société

Discriminations capillaires : qui aurait cru que nos cheveux pouvaient affecter notre carrière ?

Cheveux texturés, cheveux blancs ou crânes chauves… Leur point commun ? Être une source de discrimination au travail. Une réalité largement documentée qui se voit enfin posée sur la table du législatif en France.


8 min
31 juillet 2024par Léa François

Jusqu’à récemment, aucune loi n’encadrait la discrimination capillaire, c’est-à-dire le fait d’être discriminé‧e à l’embauche ou dans son quotidien professionnel en raison de l’aspect de ses cheveux. Ou du moins, aucune loi spécifique, la discrimination capillaire étant implicitement contenue dans l’un des 25 motifs de discriminations au travail encadré par la loi, à savoir l’apparence physique.

Mais depuis le jeudi 28 mars 2024, les choses sont en passe de changer : un texte visant à inscrire dans la loi la discrimination capillaire comme critère spécifique a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale. Son porte-parole ? Le député Olivier Serva. Le projet de loi dont il est dépositaire entend lutter contre toute discrimination sur la couleur, la longueur, la texture ou le style des cheveux en entreprise, et doit être prochainement examiné au Sénat.

Les femmes racisées en première ligne des discriminations capillaires

C’est une affaire judiciaire tranchée fin 2022 qui a décidé le député LIOT (groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) à se saisir de ce sujet : en 2005, un steward aux cheveux tressés et remontés en chignon se voit refuser l’embarquement par son employeur. La raison ? Selon Air France, sa coiffure n’était pas autorisée pour le personnel navigant commercial masculin. Pendant 4 ans et demi, l’homme devra porter une perruque pour exercer ses fonctions. Après 10 ans de bataille judiciaire, la cour de cassation avait finalement reconnu qu’il avait été victime de discrimination.

Ce cas est loin d’être isolé, et s’il concerne ici un homme, ce sont la plupart du temps les femmes — et surtout les femmes racisées aux cheveux texturés — qui se retrouvent concernées par ces discriminations : “Il est prouvé, notamment pour les femmes, qu’une coupe de cheveux par rapport à une autre permet un avancement de carrière plus important” observait Olivier Serva cité par RTL le 20 avril 2023. Et cette réalité est valable non seulement pour l’avancement de carrière, mais aussi pour toutes les étapes du parcours professionnel.

Des faits corroborés par plusieurs études : en 2020, une enquête de la Duke University mettait en avant le fait que les femmes noires qui se lissaient les cheveux avaient plus de chance de décrocher un poste que celles qui conservaient leur style capillaire naturel. Cette donnée a été largement intériorisée par les principales concernées, puisqu’un sondage LinkedIn pour Dove publié début 2023 révélait que 66% des femmes noires changent de coiffure pour un entretien d'embauche, 41% d'entre elles passant des cheveux bouclés aux cheveux raides.

Et pour cause : “Les cheveux des femmes noires sont 2,5 fois plus susceptibles d'être perçus comme non professionnels” pouvait-on lire dans le rapport. Une fois embauchées, les femmes aux cheveux texturés sont aussi 2 fois plus susceptibles d’être victimes de micro-agressions sur leur lieu de travail que les femmes métissées/noires ayant les cheveux lissés.

Dès avril 2023, le député LIOT invitait la France à réformer sa législation à l’aune de ces données : “On n’a pas d’étude ethnique en France, mais par contre, quand on regarde aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, on s'aperçoit d’une chose : deux tiers des femmes noires qui doivent aller postuler à un emploi changent de coupe de cheveux pour être plus employable argumentait-il dans une interview accordée à l’émission C à Vous.

Cheveux blonds et blancs, crânes chauves : autre combat

“Un tiers des femmes blondes changent la couleur de leurs cheveux pour devenir brunes et pour paraître, aux yeux de l’employeur, plus intelligentes” poursuivait dans son interview Olivier Serva. La couleur des cheveux présenterait en effet, elle aussi, son lot de préjugés, le blond étant associé à moins de sérieux et le brun à davantage de compétences.

Le député évoque les conclusions d’une étude de 2009 commandée par la chaîne de magasins anglaise Superdrug, et qui révélait par ailleurs que 38% des femmes ayant changé de teinte capillaire estimaient que ce changement avait été concluant, tandis que leur couleur de cheveux originelle les avait freinées dans leur évolution professionnelle.

Une couleur de cheveux à double tranchant, selon le sociologue Jean-François Amadieu, spécialiste des déterminants physiques de la sélection sociale : “La perception des blondes est positive jusqu'à un certain niveau de responsabilités. Elles trouvent des emplois qui se basent sur l'image et disparaissent dès qu'on monte les échelons" relève-t-il.

