Comment gérer un “ego” dans une équipe ?

Parce qu’il a la fâcheuse tendance à tirer sans cesse la couverture à lui, le collaborateur doté d’un fort “égo” peut plomber la dynamique d’une équipe. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Et surtout, que peuvent faire les managers et RH pour canaliser ces personnalités sans brider leur énergie ?
En réunion, on n’entend que lui. Parfois même dans l’open space aussi. Tel un jeune enfant, il a une soif absolue de reconnaissance. Parfois, il réagit mal à la critique et souhaite systématiquement prendre la tête des projets. Voilà, en quelques mots, la représentation que nous nous faisons d’une personne dotée d’un fort égo.
L’ego, une question de posture plus que de personnalité
Mais n’allons pas si vite en besogne. Pour les deux experts que nous avons interviewés, l’ego n’est pas tant une question de personnalité, mais plutôt de posture. Comprenez, la personnalité flanquée de ce fort ego l’est dans un contexte professionnel donné. Mais peut-être est-ce une tout autre personne dans la vraie vie ?
Pour Charles Galand, manager senior chez Stimulus, spécialiste des conflits, l’ego est souvent vu à travers le prisme de la psychologie individuelle : "Mais ce n’est pas si simple. Des personnalités dotées d’un fort ego peuvent générer des tensions, mais leur comportement dépend aussi beaucoup du contexte."
Une analyse partagée par Jean-Jacques Clavier, coach de dirigeants et président d’ICF Bretagne Pays de la Loire. Pour lui, "Parler d'ego n’a pas de valeur explicative. C’est un mot-étiquette. Mieux vaut parler de comportements inadaptés dans un contexte donné."
En outre, certaines organisations valorisent ceux qui prennent le lead, parlent fort ou s’exposent, même s’ils ne sont pas les plus compétents. L’ego peut alors être une stratégie d’adaptation plus qu’un trait de personnalité. "Ce besoin de reconnaissance, parfois majoré d’un mal-être ou d’un surinvestissement, est aussi nourri par des modèles d’évaluation qui ne valorisent que certaines postures", ajoute-t-il.
Les différents types de comportement qui doivent alerter
Ceci étant dit, certains signaux doivent faire réagir un manager sous peine de déstabiliser l’équilibre de l’équipe. Charles Galand perçoit 6 types de profils/comportements :
👉 L’intouchable
Il perçoit son travail comme une œuvre, donc toute critique est vécue comme une attaque. Souvent touché par le biais de Dunning-Kruger, il surestime ses compétences.
👉 Le dramatique
Il a une fâcheuse tendance à la théâtralisation, au besoin d’attention. Il n’hésite pas à manipuler ou se victimiser pour rester au centre. On parle ici de profil “histrionique”.
👉 Le contrôlant
Perfectionniste, il est touché par l’obsession du détail. Il ne peut pas s’empêcher de tout vérifier ou de tout refaire et adopte souvent une posture dominante. Une attitude que l’on retrouve notamment chez les experts métiers qui peut aller jusqu’au micro-management dans le cas où la personne gère une équipe.
👉 Le critique systématique
Il pose un regard acerbe sur tout, et adopte une posture d’opposition constante… sans pour autant être dans la critique constructive.
👉 Le sur-engagé
Il vit le travail comme une vocation ou un refuge personnel. Il nourrit un besoin de reconnaissance supérieur à la moyenne.
👉 Le réactif
Sa tolérance à la frustration est faible et ses émotions sont vite débordantes. Cette personne peut mal réagir au feedback et à l’échec.
Toutes ces attitudes peuvent s’accumuler et créer une dynamique de rivalité dans les équipes. Pour Charles Galand, il est essentiel de ne pas isoler ces comportements : "Il faut toujours les replacer dans le système. Ce n’est pas nécessairement la personne qui pose problème mais un défaut de régulation managériale."
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Managers, comment agir ?
1️⃣ Identifier la problématique pour l’équipe
Avant toute chose, il convient d’être au clair sur les problématiques que génère ce fort égo au sein de l’équipe afin de savoir avec lucidité ce que l’on tente de changer, et pourquoi. “Cela n’est pas toujours si évident, car une personne dotée d’un fort égo peut surperformer, et son manager peut cultiver un rapport particulier avec elle, même si le reste de l’équipe souffre et enregistre un fort turnover”, analyse Jean-Jacques Clavier.
2️⃣ Ne pas penser que l’on va “changer une personne”
Pour agir avec subtilité, le président d’ICF Bretagne Pays de la Loire prône une approche systémique et minimaliste, en adoptant la posture du manager-coach : "On ne change pas une personne, mais un comportement dans un contexte. Par exemple, si un collaborateur monopolise la parole en réunion, on peut décider qu’il ne parle ni en premier ni en dernier. C’est un petit ajustement, mais qui peut changer toute la dynamique de l’équipe."
Certains jeux systémiques peuvent alors être mis en place. Le coach nous partage un exemple : "Dans une équipe, nous avons instauré un mot code, ‘Cumbia’, pour signaler qu’un comportement nuisible revenait. Cela permet de désamorcer avec humour, sans viser la personne."
3️⃣ Redonner du cadre
Pour maintenir un cadre équitable, où chacun peut contribuer sans qu’un profil ne remporte la mise, il faut être constant et prôner des règles non négociables. “Pour cela, il convient de rappeler que personne n’est irremplaçable et que le succès ne pourra qu’être collectif. Le manager doit donc garder une forme de lucidité sur la performance de chacun et éviter toute forme de soumission implicite du reste de l’équipe”, recommande Charles Galand.
4️⃣ Favoriser un climat de coopération plutôt que de compétition
Pour éviter que la rivalité ne s’installe au sein des équipes, on peut par exemple fixer des objectifs collectifs plutôt qu’individuels. Bien sûr, il ne s’agit pas non plus de brider la personnalité avec un fort ego si elle souhaite contribuer davantage, mais il convient de toujours rappeler que cette énergie doit être mise au service du collectif. Pour ce faire, on peut aussi objectiver les soft skills (écoute, posture, maîtrise de soi), et les évaluer. “Je crois beaucoup en l’importance de fixer des objectifs d’amélioration continue, d’inscrire la reconnaissance sur le temps long. Il est important de ne pas valoriser uniquement les succès, mais le chemin parcouru”, estime le sénior manager de Stimulus.
5️⃣ Multiplier les sources de reconnaissance
Pour éviter une trop forte dépendance dans la relation manager-managé, Charles Galand recommande de multiplier les sources de reconnaissance pour la personnalité à fort égo. Outre les moments en 1-1 avec le manager, il est important que les efforts soient reconnus par des clients, collègues ou tout autre interlocuteur en interne. “Il ne faut pas hésiter à impliquer cette personne sur des missions transverses”, recommande-t-il.
6️⃣ Demander de l’aide
Quand une relation entre un manager et un managé devient trop dysfonctionnelle, il demeure possible de faire appel à un tiers neutre de confiance (RH, référent RPS, médiateur). Cela permet de désamorcer les tensions en réinstaurant un espace d’écoute et en réaffirmant le cadre.
Au bout du compte, l’enjeu n’est pas tant de briser un ego perçu comme excessif, mais de l’intégrer dans une dynamique de croissance collective. En donnant des rôles clairs, en objectivant les comportements, et en renforçant l’appartenance au groupe, les managers peuvent transformer cette énergie parfois déstabilisante en moteur pour l’équipe.