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Au UK, PwC traque ses employés pour savoir s’ils sont au bureau : serait-ce possible en France ?

En Angleterre, les règles du jeu vont bientôt changer pour les 26 000 employés du célèbre cabinet PwC. Dès le mois de janvier, leurs données de localisation seront utilisées afin de s’assurer qu’ils passent a minima 3 jours par semaine au bureau ou chez le client. Une telle politique serait-elle possible en France ?


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Avis de tempête pour les employés de PwC UK qui chérissaient les joies du télétravail. Désormais, ils devront se rendre a minima trois jours par semaine au bureau ou chez le client, et seront géolocalisés afin que de s’assurer qu’ils respectent les règles. ​​Dans un communiqué de presse, Laura Hinton, directrice générale chez PwC, a déclaré : “Le travail en présentiel est extrêmement important pour une entreprise axée sur les personnes comme la nôtre, et la nouvelle politique rééquilibre notre semaine de travail en nous plaçant aux côtés de nos clients et collègues”.

Alors que de nombreuses directions tentent de remettre au goût du jour le travail en présentiel, PwC n’est pas la première entreprise à aller un cran plus loin avec cette surveillance accrue. Il y a peu, le célèbre cabinet d’avocats EY a commencé à surveiller la présence au bureau de ses employés au Royaume-Uni à l’aide des données des portiques d’entrée. Mais ce qui se passe outre-Manche pourrait-il éclore en France ?

En France, le principe de contrôle doit être proportionné

Pour le savoir, nous avons posé la question à Caroline Diard, Professeure-associée au sein de TBS Education et autrice d’une thèse intitulée “Vidéo-protection dans les entreprises ouvertes au public : acceptation d'une technologie de contrôle par les salariés”. Dans l’hexagone, la législation oblige les employeurs à respecter la vie privée des salariés, et veut que “le principe de contrôle soit proportionné dans le cadre de la protection des intérêts légitimes de l’entreprise”. Le contrôle est inhérent à la relation d’emploi. Ce contrôle peut s’entendre au sens large (demande de reporting par exemple), ou sous le prisme du contrôle technologique. C’est le second cas qui nous intéresse ici.

En outre, la surveillance technologique des salariés peut se justifier dans certains cas particuliers, comme pour les chauffeurs-livreurs dont la géolocalisation est nécessaire pour des questions de traçabilité et de sécurité des colis. “Bien sûr, si ces livreurs sont géolocalisés en dehors de leurs heures de travail, cela n’est plus proportionné au but recherché”, souligne Caroline Diard. La présence de caméras au sein de structures comme les parkings, banques, casinos, bijouteries ou pharmacies est également justifiée et permise par le Code de la sécurité intérieure.

À savoir : Une obligation d’information individuelle et collective Quand une entreprise met en œuvre une technologie de contrôle (caméras, géolocalisation), elle doit en informer ses collaborateurs de manière collective (CSE, affichage dans l’entreprise), mais aussi individuelle (clause dans le contrat de travail, charte informative).

Jurisprudence en zone grise

Une fois que l’on a énoncé les grands principes qui régissent le Code du travail et le Code civil, restent ces cas “borderlines”, où l’entreprise flirte avec la zone grise. L’étude de la jurisprudence nous apporte alors des éclairages sur ce qui se fait (et ne se fait pas  !). Par exemple, un centre commercial de Leclerc a été mis en demeure par la CNIL en raison de la présence de 240 caméras dans le magasin dont certaines étaient destinées à contrôler les horaires des salariés.

La CNIL a jugé que ce dispositif était "disproportionné "au regard des principes Informatique et Libertés, du fait de son ampleur et dans la mesure où "il filme les accès aux toilettes, aux vestiaires, au cabinet médical et aux salles de pause des salariés". Elle a également constaté que, "contrairement à ce qui avait été indiqué à la CNIL, ce dispositif était utilisé pour contrôler les horaires des salariés puisque certaines séquences vidéo extraites du dispositif concernent des salariés au moment de leurs pointages".

En France, Amazon France Logistique a été sanctionné d’une amende de 32 millions pour avoir mis en place un système de surveillance de l’activité et des performances des salariés excessivement intrusif. La société a également été sanctionnée pour ne pas avoir informé les salariés de son système de vidéosurveillance. En outre, des indicateurs mesuraient les temps d’inactivité des scanners des salariés, ou encore mesurait la vitesse d’utilisation des scanners lors du rangement des articles, partant du principe que des articles scannés très vite augmentaient le risque d’erreur.

Et la surveillance à l’ère du télétravail ? Avec les webcams en visio ou encore les plateformes collaboratives comme Slack qui permettent de voir si un salarié est connecté, il existe des possibilités pour les employeurs de contrôler à distance. “On sait que durant le confinement, certains managers qui n’avaient plus leurs collaborateurs sous les yeux ont pu sombrer dans le micromanagement car les outils technologiques le permettent”, souligne Caroline Diard. Mais depuis, la jurisprudence a tranché sur certaines problématiques. Ainsi, la CNIL recommande depuis le premier confinement de laisser le salarié libre d’activer ou non sa caméra. “Je crois qu’il ne faut pas le voir comme un défaut d’engagement. Certains salariés préfèrent éteindre leur caméra, par exemple car ils sont dans une tenue décontractée, ce qui ne signifie pas qu’ils ne sont pas pleinement investis dans leur travail”, pointe l’enseignante-chercheure.

Quid du cas PwC si nous étions en France ?

Vous l’aurez compris, dans l’hexagone, toute surveillance excessive des salariés peut entraîner une condamnation de l’entreprise, qui plus est quand celle-ci n’a pas averti ses employés. D’après l’avocate en droit social Leslie Nicolaï, Founding Partner du cabinet Factorhy, “il pourrait être tentant pour les employeurs de s’assurer du respect du présentiel en géolocalisant leurs collaborateurs comme le fait PWC au UK. Toutefois, de telles pratiques à une telle échelle ne pourraient être envisagées en droit français où les dispositifs de géolocalisation sont strictement encadrés tant par les textes, que par les autorités administratives et par la jurisprudence”, explique-t-elle.

Ainsi, le recours à la géolocalisation doit respecter plusieurs conditions :

  • Proportionnalité : Le contrôle doit être justifié par la nature de la tâche à accomplir et proportionné à l’objectif poursuivi ;
  • Transparence : L’employé doit être informé en amont de la mise en place d’un dispositif de géolocalisation ;
  • Finalité précise : Le contrôle ne doit pas porter atteinte aux libertés individuelles des employés, comme le stipule l’article L1121-1 du Code du travail.

En complément, la jurisprudence rappelle régulièrement que tout dispositif de surveillance ou de contrôle des salariés doit faire l’objet d’une information claire et précise aux salariés, et être proportionné au regard des objectifs poursuivis (Cass. soc, 3 novembre 2011, n° 10-18.036).

Si les entreprises françaises tendent à favoriser une reprise du travail en présentiel, le cadre juridique actuel encadre strictement la surveillance des employés, et il ne serait pas possible d’avoir recours aux mêmes pratiques que PWC UK”, conclut l’avocate.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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