisir leur journée off avant de décider qu’il serait plus simple d’un point de vue organisationnel que tout le monde prenne son vendredi. Autrement, le risque était que le salarié soit sollicité sur sa journée non travaillée.

Pour ce faire, nous n’avons pas modifié les contrats de nos collaborateurs et maintenu les salaires à 100%. Pour récupérer une journée off par semaine, nous pensions qu'il suffisait d'être un peu plus productif les autres jours et de récupérer chaque jour 2h de temps perdu. Le tout en misant sur un pilotage à la tâche plutôt qu'au temps de travail. Mon idée était que chacun se responsabilise.

Les salariés étaient ravis d’avoir leur vendredi mais aussi de figurer parmi les entreprises pionnières dans le test de la semaine de 4 jours. Je crois que cela était aussi important que le bénéfice réel de la journée de travail en moins. Les premiers temps, j’ai eu le sentiment que tout se passait bien.

“Nous gagnions de moins en moins d’appel d’offres”

Ce qui m’a alerté, c’est que nous produisions de moins en moins sur nos appels d’offres. En tant qu’agence de pub, nous sommes sollicités par les clients pour proposer différentes pistes créatives. Or, on ne proposait au final qu’une piste alors qu’auparavant, c’était plutôt deux ou trois. Au départ, j’étais optimiste et je me disais que le temps de travail restreint nous poussait à rationaliser nos choix.

Lorsque j’étais freelance en agence, je m’étais rendu compte que la surcharge de travail était plus idéologique que contrainte : les créas avaient l’habitude de travailler tous ensemble jusque tard dans la nuit après une journée pas forcément très productive. C’était en quelque sorte une forme d’expérience sociale, et moi je voulais l’idéologie inverse.

Le problème, c’est que nous avons gagné de moins en moins d'appels d’offres, et avons donc enregistré une baisse d’activité. Je ne pourrai jamais savoir si cela était directement lié à la semaine de 4 jours ou à d’autres facteurs (contexte économique), mais j’ai été obligé de m’interroger et prendre les mesures nécessaires.

“Associer le 100% télétravail à la semaine de 4 jours, c’était trop”

À côté de cela, nous avons également observé des indicateurs managériaux. Et la semaine de 4 jours a joué sur la cohésion d’équipe. Mon analyse est qu’associer le 100% télétravail à la semaine de 4 jours a été trop destructeur pour notre cadre de travail. Je pense qu’en présentiel, nous aurions eu l’émulation et le cadrage nécessaires pour réaliser nos objectifs, même en 4 jours.

Mais nous avons donc consulté nos employés pour voir ce qu’ils préféraient maintenir : la semaine de 4 jours ou le 100% télétravail. Les avis étaient mitigés, mais en ce qui concernait le full remote, nous ne pouvions pas revenir dessus puisque certains de nos salariés avaient déménagé avec leur famille en province.

Pour l’heure, il est trop tôt pour dire que notre activité a davantage repris depuis que nous avons stoppé la semaine de 4 jours, mais il est évident qu’en tant qu’entrepreneur et manager, cela m’a servi de leçon. Je continue à avoir envie d’expérimenter des choses, mais ce qui est certain, c’est qu’il est essentiel de bien les monitorer. Je ne dis pas qu’il est impossible de cumuler full remote et semaine de 4 jours, et j’ai hâte de voir si une autre entreprise y parvient ! Nous relancerons peut-être l’expérience plus tard, dans un cadre différent”.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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