Tabous, discriminations, coûts financiers : l’impact de la ménopause au travail
La ménopause, c’est un gros mot qui fait peur, surtout en entreprise. Un changement hormonal lourd de conséquences pour la moitié de la population, tant en matière de santé physique et mentale, qu’en matière de trajectoire professionnelle et financière.
Pourquoi le sujet de la ménopause s’inviterait-il au bureau ? Si vous y voyez quelque chose d’incongru, vous faites erreur ! Car cette question de santé a tout à voir avec le monde du travail, dès lors qu’on sait que près de 30% des Français pensent que la ménopause a un impact négatif dans le cadre professionnel, d’après l’étude de la MGEN et de la Fondation des Femmes publiée en octobre 2023. Une opinion qui provient d’une réalité, elle, bien tangible…
En quoi la ménopause affecte-t-elle les femmes dans leur travail ?
Petit cours express de biologie pour ceux du fond : la ménopause, c’est la phase de la vie d’une femme où l’ovulation s’arrête et où les règles disparaissent. L’âge moyen auquel elle survient est 51 ans, mais elle peut aussi se manifester dès la quarantaine avec ce qu’on appelle “la préménopause”, et elle dure généralement entre 7 et 14 ans.
Ce changement hormonal affecte les femmes dans leur travail notamment parce qu’il peut s’accompagner de symptômes désagréables : bouffées de chaleur, troubles du sommeil et de l’humeur, état dépressif, prise de poids, autant de désagréments qui pèsent sur le quotidien professionnel de ces salariées. Parmi ces femmes ménopausées, 20 à 25% souffrent même de troubles sévères, selon l’Inserm. C’est aussi une période où des pathologies potentiellement graves peuvent survenir, comme les fractures ostéoporotiques et les maladies cardiovasculaires.
Mais être ménopausée, c’est aussi subir, sous couvert d’humour, des comportements sexistes : elles sont 30% à avoir déjà entendu des commentaires ironiques ou des blagues sur ce sujet sans qu’ils leur soient adressés directement. C’est donc la double peine : santé physique ET santé mentale mises à mal.
La rédaction vous conseille
Un sujet invisibilisé car encore tabou
Si la ménopause reste un sujet compliqué à aborder pour les salariées, c’est bien parce qu’il est encore très tabou : 70% des femmes ne souhaitent pas évoquer les troubles liés à la ménopause à leur supérieur‧e, et seules 25% en ont déjà parlé avec des collègues. Un tabou si bien intériorisé par les principales intéressées qu’elles sont moins favorables que les hommes à la prise en compte de la ménopause dans le cadre du travail (47% des hommes sont pour, contre 41% des femmes, toujours selon l’étude MGEN). Plus globalement, moins de 10% des sondé‧es estiment que la ménopause est un sujet pour les entreprises…
Un tabou qui en cache un autre, plus global : celui de l’âgisme. Les femmes de plus de 50 ans subissent des discriminations qui freinent leur carrière, tandis que la ménopause survient au moment où elles sont les plus susceptibles d’accéder à des postes de direction, selon la Harvard Business Review. Inégalités, harcèlement, humiliations, placardisation, licenciement abusif : tous les moyens sont bons pour pousser vers la sortie celles qu’on considère comme “périmées”.
Cette réalité est bien plus documentée au Royaume-Uni, depuis que des femmes poursuivent leur employeur en justice : ce sont au moins une quarantaine d’affaires qui ont ainsi été jugées entre 2018 et 2021, rapporte Marie-Claire. Une problématique sur laquelle se penchent sérieusement les chercheurs‧euses britanniques, en témoignent deux rapports de 2022 : l’étude Menopause and the Workplace publiée par l’entreprise Fawcett Society, et celle de la House of Commons Women and Equalities Committee. Des recherches qui avaient abouti à la soumission d’un projet de loi visant à faire de la ménopause une “caractéristique protégée” dans le cadre de l’Equality Act, et de créer un “congé ménopause”. Projet de loi rejeté en janvier 2023 au motif qu’il serait discriminatoire pour les hommes.
Si le sujet est pris à bras-le-corps Outre-Manche, la France, elle, est à la traîne. Là où les procès se multiplient au Royaume-Uni, il est difficile d’imaginer qu’une “jurisprudence ménopause” émerge en France, selon l’avocate Rachel Saada, spécialiste du droit du travail citée par Marie-Claire : "Dans ma longue carrière, je n’ai jamais rencontré une active de 45-55 ans souhaitant attaquer son employeur pour discrimination en raison de sa ménopause" confie-t-elle.
Le coût financier de la ménopause
Entre discriminations, mal-être et conditions de travail rendues difficiles par des symptômes invisibilisés, la ménopause pèse sur le parcours professionnel des femmes. Réduction contrainte du temps de travail, ralentissement de carrière, renoncement à une promotion sont autant de freins qui réduisent leurs perspectives d’évolution et affectent leur trajectoire financière.
En France, 20% des femmes ménopausées se disent ainsi freinées dans leur ambition professionnelle à cause de la ménopause et 21% prennent des arrêts de travail de plusieurs jours consécutifs à cause des troubles liés à leur ménopause, rapporte une étude Alan / Harris Interractive en 2022.