Ainsi, aux États-Unis, les blondes occupant des emplois où une bonne présentation compte (comme les hôtesses d’accueil) gagnent 7% de plus que les brunes, tandis que la tendance s’inverse pour les emplois plus “qualifiés”, révélait une étude réalisée par l'université de Queensland relayée par le Telegraph.

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Autre expression du sexisme : l’âgisme. Si le blond peut donner un air ingénu, les femmes aux cheveux blancs ne sont pas mieux lôties : là où, chez ces messieurs, les cheveux poivre et sel sont appréciés comme un symbole de maturité, l’équivalent chez les femmes est perçu comme un signe de péremption.

Les cheveux blancs chez un homme renvoient encore à une forme de virilisation : le poids de l’expérience, la sagesse. Alors que chez la femme, les cheveux blancs sont associés au vieillissement, à la disparition de la séduction, et même de sa valeur intrinsèque analyse David Le Breton, professeur à l’université de Strasbourg et spécialiste de la sociologie du corps.

Considérées comme étant sur le déclin, ces salariées de plus de 50 ans qui sont également touchées par la ménopause subissent des discriminations qui freinent leur carrière, à un âge où elles sont les plus susceptibles d’accéder à des postes de direction, selon la Harvard Business Review.

Enfin, les personnes chauves souffrent, elles aussi, de discrimination professionnelle : selon une étude de la Fondation canadienne pour la recherche capillaire mentionnée par Libération, les chauves ont, à compétences égales, un tiers de chances en moins de décrocher un travail que les autres.

L’étude Dove & LinkedIn révélait quant à elle que 30% des hommes chauves ont moins de chances de progresser dans une entreprise. La calvitie, aussi appelée alopécie androgénétique, est toutefois une particularité anatomique qui, rappelons-le, touche aussi les femmes (20% des femmes de 40 ans, d’après Doctissimo).

Derrière ces discriminations, des préjugés qui affectent la santé mentale et physique

Mais l’enjeu de ces discriminations capillaires ne se limite pas à l’impact sur la carrière professionnelle : les préjugés et injonctions qui les sous-tendent ont des conséquences directes sur la santé mentale et physique de celleux qui en souffrent. “J’ai commencé à perdre mes cheveux dès mon plus jeune âge, à l’adolescence, et c’est une forme de traumatisme qui est lié à l’estime de soi” confiait Olivier Serva auprès de France 5.

L’impact psychologique de la calvitie a en effet été mesuré par une étude européenne de 2005 qui nous apprend que 62% des personnes dégarnies estiment que la perte de leurs cheveux affecte la confiance en soi, et peut même conduire à un sentiment de dépression, pour 21% des personnes chauves sondées. Une problématique de santé mentale notamment entretenue par des représentations sexistes persistantes qui associent les poils et cheveux à la virilité.

Du côté des femmes noires, les biais de pensée liés aux cheveux texturés affectent également leur bien-être psychologique : selon l’étude “Good Hair” publiée en 2017 par le Perception Institute, la pression sociale liée au diktat des cheveux raides génère une plus grande anxiété chez les femmes noires, non contente de leur ajouter une charge sociale et financière. En effet, 29% d’entre elles entretiennent une inquiétude vis-à-vis de leurs cheveux, contre 16% chez les femmes blanches.

Outre ces problématiques psychologiques, les femmes aux cheveux texturés sont par ailleurs confrontées à des conséquences sur leur santé physique, un constat qui fait des discriminations capillaires un vrai problème de santé publique.

En effet, par pression sociale et en raison de discriminations professionnelles, ces dernières sont contraintes à dénaturer leurs cheveux en ayant recours à des produits chimiques, parfois même abrasifs, pour les lisser. Au-delà des dégâts parfois irréversibles causés aux cheveux, l’utilisation de produits chimiques pour défriser ou aplatir les cheveux augmenterait les risques de cancer du col de l’utérus, alertait une étude du National Institute of Health de 2022 menée auprès de plus de 33 000 femmes américaines suivies pendant 11 ans.

Pour voir la problématique des discriminations capillaires mieux encadrée dans l’Hexagone, il faudrait déjà que le projet de loi soit validé par le Sénat. La France deviendrait alors le premier pays au monde à prendre ce sujet à bras le corps au niveau national.

Aux États-Unis, la loi Crown ("Creating a Respectful and Open World for Natural Hair", “créer un monde respectueux et ouvert pour les cheveux naturels”) interdit déjà dans 25 États toute discrimination liée à la chevelure, qu’elle soit naturelle, tressée, "locksée" ou twistée, dans les lieux publics et en entreprise, mais le texte n’a pas encore été adopté au niveau fédéral.

Léa François

Journaliste

Journaliste qui écrit avec ses tripes, pour porter la parole de celleux qui ne l’ont pas toujours. A postulé ici le lendemain […]

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