société

Que se passe-t-il dans notre cerveau quand on ment ?

On ment en moyenne 2,5 fois par jour, ce qui fait pour ainsi dire de nous tous‧tes des pro du mensonge. Mais est-ce pour autant une action cognitive anodine ? Quelles régions cérébrales sont mobilisées ? Et existe-t-il, au travail, des situations qui favorisent le mensonge ? Décryptage.


5 min
17 novembre 2023par Léa François

Aucun homme n'a assez de mémoire pour réussir dans le mensonge” écrivait Abraham Lincoln. En faisant un lien direct entre cette faculté cérébrale et cette action, le grand homme attire notre attention sur un point crucial : loin d’être simple, facile ou fantaisiste, la démarche de mentir mobilise activement notre cerveau.

Plusieurs régions cérébrales sont ainsi mobilisées, faisant du mensonge un processus cognitif extrêmement complexe. Pour y voir plus clair, nous avons échangé avec Xavier Seron, docteur en neuropsychologie et auteur de l'ouvrage Mensonges ! Une nouvelle approche psychologique et neuroscientifique.

Le mensonge, une conduite sociale de protection

On ment en moyenne 2,5 fois par jour, selon une étude américaine. Une récurrence qui semble indiquer une prédisposition humaine à ce comportement. Mais sommes-nous programmés pour mentir ? “Notre espèce – au même titre que de nombreuses autres espèces animales – utilise des comportements de tromperies qui ont eu pour effet d’échapper à des prédateurs ou d’obtenir un accès privilégié à de la nourriture ou à un territoire adapté pour sa reproduction […] Ces conduites proches du mensonge apparaissent sans doute de manière quasi automatique dans certaines situations” amorce Xavier Seron.

À voir la manière dont l’être humain a développé cette faculté, mentir serait donc une conduite sociale plus complexe mais tout à fait similaire à un mécanisme biologique de protection : une manière d’assurer notre survie.

Cet aspect fondamentalement utilitaire transparait d’ailleurs dès nos premiers mensonges, que l’on situe “à un âge relativement précoce, entre 3 et 4 ans selon les études”. “Un enfant qui vient de casser un objet et à qui on demande si c’est lui qui a fait cette bêtise peut très bien dire « non ce n’est pas moi ! », pas parce qu’il pense qu’en disant cela, la personne à laquelle il s’adresse va être convaincue que c’est quelqu’un d‘autre qui a fait la bêtise, mais parce qu’il a observé que lorsqu’on dit « ce n’est pas moi ! », et bien on n’est pas puni” argumente le spécialiste. Et bim, mode survie activé : malin, le bambin !

Mentir, un processus cérébral complexe

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le mensonge a tout d’une activité très intellectuelle, dans la mesure où cette action nécessite l’interaction de nombreuses zones du cerveau. Dès lors, on comprend que cette activité cérébrale ne soit pas aisée à identifier : “Il n’y a pas une partie bien localisée du cerveau qui serait une sorte de « Centre du Mensonge » et qu’il serait par exemple possible de détruire afin que nous disions tous, et à tout moment, la vérité. Plusieurs parties du cerveau sont activées lorsque nous mentons” développe le docteur en neuropsychologie.

Élaborer un mensonge demande donc bien plus d’effort que de dire la vérité. Là où raconter la bonne version des faits demanderait simplement d’activer la mémoire et les zones cérébrales qui contrôlent le langage, mentir mobiliserait des processus bien plus complexes, argumente le spécialiste.

Selon lui, c’est pour ainsi dire l’ensemble de nos facultés cognitives qui seraient mobilisées : en plus du langage et de la mémoire, ce sont aussi “la créativité”, ”le contrôle mental sous la forme de mécanismes d’inhibition”, “le contrôle des émotions” et “l’analyse des réactions de l’interlocuteur” qui sont activées.

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Et le mensonge au travail dans tout ça ?

Pour comprendre comment les mensonges s’insinuent aussi dans le monde professionnel, il faut déjà avoir en tête les différentes typologies de mensonges. Xavier Seron distingue ainsi “les mensonges égoïstes et les mensonges pro-sociaux, ou mensonges blancs qui auront “des effets différents sur la qualité des relations sociales, qui constituent un élément de la santé mentale des sujets”. Entre autres effets négatifs des mensonges égoïstes, le docteur en neuropsychologie évoque l’isolement social.

Mais existe-t-il des contextes professionnels qui favorisent le mensonge ? Oui, confirme le spécialiste en évoquant de récents travaux. Xavier Seron cite à ce titre l’exemple des “mensonges défensifs”, produits “lorsque les employés peuvent se sentir obligés de mentir pour faire face à la fixation d’objectifs de performance irréalistes qui ne peuvent être atteints qu’en se livrant à des tromperies, soit par la manipulation des chiffres de vente, soit par la manipulation des clients (Bone, 2006 ; Sallaz, 2015)”.

Un autre motif de mensonge défensif en entreprise se fonde sur la volonté d’”échapper à la surveillance électronique exercée par l’entreprise sur la rentabilité des travailleurs”. Le docteur en neuropsychologie évoque également un autre type de mensonge, les mensonges matériels qui “impliquent l’engagement dans des pratiques trompeuses visant à obtenir un gain financier soit directement pour l’individu, soit pour l’organisation dans laquelle il travaille”.

Qu’on se serve du mensonge pour se protéger soi-même ou protéger les autres, pour nuire ou se divertir, aucune sphère de notre vie ne semble être épargnée par cette action qui nous définit fondamentalement en tant qu’être humain. Et on s’accordera à dire que mentir, c’est quand même un sacré boulot !

Léa François

Journaliste

Journaliste qui écrit avec ses tripes, pour porter la parole de celleux qui ne l’ont pas toujours. A postulé ici le lendemain […]

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