Aux États-Unis, ce sont 20 % des femmes ménopausées qui ont quitté leur travail ou envisagé de le faire, et de prendre une retraite anticipée, à cause des symptômes liés à la ménopause et du manque de soutien, relève le rapport annuel 2022 d’Elektra Health.
En Angleterre, 21% des femmes ménopausées ont laissé passer la chance d’obtenir une promotion et 19% ont réduit leurs heures de travail, d’après un sondage mené par la docteure et experte en ménopause Louise Newson en 2021.
Des freins qui ont des conséquences économiques côté salariées et employeurs. À titre d’exemple, aux États-Unis, les symptômes liés à la ménopause font perdre aux femmes actives environ 1,8 milliard de dollars par an en temps de travail perdu, selon une étude de la Mayo Clinic de 2023 repérée par Courrier International. En France, on manque encore de données sur le sujet, mais il est évident que les salariées françaises ménopausées sont lésées de la même manière. Des baisses de revenus qui, ne l’oublions pas, auront aussi un impact sur leurs revenus à la retraite.
Les entreprises auraient tort de se détourner de cette problématique, car elle les concerne tout autant : le rapport d’Elektra Health rapportait qu’aux États-Unis, 1,8 million de femmes ménopausées ont quitté le marché du travail depuis 2020, avec des coûts de roulement avoisinant 33% du salaire d'un employé, soit environ 15 000 dollars par an.
Des pertes financières notamment liées à la perte des compétences des femmes de 40-60 ans, dans le contexte d’une pénurie de main-d’œuvre qualifiée : “Parmi les femmes les plus qualifiées, les plus précieuses, qui sont des leaders, un grand nombre d'entre elles font partie de ce groupe, et il est beaucoup plus cher de les remplacer que la moyenne” analyse Tammy Sun, directrice générale de Carrot Fertility - un organisme fournissant des conseils aux entreprises en matière de santé - citée par Les Échos.
Mais l’impact en matière de rétention du personnel n’est pas le seul à prendre en compte : “Entre perte de productivité et coûts de santé, l’impact économique de la ménopause est estimé à plus de 150 milliards de dollars par an dans le monde” alerte Brooke Quinn, directrice de la clientèle chez Carrot Fertility dans un article du média Quartz.
Comment faire bouger les lignes en entreprise ?
À l’aune de tous ces constats, il apparait plus qu’urgent pour les entreprises de se saisir de ce sujet en créant un environnement de travail favorable, non seulement pour assurer l’égalité femmes-hommes, mais aussi pour favoriser l’embauche et la rétention des talents. Mais quelles démarches mettre en place ?
- Sensibiliser l’ensemble des actifs : le tabou prend racine dans l’ignorance, et nombreux‧ses sont les salarié‧es à méconnaître la réalité de la ménopause. En France, seuls 59% des femmes et 47% des hommes se sentent bien informés à ce sujet, alerte l’étude de la MGEN. Chez les hommes, 71% affirment n’avoir jamais cherché à s’informer sur le sujet.
S’entourer de consultants en inclusion sur le sujet spécifique de la santé des femmes, mettre en place des formations, donner accès à des ressources ou encore favoriser les groupes de parole sont autant d’initiatives bienvenues en entreprise. Et attendues par les principales intéressées : selon le rapport d’Elektra Health, 74% des femmes ménopausées trouveraient utile le soutien d'une plateforme d'expert‧es, 26% apprécieraient des formations et 15% des réseaux de soutien. - Former les managers : on l’a vu, 70% des femmes ne souhaitent pas évoquer les troubles liés à la ménopause à leur supérieur‧e. Il est donc urgent de préparer les managers à favoriser un climat de confiance, et à savoir accueillir la parole des personnes qui souffrent de la ménopause pour pouvoir les accompagner au mieux. D’où la nécessité que ces salarié‧es soient informé‧es pour être conscient‧es de ce que l’employée traverse et être sensible à sa situation.
- Adapter le cadre de travail : comprendre, c’est bien, proposer des solutions, c’est mieux ! En attendant que le droit évolue pour mieux prendre en considération l’aspect discriminatoire de la ménopause au travail, des démarches comme une flexibilité sur les horaires et le présentiel, voire une adaptation de la charge de travail, peuvent être salutaires. Pour encadrer ces aménagements des conditions de travail, l’entreprise peut créer une politique de ménopause en interne. Une manière de traiter ce sujet comme un problème médical à part entière, notamment en instaurant un congé ménopause, à l’image d’initiatives qui émergent en France.
Au-delà de la nécessité évidente de faire bouger les choses pour que le corps de la femme soit enfin reconnu en entreprise, soutenir la ménopause serait profitable aux entreprises en réduisant l’absentéisme et en permettant d’attirer et de retenir les talents féminins. D’autant que les femmes ménopausées constituent le groupe de la population active qui connaît la plus forte croissance, et la plus rapide sur le marché du travail, une tendance de tous les pays développés mise en avant par l’étude du Chartered Institute of Personnel and Development (CDIP) et réaffirmée par le récent rapport de la House of Commons Women and Equalities Committee.