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Après la Grande Démission, place au Grand Regret ?

Après la Grande Démission, place au Grand Regret ?

Aux États-Unis, une personne sur quatre qui a claqué la porte de son entreprise pendant la grande démission le regrette aujourd’hui, avance une étude réalisée par Joblist. En France, il n’existe pas à ce jour de chiffres attestant du même phénomène. Toutefois, les spécialistes observent effectivement l’apparition de “déçus”. Alors, qui sont ces travailleurs qui regrettent d’avoir quitté leur job ? Témoignages et analyse.


7 min

Quête de sens, envie de découvrir un job “artisanal”, de quitter Paris, de se lancer en tant que freelance ou tout simplement de gagner plus d’argent… La pandémie a bouleversé en profondeur le marché du travail. Si en France, nous n’avons pas véritablement assisté à une “grande démission” (le CDI est plus “engageant”), les chiffres de la Dares ont tout de même attesté d’un taux de démission au plus haut depuis la crise de 2008.

Dans un contexte de tension sur le marché du recrutement, les candidats n’ont pas hésité à changer de job plus souvent (le phénomène du job hopping), et surtout à gonfler leurs prétentions salariales, quitte à atteindre pour certains des demandes stratosphériques. Mais depuis, la fête est-elle finie ? Aux États-Unis, la chute de la Silicon Valley Bank et les licenciements massifs des géants de la tech à l’image de Microsoft, ont définitivement coupé les ailes des salariés.

En France, est-ce qu’on est déçus aussi ?

En France, c’est un peu différent. On ne parle pas encore de véritable crise. “Salariés et entreprises sont dans une posture attentiste. Mais je suis toutefois convaincu que nous sommes sortis de ce contexte de grande démission. L’instabilité externe encourage les salariés à s’accrocher à leur poste”, analyse Henri de Lorgeril, Co-fondateur & CEO du Groupe Avizio, spécialisé dans les services RH & People haut de gamme.

Et puis, il y a les retours d’expérience des candidats déçus par le grand saut qu’ils ont effectué juste après la pandémie, et qui ne sont pas de nature à encourager d’autres projets audacieux. D’après l’étude américaine Joblist, 42% des personnes qui ont quitté leur job pendant la grande démission disent que leur nouvel emploi n’a pas répondu à leurs attentes. Mais pour quelles raisons ?

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1. Les déçus des jobs artisanaux

Les cas les plus spectaculaires sont les retours de reconversion. Comprenez : des cadres sup’ qui avaient tout lâché pour se lancer dans la boulangerie ou tout autre métier artisanal, avant de revenir vers un emploi de bureau. C’est le cas de Laurène. Diplômée d’une grande école de commerce, elle démissionne d’un grand groupe et se jure de ne plus y remettre les pieds.

Après avoir fait un saut dans le monde associatif à l’étranger, elle se lance dans une formation de fromagerie. Elle y découvre une filière passionnante, mais lorsqu’elle prend un poste dans une épicerie parisienne, elle déchante :déjà, j’avais du mal à trouver des affinités avec mes collègues. C’était le genre de personnes à penser sauver le monde en vendant une carotte 7 fois plus cher que la normale.

Je manquais de stimulation intellectuelle et surtout, j’avais vraiment du mal avec les horaires. Dans ce type de métier, on travaille les week-ends, c’est difficile d’avoir une vie personnelle.

Finalement, le hasard des rencontres fait qu’elle entame une discussion avec le Président de Savencia, le n°2 de la filière laitière en Europe. “J’ai pu mettre à profit ma formation en fromagerie et mon diplôme d’école de commerce pour fonder un projet autour des fromages du terroir. Moi qui pensais ne jamais retravailler dans un grand groupe, j’apprécie l’impact que peut avoir ne serait-ce qu’un petit pas de côté dans ce type de structure. La filière laitière a des enjeux politiques et environnementaux très forts, c’est passionnant”, se réjouit-elle. Et puis, Laurène ne s’en cache pas : elle gagne bien sa vie, suit des horaires du bureau et évolue dans un groupe “humain”.

2. Les déçus du sens

Dans la même veine, on retrouve aussi les déçus du sens. Ceux qui ont quitté une entreprise traditionnelle pour rejoindre un projet à impact (voir notre article sur la Démission verte). Malheureusement, tout ne s’est pas passé comme prévu pour un certain nombre d’entre eux.

J’ai croisé plusieurs cas de figure, raconte Henri de Lorgeril, spécialiste RH et recrutement.

La déception pouvait venir du manque d’ambition ou de financement de ces entreprises, d’un mode opératoire proche du modèle associatif jugé trop mou, ou d’une rémunération trop faible.

Pour d’autres, c’est un management toxique qui les a fait fuir, quand bien même le modèle défendu par la boîte était louable."

