société

Tradwife : la tendance qui ne veut pas que les femmes travaillent

Ne pas travailler, consacrer son énergie à combler sa famille et son foyer, renoncer à toute indépendance financière : voilà le modèle de vie que prône le mouvement Tradwife. Décryptage.


4 min
10 décembre 2024par Léa François

Brushing impeccable, look rétro, sourire figé et petit plat en train de mijoter : non, on ne parle pas de Bree Van De Kamp, mais de ces jeunes femmes qui ont rallié le mouvement Tradwife. “Tradwife” pour “traditional wife” : comprenez “épouse traditionnelle” en français. Grosso modo, ce mouvement plaide pour le retour de la femme au foyer. Leur vision du bonheur ? Une femme qui reste à la maison et s’occupe des tâches domestiques pendant que monsieur part travailler.

Une tendance aux origines politiques

Cette tendance s’est développée aux États-Unis, puis au Royaume-Uni. Elle est d’abord née en ligne, sur des forums, notamment au sein d’un groupe Reddit : les RedPillWomen.

Elle a ensuite pris de l’ampleur vers 2016, pendant la 1ère campagne présidentielle de Donald Trump, quand des américaines ont détourné le slogan “Make America Great Again” en “Make Traditional Housewives Great Again”. À la même époque, la blogueuse anglaise Alena Kate Pettitt s’est hissée comme l’une des pionnières du phénomène.

Et depuis la pandémie, la trend a explosé sur Instagram et TikTok par le biais d’influenceuses comme Estee Williams ou Victoria Yost qui partagent des contenus marqués du hashtag #tradwife, #stayathomegirlfriend ou encore #homemaker.

La glamourisation de la femme soumise

Quel discours tiennent ces femmes tout droit sorties des fifties ? Ouvertement anti-féministes pour la plupart, elles partagent en vidéo leurs conseils pour devenir une bonne épouse dévouée. “La mouvance tradwife est un mouvement transnational, principalement en ligne, de femmes antiféministes qui prônent des normes genrées traditionnelles et le retour des femmes à la domesticitédéfinit Cécile Simmons, spécialiste des questions de désinformation et de genre, et des réseaux sociaux.

Si ce mouvement était à l’origine extrême, ultraconservateur et plutôt marginal, il gagne aujourd’hui en légèreté et en popularité. En cause, l’esthétique de ces comptes qui glamourisent la soumission de la femme à l’homme, mais aussi la perte de leur autonomie financière et sociale, nous faisant par là oublier les origines idéologiques et politiques de la tendance. Car au-delà d’un discours réac, ces tradwiwes ont souvent été des soutiens de Donald Trump et ont contribué à un recul du droit à l’avortement aux États-Unis.

De nombreuses contradictions

En théorie donc, ces femmes ne travaillent pas. Mais derrière ce renoncement à toute carrière professionnelle se cache un paradoxe : “Ces influenceuses monétisent leurs contenus, certaines ont même bâti un empire financier, alors qu’elles prônent les valeurs de la femme au foyer sans travail” analyse Cécile Simmons.

Une réalité valable pour les tradwives devenues célèbres, mais pas pour les milliers de jeunes femmes qu’elles influencent et qui, pour copier ce modèle de vie, doivent renoncer à leurs revenus et donc à leur indépendance financière.

Autre contradiction : ces tradwifes anti-féministes prônent un style de vie qu’elles n’auraient pas eu la possibilité de choisir – mais qu’elles auraient tout bonnement subi – si le féminisme moderne n’était pas passé par là. Elles romantisent donc une réalité dont elles n’ont pas fait l’expérience.

Une tendance jusqu’en France

Même si l’audience y est moins large que chez les anglo-saxons, cette trend s’est frayée un chemin jusqu’en France, surtout parmi la mouvance ultra-catholique, avec des influenceuses comme Tatiana (dont certaines vidéos s’intitulent “Tu trouves ta paix en étant femme au foyer”, “Parce qu’être une femme traditionnelle n’a jamais été une honte”) ou Thaïs d’Escufon. “Mais il y a aussi toute une partie de femmes dont les contenus sont axés sur la nutrition des enfants, l’éducation à la maison, le tout-naturel et qui affichent parfois des messages anti-vaccins” nuance Cécile Simmons.

Et entre la réélection de Trump et les chiffres de 2024 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, on peut craindre que ce mouvement ait de beaux jours chez nous : 63% des femmes et 70% des hommespensent encore qu’un homme doit avoir la responsabilité financière de sa famille pour être respecté dans la société”, et 34% des femmessoit 7 points de plus qu’en 2023 – trouvent “normal que les femmes s’arrêtent de travailler pour s’occuper de leurs enfants”.

Cette régression qui met en péril l’émancipation des femmes s’explique par l’influence des réseaux sociaux sur la jeune génération : en 2023, le #tradwife comptabilisait plus de 340 millions de vues par mois sur TikTok, et, en France, plus de 44 millions pour le #femmeaufoyer.

Léa François

Journaliste

Journaliste qui écrit avec ses tripes, pour porter la parole de celleux qui ne l’ont pas toujours. A postulé ici le lendemain […]

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