3. Les déçus de la Province

Pendant la pandémie, de nombreux franciliens ont essayé de quitter définitivement la capitale, venant renforcer une tendance déjà affirmée avant le Covid. Pour autant, le bonheur n’est pas toujours dans le pré, d’autant que les franciliens ne vont pas se réfugier à la campagne mais plutôt dans les grandes métropoles de Province.

Et pour certains, l’intégration à leur nouvel environnement ne s’est pas passée comme prévu. “J’ai rencontré des déçus de la province, notamment de villes comme Bordeaux ou Toulouse. La raison principale est souvent que leur conjoint n’a pas trouvé de boulot, ou encore qu’ils peinent à trouver un second job après avoir quitté leur première boîte de province”, rapporte Henri de Lorgeril.

Alors, le full remote avec une boite parisienne peut être envisagé, mais le modèle ne correspond pas à tous les salariés. Du coup, pour certains, c’est retour à la case départ : Paris !

4. Les déçus du freelancing

En constante augmentation ces dernières années, le freelancing continue de faire de l'œil aux salariés. Aux États-Unis, les freelances représentent un tiers de la population : une proportion bien supérieure à la France où les indépendants représentaient 11% des travailleurs en 2020. Mais l’attrait pour le freelancing demeure profond. Sauf que, il ne suffit pas de ne plus avoir de patron pour être heureux !

Pour certaines personnes, le freelancing présente finalement plus d’inconvénients que d’avantages, notamment à cause de la faible protection sociale conférée par le statut (on en parle ici dans cette tribune). Henri de Lorgeril indique :

Avec la crispation des indicateurs économiques, certains métiers ont moins de marge de négociation, et les missions peuvent être plus difficiles à trouver. Du coup, des individus qui s’étaient lancés en freelance préfèrent revenir au chaud en entreprise.

5. Les déçus des startups

Entre 2020 et juin 2022, le monde des startups se portait comme un charme. À tel point que le Président Macron pouvait s'enorgueillir sur son compte LinkedIn de compter presque chaque jour de nouvelles licornes. Face à cette euphorie, l’envolée des salaires, beaucoup d’employés de grands groupes ont tenté l’aventure startup.

Mais tous n’y ont pas trouvé leur compte, pour différentes raisons. “La notion de séparation entre la vie pro et perso n’est pas évidente dans certaines structures. Et puis, parfois, ça ne marche pas non plus côté employeur : l’ex-salarié de grand groupe ne parvient pas à bien s’intégrer dans l’écosystème, comme si la greffe ne prenait pas”, analyse Henri de Lorgeril. Sans compter que depuis 12 mois, les investisseurs ont un élastique au porte-monnaie ! Alors certaines startups ont dû se séparer de profils qui leur coûtaient cher et n’apportaient pas les résultats espérés.

Mais alors, que font les déçus ?

D’après le sondage Joblist, 7% des personnes interrogées ont affirmé qu’elles reprendraient leur ancien emploi, et 24% qu’elles étaient au moins ouvertes à un retour. 23% ont même indiqué que leur ancien employeur les avait contactés au sujet de leur retour.

C’est ce que l’on appelle le phénomène des salariés boomerang. Encore discret en France, il commence toutefois à faire des émules. Même si dans l’Hexagone, la rupture d’un CDI ressemble à s’y méprendre à un divorce, de plus en plus de salariés sont à l’aise à l’idée de revenir chez leur ex, et les entreprises plus enclines à les accueillir.

Toutefois, ce n’est pas le cas de toutes les boîtes ! Le CEO d’Avizio se confie :

De mon côté, je ne me vois pas dérouler le tapis rouge à des salariés qui ont démissionné, mais plutôt valoriser la fidélité. Toutefois, c’est une vision à un instant T, et je ne dis pas que je ne changerai jamais d’avis.

Et puis, tout dépend des conditions de ce retour : souvent, le salarié boomerang a pris en expérience. Il a profité de sa démission pour trouver un job avec plus de responsabilités grâce ce “move”. Et c’est aussi une question de salaire : 78% des demandeurs d’emploi interrogés par Joblist pensent toujours qu’ils peuvent gagner plus d’argent en changeant d’entreprise.

Faut-il jouer au Loto ?

Alors, la prise de risques est-elle toujours payante ou va-t-on observer de plus en plus de “déçus” ? Impossible à dire. Toutefois, comme le dit la Française des Jeux : 100% des gagnants au loto ont joué ! Et comme le démontre Laurène, tout changement peut nous mener vers des chemins de traverse, pour finalement se retrouver au bon endroit : “il ne faut pas toujours s’imaginer que l’herbe est plus verte ailleurs, il y a des contraintes partout. Ceci étant dit, même si les changements que j’ai opérés ne m’ont pas tout de suite conduite à ma destination finale, j’ai fini par la trouver !”

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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